Les ex-SeaFrance peuvent-ils prendre la mer sans prendre l'eau ?
La Scop des anciens SeaFrance, My Ferry Link, a vécu avec émotion, lundi, la première traversée de leur "Berlioz", après plus de 9 mois d'interruption de trafic. Marché concurrentiel, querelles internes… Quel est son avenir ?
ECONOMIE - Peint en bleu, blanc et rouge, le Berlioz est avant tout le symbole d'une victoire pour les anciens salariés de SeaFrance. Le navire a quitté lundi 20 août au matin le port de Calais (Pas-de-Calais) à destination de Douvres (Angleterre), faisant de cette traversée la première sous pavillon français depuis l'interruption du trafic des ferries SeaFrance, le 15 novembre 2011.
Car le Berlioz, avec le Rodin et le Nord/Pas de Calais sont les trois bateaux de la compagnie My Ferry Link (MFL), la nouvelle société d'exploitation constituée en coopérative ouvrière (Scop) gérée par les anciens salariés de SeaFrance. Des ferries loués à leur propriétaire, Eurotunnel. "C'est une nouvelle page qui s'écrit", insiste Raphaël Doutrebente, directeur général adjoint de MFL.
Un signe d'espoir pour ses quelque 400 salariés. Mais la concurrence du secteur et les vieilles querelles internes risquent de fragiliser la toute nouvelle Scop. My Ferry Link peut-elle réussir là où SeaFrance a échoué ?
Se faire une place dans un marché ultraconcurrentiel
Pour ses premières traversées, MFL "n'attend pas de miracle". "Notre objectif est de faire reprendre la mer à ses bateaux et à ses marins (…) et asseoir notre existence", a déclaré à l'AFP son directeur général, Jean-Michel Giguet.
Il vise tout de même, d'ici deux ans, "12 à 14%" de parts de marché pour l'activité fret, et "8 à 10%" pour l'activité passagers. Des prévisions nettement inférieures aux 18% détenus par SeaFrance avant l'interruption de son trafic. Mais pour pallier ces débuts difficiles, Eurotunnel "a défini le montant des loyers fixes des trois navires en fonction des prix du marché", a expliqué son PDG, Jacques Gounon, au site spécialisé WK Transport-Logistique.
Car sur la route Calais-Douvres, la concurrence est rude. Depuis la liquidation judiciaire de SeaFrance, la compagnie britannique P&O Ferries a augmenté sa flotte et Louis Dreyfus Armateurs, associé à DFDS Seaways, a mis en service deux navires sur le détroit, récupérant ainsi la clientèle de SeaFrance. Mais Raphaël Doutrebente tempère : "Il y a de la place pour tout le monde, surtout avec un nouvel opérateur, sous pavillon français, qui veut assurer un service de qualité."
Eurotunnel asseoit son hégémonie
Depuis que le tribunal de commerce a attribué en juin à Eurotunnel les trois navires de SeaFrance, l'exploitant danois DFDS Seaways a "émis des réserves auprès des autorités de la concurrence européenne quant à la conformité de la transaction", indique Nord Littoral (article payant). Si la concurrence voit rouge, c'est que le groupe franco-britannique conforte ainsi sa position dominante sur le détroit du Pas-de-Calais avec 43% du marché du fret, poursuit le quotidien.
Les détracteurs de My Ferry Link critiquent eux aussi la démarche du PDG d'Eurotunnel. En 2011, Jacques Gounon, qui craignait pour son groupe, dénonçait une "surcapacité du détroit" et fustigeait les subventions dont aurait pu bénéficier SeaFrance, indiquait La Voix du Nord…
Mais les risques pour l'entreprise sont mesurés. En juin dernier, le journaliste Stéphane Lauer estimait sur son blog que "si cela tourne mal, Eurotunnel aura pu peser sur sa concurrence maritime et pourra toujours revendre ses navires achetés à un prix défiant toute concurrence".
Querelles internes et soupçons de malversations
Avec l'embauche de 395 marins et sédentaires, "majoritairement des ex-SeaFrance", "on a redonné de l'emploi à des gens qui étaient au chômage depuis des mois, qui ont énormément souffert et qui aujourd'hui sont très investis", s'est targué le directeur général adjoint de My Ferry Link.
Mais une ombre plane encore sur la Scop : "Le fait que Didier Cappelle, le leader de la CFDT-Maritime, exclu de sa confédération, et Eric Vercoutre, le secrétaire du comité d’entreprise espèrent y jouer les premiers rôles, alors qu'ils sont soupçonnés de malversations", rappelle Stéphane Lauer. Car la gestion de SeaFrance est pointée du doigt depuis 2009 et un rapport accablant de la Cour des comptes, et certains salariés dénoncent même un "système CFDT" aux pratiques troubles.
A l'époque, des non-syndiqués CFDT avait d'ailleurs refusé de faire don de leurs indemnités pour la création de la Scop : "Si c'est pour reconduire le même modèle économique qui nous fait perdre 30 millions par an et nous a conduits à cette situation, ce n'est pas la peine", estimait un salarié.
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