Cet article date de plus de treize ans.

En période de crise, les gouvernements sont tentés de jouer sur tous les leviers pour soutenir leur croissance

Pour assurer leurs exportations, les pays peuvent agir sur le protectionnisme -comme dans les années 30- ou, plus subtilement, sur la valeur de leur monnaie. Une monnaie faible fonctionne en effet, à court terme, comme une prime à l'exportation et comme une barrière douanière.Résultat, on évoque aujourd'hui une "guerre des monnaies".
Article rédigé par Pierre Magnan
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7 min
Billets de 100 yuans à l'effigie de Mao... En réévaluant, la Chine va-t-ell faire du dollar un "tigre en papier" ? (AFP)

Pour assurer leurs exportations, les pays peuvent agir sur le protectionnisme -comme dans les années 30- ou, plus subtilement, sur la valeur de leur monnaie. Une monnaie faible fonctionne en effet, à court terme, comme une prime à l'exportation et comme une barrière douanière.

Résultat, on évoque aujourd'hui une "guerre des monnaies".

La "guerre des monnaies", terme lancé fin septembre par le ministre brésilien des Finances Guido Mantega, a servi de toile de fond aux débats engagés le week-end dernier à Washington entre ministres des Finances des 187 Etats membres du FMI.

"Je prends très au sérieux la menace d'une guerre des monnaies, même larvée. Il faut l'éviter. Le FMI fera des propositions dans ce sens", a ainsi annoncé Dominique Strauss-Kahn qui n'a pas hésité à dénoncer un coupable: "la sous-évaluation du yuan est à l'origine de tensions dans l'économie mondiale qui sont en train de devenir des menaces. Si l'on veut éviter de créer les conditions d'une nouvelle crise, il faut que la Chine accélère le processus de réévaluation". Une accusation qui n'a pas provoqué de révolution sur les marchés des changes et qui n'a entraîné qu'une fin de non recevoir à Pékin.

Le débat sur le système monétaire international a donc encore de beaux jours devant lui. Paris en a fait l'une des priorités de sa présidence du groupe des pays riches et émergents du G20 qu'il prendra en novembre. "Tel qu'il est, ce système ne semble pas particulièrement efficace", a d'ailleurs déclaré Mme Lagarde.

Ces débats font suite aux aléas des monnaies sur les marchés des changes. Aléas qui se résument grossièrement ainsi: le dollar baisse au détriment de l'Euro (accessoirement du Franc suisse) et du Yen et des autres monnaies asiatiques tandis que le Yuan chinois est considéré comme sous évalué.

Zone Euro
Après avoir beaucoup baissé par rapport au dollar, l'euro a repris des couleurs face à la monnaie américaine. Une situation jugée néfaste par certains économistes, relativisée par d'autres.

"Un euro trop fort est un boulet énorme pour les exportateurs", estime Pierre Nanterme, président de la commission économique du Medef. Ce nouveau raffermissement de l'euro, après la fièvre de l'été 2008 (1,60 dollar), a pour effet une perte de compétitivité pour les entreprises exportatrices françaises, explique Karine Berger, économiste chez Euler Hermes, "car leurs prix augmentent automatiquement". Selon une étude de la banque HSBC, si l'euro s'apprécie de 10% faire face au dollar, les entreprises françaises sont contraintes de baisser leurs prix d'environ 5%. Si elles continuent à pratiquer leurs prix, elles devraient faire faire face à une baisse de leurs ventes dans les pays émergents (Chine, Inde, Brésil...), rares îlots actuels de croissance. Cette solution engendre aussi un recul de bénéfices, résume Karine Berger.

Selon une étude de la banque HSBC, si l'euro s'apprécie de 10% faire face au dollar, les entreprises françaises sont contraintes de baisser leurs prix d'environ 5%. Les entreprises pourraient aussi être poussées à délocaliser pour réduire leurs coûts, ce qui est préjudiciable pour l'emploi. Selon le Gifas, les mouvements euro/dollar ont empêché de créer 7.000 emplois par an en France depuis trois ans.

En revanche, le Luxembourgeois Yves Mersch, membre du conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne, appelle à ne pas "accorder d'attention excessive" au cours de l'euro face au seul dollar. Interrogé sur la hausse de la monnaie européenne face au billet vert, il a déclaré: "Il ne faut pas accorder d'attention excessive à des comparaisons de cours bilatérales. Ce qui est important est le cours effectif. Or celui-ci n'a pas dépassé au troisième trimestre son niveau du deuxième."

Une partie de la zone euro, notamment l'Allemagne, est habituée à fonctionner avec une monnaie forte.

USA
Affaiblis par la crise financière, les Etats-Unis, qui connaissent un déficit public record, et où les élections de mi-mandat ont lieu dans un mois, font pression sur la Chine pour qu'elle laisse grimper le yuan contre le dollar, afin de corriger quelque peu le déséquilibre commercial entre les deux nations.

