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Super-profits : pourquoi la France soutient une "contribution européenne" des opérateurs énergétiques plutôt qu'une taxe

La France va soutenir une proposition de la Commission européenne qui prévoit de demander une "contribution" aux énergéticiens, afin de financer les mesures de soutien au pouvoir d'achat des Etats membres.

Article rédigé par Mathilde Goupil
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
La centrale nucléaire du Bugey (Ain), le 11 août 2003. (PASCAL GEORGE / AFP)

Taxe ou pas taxe ? Le débat sur les super-profits des entreprises bénéficiant de la guerre en Ukraine n'en finit plus de rebondir. Alors que le Parlement a rejeté une proposition de taxe, en août, le gouvernement allemand a relancé la polémique, dimanche 4 septembre, en annonçant soutenir la proposition de la Commission européenne d'instaurer une contribution obligatoire des entreprises du secteur de l'énergie.

Une annonce que n'a pas manqué de relever la gauche française, appelant le gouvernement à revenir sur sa décision de ne pas taxer les bénéfices record liés à la guerre en Ukraine. Vingt-quatre heures plus tard, Emmanuel Macron a à son tour assuré que la France soutenait la proposition européenne, dont les Vingt-Sept doivent discuter vendredi lors d'un Conseil de l'énergie. Elle constitue, selon lui, l'approche "la plus cohérente, la plus juste, la plus efficace", alors que les ménages font face à des prix de l'énergie toujours plus hauts.

Les "bénéfices indus" des énergéticiens

Taxe sur les super-profits contre "mécanisme de contribution européenne" : qu'est-ce qui différencie les deux propositions ? Si la solution européenne était adoptée, l'effort serait demandé aux "opérateurs énergétiques dont les coûts de production sont très inférieurs au prix de vente sur le marché", a précisé Emmanuel Macron. Depuis l'invasion russe, des énergéticiens "produisent de l'électricité à base [d'énergies] renouvelables, de charbon ou de nucléaire" alors qu'ils ont "des coûts de production toujours aussi faibles" qu'avant la guerre, a rappelé le ministre allemand de l'Economie, Robert Habeck, dimanche.

En raison d'un mécanisme compliqué (que l'Union européenne veut réformer), le prix de vente de l'électricité est aligné sur celui du gaz. Donc quand le gaz est cher, comme en ce moment, l'électricité est chère elle aussi, et ce malgré des coûts de production qui ne changent pas... Ce qui fait gagner à ces opérateurs "énormément d'argent", a souligné le ministre allemand. La logique européenne est donc de leur demander de contribuer aux plans de soutien des Etats européens, au titre de ces "bénéfices indus", a détaillé Emmanuel Macron. Cette contribution peut être assise "sur le chiffre d'affaires ou le montant de la production, par exemple. La contribution est donc décorrélée de la profitabilité : il ne s'agit pas d'une taxe qui repose sur des bénéfices" qui seraient jugés comme trop importants, explique Sophie Blégent-Delapille, avocate fiscaliste et managing partner du cabinet Deloitte. Une différence de logique dans laquelle se retrouve davantage le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, qui disait encore fin août : "Je ne sais pas ce que c'est qu'un super-profit"

"Taxer plus en France, c'est produire moins en France"

Il existe aussi une différence de cible. Le mécanisme européen ne concernerait que les opérateurs énergétiques, soit un nombre d'entreprises beaucoup plus restreint que la proposition socialiste française, par exemple, qui voulait taxer les super-profits des grosses entreprises gazières, pétrolières ainsi que ceux des concessions maritimes et d'autoroute. "Dans ce cas, pourquoi s'arrêter là ? Les entreprises qui vendent des hélicoptères et des armes font elles aussi des super-profits", commente Sophie Blégent-Delapille, qui pointe "un manque de cohérence". Or, une proposition large n'est pas au goût du gouvernement, qui rechigne par principe à trop taxer les revenus des entreprises. "Taxer plus en France, c'est produire moins en France", justifiait Bruno Le Maire, fin août. A l'inverse, la proposition européenne aurait l'avantage d'homogénéiser les pratiques, sans nuire à l'attractivité du pays qui mettrait seul en place une taxation importante, estime Bercy, qui met en avant le modèle de la taxation minimale à 15% des multinationales dans le monde, adoptée fin 2021.

La proposition de la gauche manquait aussi de "faisabilité", selon le ministère de l'Economie, arguant que la majorité des profits des entreprises énergétiques se situent dans le pays de production des hydrocarbures (Algérie, Norvège, Nigeria...) et non dans les pays de consommation. Sans compter que cela pose le problème du "partage de cette manne : est-il équitable pour nous de tirer profit de ces bénéfices, alors que les pays producteurs le veulent aussi ?", estime Sophie Blégent-Delapille.

Un mécanisme proche de ce qui existe déjà

Enfin, le ministère de l'Economie rappelle que s'il soutient la proposition européenne de contribution des énergéticiens... c'est qu'"on le fait déjà pour le renouvelable". En France, pour inciter les opérateurs énergétiques à se lancer dans la transition énergétique, les énergies renouvelables sont soutenues par un système de complément de rémunération entre le prix de marché et un prix "cible" fixé lors de l'attribution de chaque projet. En clair : l'Etat paie les opérateurs quand le prix du marché est inférieur au prix qu'il leur garantit. A l'inverse, ces derniers reversent de l'argent à l'Etat lorsque le prix du marché dépasse le prix garanti... Ce qui est le cas depuis l'explosion des prix de l'énergie. Cet accord pourrait ainsi rapporter 8,6 milliards d'euros à l'Etat en 2022 et 2023, selon la Commission de régulation de l'énergie.

Par ailleurs, et afin de contenir la hausse des tarifs réglementés de l'électricité à 4% en 2022, le gouvernement a contraint cette année EDF à augmenter de 20% le quota annuel d'électricité vendu à prix réduit à ses concurrents, dans le cadre du mécanisme baptisé "Accès régulé à l'électricité nucléaire historique" (Arenh). Le groupe a ainsi été obligé de vendre sa production à prix cassé, au moment où l'électricité a atteint des sommets sur les marchés de gros. Un mécanisme différent de celui proposé par la Commission européenne, mais qui revêt la même "logique" de contribution, assure Bercy.

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