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La Scop peut-elle sauver SeaFrance ?

En France, de plus en plus d'entreprises adoptent le statut de Société coopérative et participative (Scop). Les salariés de SeaFrance misent sur ce modèle d'entreprise dirigée démocratiquement pour sortir la compagnie de ferries de la crise. 

Article rédigé par Marie-Adélaïde Scigacz
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Un ferry de SeaFrance à quai à Calais (Pas-de-Calais), le 31 décembre 2011.  (PHILIPPE HUGUEN / AFP)

A la demande des représentants des salariés, les juges du tribunal de commerce de Paris ont accepté de reporter l'audience décisive du mardi 3 janvier : l'examen du projet de reprise par les salariés de la compagnie de ferries SeaFrance se tiendra lundi 9 janvier. 

Ce délai devrait permettre aux acteurs du "sauvetage" de se réunir dès demain afin d'en "définir les modalités techniques et financières", prévoit Philippe Brun, avocat de la CFDT Maritime Nord. Le projet de Société coopérative et participative (Scop), porté par le syndicat majoritaire, suscite espoirs, interrogations et débats houleux.   

Les espoirs : la Scop, solution miracle ? 

          • Le maintien des 880 emplois 

16 novembre 2011, à Calais (Pas-de-Calais). Une centaine de salariés est réunie pour entendre la décision du tribunal de commerce de Paris : la liquidation judiciaire de cette filiale de la SNCF qui assure la liaison Calais-Douvres, en grande difficulté depuis plusieurs années. Mais, bonne nouvelle, il maintient l'activité jusqu'au 28 janvier. Des cris de joie s'élèvent dans le hangar.

Sursis de 3 mois pour Seafrance après la liquation judiciaire ( Denis Guérin et Patrick Wursthorm - France 2)

Si l'entreprise reste à la dérive, les salariés disposent de deux mois pour proposer un projet de reprise. Dès lors, ils entendent porter jusqu'au bout l'option de la Scop, qui prévoit de conserver l'intégralité des 880 emplois en CDI. Quelque 600 salariés auraient adhéré à ce projet, selon la CFDT.

Le tribunal devra trancher : c'est la Scop... ou rien.  Retoquée par le tribunal de commerce, l'offre de reprise partielle portée par Louis Dreyfus Armateurs et le danois DFDS n'a pas abouti. Fermement combattue par le syndicat, elle proposait de conserver 460 équivalents temps plein, et trois des quatre navires, pour un prix d'achat de 5 millions d'euros. 

           • Les salariés maîtres de leur destin

Dans une Scop, les salariés détiennent au moins 51 % du capital et 65 % des voix lors des votes en assemblée générale. "Concrètement, ce statut présente trois avantages", résume Jean-François Draperi, maître de conférences en sociologie du travail au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam) et rédacteur en chef de la Revue internationale de l’économie sociale :

de meilleures conditions de travail. Parce que les salariés se sont approprié l'outil de travail, "on note qu'ils s'investissent davantage et entretiennent de meilleurs rapports avec le travail", explique le sociologue.

de bons résultats. "Au minimum, 15 % des bénéfices d'une Scop doivent alimenter une réserve financière impartageable (fonds propres), note-t-il. Mais on constate dans la pratique que les Scop choisissent d'en injecter en moyenne 40 %." Une garantie de pérennité. En France, "les 350 Scop qui exercent dans le secteur industriel ont stabilisé leurs emplois, alors que la tendance est au licenciement."

- pas de risque de délocalisation. "Le fonctionnement démocratique de la Scop implique que chaque salarié membre de la coopérative compte pour une voix dans la prise de décision. Comment pourraient-ils vouloir la délocalisation ?" interroge le chercheur. Cela leur vaut d'être bien vues des collectivités locales.

Quant à savoir si ce modèle s'applique à une entreprise de la taille de SeaFrance, Jean-François Draperi rappelle que "si la majorité des Scop ont en moyenne 20 salariés, il existe quelques exemples d'entreprises de plus de 1 000 salariés, dans l'industrie, qui fonctionnent très bien sous ce statut."

Les interrogations : le casse-tête du financement 

         • Le gouvernement à la rescousse 

Des salariés qui rachètent leur outil de travail ? Compliqué lorsqu'il s'agit d'un atelier, pour une entreprise de ferries, le défi se révèle difficilement surmontable. Sur les 50 millions d'euros nécessaires à la reprise de l'activité, les salariés ont réuni un peu plus de 100 000 euros. 

