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Lettre incendiaire du PDG de Titan sur Goodyear : caricature ou réalité ?

Le courrier acerbe de Maurice Taylor à Arnaud Montebourg révèle un certain nombre de faits réels... mais trahit aussi une vision de la mondialisation particulièrement cynique. 

Article rédigé par Bastien Hugues
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
Des salariés de l'usine Goodyear d'Amiens (Somme), dont le délégué syndical CGT Mickaël Wamen (à dr.), à la sortie de leur entreprise le 7 février 2013. (PHILIPPE HUGUEN / AFP)

C'est une lettre incendiaire, brutale, écrite au vitriol. Mais qui révèle un certain nombre de réalités. Alors qu'Arnaud Montebourg lui demandait de revenir à la table des négociations pour la reprise du site Goodyear d'Amiens-Nord, le PDG de Titan se lâche dans un courrier, et dit tout le mal qu'il pense des ouvriers amiénois. Des fainéants trop payés, explique-t-il en substance, soutenus par des syndicats extrémistes et le gouvernement. 

Alors ces mots de Maurice M. Taylor Jr – qui se surnomme lui-même "le Grizzli" – sont-ils ceux d'un "déficient mental", comme l'estime le délégué CGT de Goodyear, Mickaël Wamen ? Pas forcément. Quand il explique avoir visité l'usine d'Amiens "à plusieurs reprises" et constaté que "les ouvriers ne travaillent que trois heures" par jour, "Morry" Taylor ne fait que caricaturer un fait bien réel.

"Si on travaille trois heures par jour, 
c'est parce qu'on nous demande de ne pas surproduire !"

Ces dernières années, dans l'usine, la production n'a cessé de chuter, notamment en raison de la conjoncture économique et de la crise qui frappe le secteur automobile. Aujourd'hui, l'usine tourne au ralenti et ne produit plus que 3 000 pneus par jour. "Une fois que ce ticket de production est rempli, on nous demande d'arrêter le travail pour ne pas surproduire, explique un syndicaliste joint par francetv info. "Quand j'ai terminé, je tourne, je me promène dans l'usine", témoignait déjà un ouvrier sur Mediapart il y a quelques jours. "On vient au boulot pour travailler deux heures sur huit, ou trois heures sur douze. (...) Certains dorment, d'autres jouent aux cartes. Des fois, il y a des bagarres", racontait une autre. "Là où Taylor est salaud, reprend le responsable syndical, c'est quand il laisse entendre que si on ne travaille que trois heures par jour, c'est parce qu'on ne veut pas bosser plus !"

Quand il dénonce "le syndicat fou" de Goodyear, le PDG de Titan ne fait qu'ajouter sa voix au concert de critiques à l'égard de la CGT. Le syndicat a décidé de ne rien céder aux exigences de la direction en matière de flexibilité et, au contraire, mène une bataille judiciaire de tous les instants pour faire capoter toute tentative de plan social.

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L'UMP juge les propos de Taylor "pas totalement infondés"

Parce qu'il est un entrepreneur ultra-libéral et provocateur, "le Grizzli" ne s'arrête pas là : dans sa lettre au ministre du Redressement productif, Taylor met aussi en concurrence directe les ouvriers français avec ceux de Chine ou d'Inde. "Titan va acheter un fabricant de pneus chinois ou indien, payer moins d'un euro l'heure de salaire et exporter tous les pneus dont la France a besoin", lance-t-il à Arnaud Montebourg

Les mots sont crus, mais, pour certains, traduisent simplement la dure réalité d'un système économique libéral et mondialisé. "Il y a une lettre moqueuse et caricaturale, mais pas totalement infondée, analyse par exemple sur LCI le député UMP et ancien président de l'Assemblée nationale, Bernard Accoyer. La France a un grave problème de compétitivité. Le gouvernement lui-même l'a reconnu." Un sentiment partagé par l'un des vice-présidents de l'UMP, Christian Estrosi, qui estime sur France Inter que "nous sommes traînés dans la boue par les messages si négatifs que nous envoyons"

D'accord ou pas avec leur analyse, le courrier incendiaire de Maurice Taylor révèle en tout cas combien l'image de l'industrie française se dégrade au fil du temps, met en lumière la mondialisation comme elle est, et souligne l'ampleur du travail qui reste à accomplir pour Arnaud Montebourg.

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