La Chambre des représentants américaine a élévé le ton en adoptant un projet de loi prévoyant des mesures de rétorsion contre la Chine, que nombre d'élus américains accusent de sous-évaluer volontairement sa monnaie. Le Premier ministre chinois, Wen Jiabao, a rétorqué en accusant le Congrès américain de politiser la question du taux de change de la monnaie chinoise et affirmé que l'excédent commercial de son pays était normal à son stade de développement. La proposition de loi, adoptée par les Américains ouvre la voie à la mise en place par les Etats-Unis de droits de douane supplémentaires sur des produits venant de Chine et risque ainsi de raviver des différends de longue date entre Washington et Pékin au sujet des échanges commerciaux et des emplois.

Le département américain du Commerce est en effet autorisé à traiter "les devises fondamentalement sous-évaluées" comme des subventions illégales aux exportations.

Chine
Avec 9,6%, le FMI prévoit en 2011 une douzième année consécutive d'une croissance à plus de 8% pour la Chine. En une décennie, la taille de son économie a presque triplé. Selon les chiffres de l'institution, elle avait dans ses coffres fin juin près de 30% des réserves des Etats en devises étrangères, avec 2.447 milliards de dollars. Autant dire que les Etats-Unis et la Chine sont liés, une trop forte baisse du dollar par rapport au yuan chinois pèseraient fortement sur la valeur de ce trésor.

Les Chinois en sont conscients puisqu'ils ont indiqué vouloir diversifier leurs achats de devises étrangères avec la masse énorme d'argent qu'ils tirent de leur balance commerciale excédentaire. Un excédent que certains estiment liés en partie à une sous évaluation de la monnaie chinoise.

DSK appelle la Chine à accélérer le processus de réévaluation de sa devise. L'insistance des Etats-Unis et de l'Europe n'y aura rien fait: la Chine tient à aller à son rythme dans la réévaluation du yuan qu'elle a annoncée en juin. "Nous faisons cela de manière progressive, plutôt que par une thérapie de choc", a tranché le gouverneur de la banque centrale de Chine, Zhou Xiaochuan.

En quatre mois, le yuan est monté de 2,4% face au dollar, après près de deux ans de quasi-immobilité. La Chine estime avoir fait des progrès notables puisque sa monnaie est à son plus haut depuis la dévaluation de 1994, mais les Etats-Unis, les Européens et les Japonais se disent insatisfaits.

Japon et asie
le Japon est intervenu mi-septembre, pour la première fois depuis six ans, pour freiner la hausse du yen. Conséquence, l'Allemagne en a bénéficié note certains analystes. "Elle a pu vendre ses voitures dans le monde entier parce que le yen était aussi cher", a indiqué un responsable de la BCE.

Les pays asiatiques émergents sont pris entre deux feux. Comme Pékin garde fermement le contrôle de son taux de changes, leurs devises se sont appréciées plus que le yuan face au dollar, ce qui rend leurs exportations moins compétitives que les chinoises. Les devises asiatiques s'apprécient à cause de l'arrivée massive de flux financiers vers les pays émergents. Ces pays offrent en effet des taux de rendement supérieur à ceux des Etats-Unis, d'Europe et du Japon, qui souffrent d'une croissance anémique, note David Carbon (DBS Bank).

Selon l'institut International Finance, installé à Washington, les pays émergents devraient recevoir, en solde net, 825 milliards de dollars en 2010, contre 581 milliards en 2009. Depuis janvier, les devises asiatiques se sont appréciées de 6% en moyenne face au dollar US, avec en tête le ringgit malaisien et le baht thaïlandais (+9%), selon DBS Bank. Le yuan n'a augmenté que de 2%.3 Les banques centrales peuvent intervenir sur les marchés mais elles préfèrent jusqu'à présent ne pas puiser dans leurs réserves en raison des risques d'inflation. La roupie indienne est à un plus haut depuis deux ans et une intervention n'est pas probable à court terme car la vigueur de sa monnaie aide la banque centrale à freiner l'inflation.

Reste que quelles que soient les mesures prises par les Etats en matière de changes, l'importance des volumes quotidiens négociés sur les marchés rend difficile toute intervention à court terme. Ces marchés tout puissants se basent sur des données comme les taux d'intérêts, les balances commerciales, les réserves de change...et les interventions des banques centrales pèsent peu face aux volumes générés par les marchés (plusieurs milliers de millards de dollars s'échangent chaque jour). Récemment la Suisse et le Japon ont pu constater que leurs interventions n'ont rien pu faire pour faire évoluer le cours de leur monnaie. Le G20 pourra-t-il faire mieux ?

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