Ouvertement critiqué par le ministre chargé des Transports, Thierry Mariani, qui évoquait vendredi une situation dans "l'impasse" et le "fanatisme" de certains responsables syndicaux, le projet de coopérative s'est finalement attiré les faveurs du gouvernement. "Ce projet est finançable à condition que les salariés y croient et à condition que le tribunal de commerce lui donne sa chance", a corrigé le ministre lundi.

"Je ne vous dis pas que c'est gagné, mais au moins il y a une chance", a renchéri Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de l'Ecologie. Envoyée sur le pont par Nicolas Sarkozy, elle a indiqué lundi que la SNCF, propriétaire de SeaFrance, pourrait verser entre 50 000 et 60 000 euros d'indemnités exceptionnelles à chaque salarié. Cet argent serait voué à financer la Scop. Ce "montage juridique abracadabrantesque", selon les termes de Philippe Brun, avocat de la CFDT Maritime Nord, ne satisfait pas les salariés.

Par ailleurs, les collectivités locales du Nord-Pas-de-Calais ont proposé de s'engager à hauteur de 12 millions d'euros. 

La solution proposée par le gouvernement a provoqué la colère d'une autre compagnie de ferries assurant la traversée de la Manche, la britannique P&O : "Nous déposerons immédiatement une plainte auprès des autorités de Bruxelles au moindre signe de la poursuite des aides apportées par l'Etat français à cette entreprise", a menacé P&O, qui y voit une entorse au principe de libre-concurrence.  

il dit / il a dit : le gouvernement change de cap sur SeaFrance (Benoît Zagdoun - France 2)

         • Des salariés pas tous convaincus

Aux yeux de certains salariés, ce coup de pouce surprise, à quelques mois d'une élection présidentielle dominée par les questions d'emploi, sent le cadeau empoisonné. "Certaines personnes vont s'engager, et d'autres non, prévoit un salarié interrogé devant l'entreprise mardi à Calais. On prend [cette proposition] comme un piège et non comme un cadeau." Comment s'assurer en effet que les salariés accepteront tous d'investir le montant de leur indemnisation dans le projet de reprise ? 

Les salariés de SeaFrance à Paris ( L. Bazizin, O. Sibille et E. Beke / France 2)

 Le débat : au-delà du statut, le projet est-il assez solide ?

         • Les non-syndiqués dénoncent le projet de la CFDT

A Calais, des employés non-syndiqués de SeaFrance ont déjà assuré qu'ils ne verseraient pas leurs indemnités dans ce projet auquel ils ne croient plus : "Nous n'avons pas mis 100 euros dans le projet de Scop, alors ce n'est certainement pas pour y mettre 50 000 euros", assure un salarié interrogé dans l'édition de mardi du quotidien local Nord Littoral (article payant)

Toujours selon le journal, les non-syndiqués ne dénoncent pas le principe de la Scop, mais sa gestion. "Si c'est pour reconduire le même modèle économique qui nous fait perdre 30 millions par an et nous a conduits à cette situation, ce n'est pas la peine, estime un salarié. Repartir avec plus de 800 personnes, c'est voué à l'échec. Nous savons bien que l'hypothèse haute pour une compagnie comme la nôtre doit compter 650 salariés."

         • Un statut qui ne suffit pas à assurer le succès

Porté par la CFDT Maritime du Nord-Pas-de-Calais, le projet de Scop n'a pas convaincu tous les syndicats. Mardi, le secrétaire général de Force ouvrière, Jean-Claude Mailly, a dit sur RTL attendre de "voir la concrétisation" de cette Scop, car "la mécanique est assez compliquée" et ce n'est "pas une solution miracle""Nous sommes attachés aux Scop" mais ce dispositif "ne s'improvise pas". "Les Scop, ce n'est pas des ambulances non plus. Il y a trop de tentatives qui ont échoué", a prévenu le responsable syndical.

"Au lieu de se focaliser sur la question du financement, il aurait mieux valu parler du projet de reprise en lui-même, de ce qu'il propose, avertit Jean-François Draperi. Le sociologue insiste : "Une Scop est avant tout une entreprise. Les salariés peuvent y investir autant d'argent qu'ils le souhaitent, si le projet économique derrière n'est pas viable, l'entreprise ne pourra pas se maintenir, qu'importe son statut juridique. La Scop n'est pas une bouée de sauvetage." En espérant que SeaFrance évite la noyade.

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