À l'usine Whirlpool d'Amiens, menacée de fermeture : "Marine Le Pen, on en parle de plus en plus"
À Amiens, l'usine Whirlpool sera bientôt délocalisée en Pologne. Pour les 286 ouvriers en lutte, le chômage se profile. Benjamin Illy, reporter à franceinfo, est allé leur poser cette simple question : "Pour qui voterez-vous à l'élection présidentielle ?"
Le drame social se joue à environ trois kilomètres du centre-ville d'Amiens, en Picardie. Il nous faut prendre le bus n°1 et laisser derrière nous la gare et la fameuse Tour Perret. Sur le trajet, une passagère se demande ce que nous faisons là, avec notre micro franceinfo. Nous venons demander aux salariés de l'usine de sèche-linge Whirlpool pour qui ils voteront à l'élection présidentielle.
Pour ces 286 salariés, c'est le chômage qui se profile. Leur usine sera bientôt délocalisée en Pologne, car la direction de Whirlpool, américaine, veut davantage de rentabilité. L'usine d'Amiens, dont la fermeture est programmée pour 2018, vit le quatrième plan social de son histoire, après ceux de 2002, de 2005 et de 2008. L'entreprise comptait auparavant 1 300 salariés. Pour les ouvriers, les perspectives sont difficiles. La moyenne d'âge dans l'usine est de 48 ans.
"Avec tout ce qu'on entend... Non, je n'ai aucune envie d'aller voter"
Dans le bus, la vieille dame s'interroge : "Ils vont voter Fillon ? Macron ? Non ? Je ne sais pas". Le chauffeur du bus parie plutôt sur un vote à gauche. "Peut-être Mélenchon", dit-il. Le bus finit par s'arrêter devant l'usine Whirlpool, très imposante, toujours en activité. Les camions de livraison effectuent leur va-et-vient. En 2016, les ouvriers ont produit 620 000 sèche-linge. Mais si le site tourne à plein régime, son horizon est bien celui de la délocalisation et des licenciements.
À l'entrée, les salariés en lutte ont accroché des banderoles, demandant "zéro licenciement". "Non à la fermeture", peut-on lire encore sur une banderole déchirée, accrochée à une grille. Tout un symbole. Devant le tourniquet d'entrée, tentative d'approche avec le micro : "Bonjour Monsieur, c'est pour parler de la présidentielle". La réponse du salarié en colère fuse : "C'est tous des cons ! Ils ne pensent qu'à leurs gueules !"
Frédéric Chanterelle, délégué CFDT de l'usine, prend la parole : "Avec tout ce qu'on entend, tout ce qu'on voit... Des emplois fictifs, des sommes astronomiques, des costumes... À l'heure actuelle non, je n'ai aucune envie d'aller voter."
J'en ai ras-le-bol de toute cette politique pourrie qui envahit notre vie, alors qu'on se crève le cul avec moins de 1 500 euros par mois.
Frédéric Chanterelle, CFDTà franceinfo
Et sur Emmanuel Macron ? L'enfant du pays, originaire d'Amiens, en bonne place pour se qualifier pour le second tour ? Il n'a pas pris le temps de rendre visite aux salariés de Whirlpool. "Emmanuel Macron, c'est quand même un produit d'Amiens. Et on ne l'a pas encore vu, s'exclame Frédéric Chanterelle. Il aurait dû être l'un des premiers. Il aurait pu dire qu'il était derrière nous."
La tentation Front national
Le syndicaliste aimerait que le candidat du mouvement En Marche se batte, lui aussi, pour empêcher les départs de multinationales d'Amiens. La ville accumule les plans sociaux, notamment celui de l'usine Goodyear en 2014. À côté de Frédéric Chanterelle, Patrice Sinoquet est lui aussi délégué CFDT. Et lui non plus n'ira pas voter. "De toute façon, dans un an, on est virés", dit-il.
On va vendre la maison et on va se tirer au Portugal ou en Espagne. Et basta pour la France ! Ras-le-bol !
Patrice Sinoquet, CFDTà franceinfo
Quant à Antonio Abrunhosa, syndiqué CGT, il affirme avoir brûlé sa carte d'électeur. Et ne lui parlez pas du Front national : "C'est pareil ! Ils sont appelés à se présenter devant la justice, ils n'y vont pas... Ils font ce qu'ils veulent ! Moi, je ne vote pas pour tous ces gens-là !" Pour Frédéric Chanterelle, l'arrivée de Marine Le Pen à l'Élysée, "c'est une fatalité". Et d'ajouter que "les plus grands fautifs, ce seront les politiciens".
12h30. C'est l'heure du changement d'équipe. Les ouvriers passent un à un le tourniquet. Ils sont pressés, stressés. Ils n'ont pas envie de parler. Ceux qui acceptent d'évoquer leur vote seront souvent des abstentionnistes. "Je suis dégoûtée. Je n'ai confiance en aucun", confie une salariée. "Je veux une femme au pouvoir !", lâche une autre. L'un de ses collègues la taquine : "Elle vote Le Pen... Raciste !" Il se met à rire.
Particulièrement tendu, un salarié nous confie avoir déjà passé 38 ans à l'usine Whirlpool. "Je vote Front national et puis c'est tout, dit-il. La dernière fois, on a voté 'Flamby' [François Hollande, ndlr] et il a rien branlé. La prochaine fois, ce sera Marine. Et si elle ne fait pas le job, on la virera !" Un dernier salarié, 58 ans, accepte de nous parler de son bulletin de vote. Là encore, ce sera une voix pour le FN. "Marine Le Pen, à l'usine, on en parle de plus en plus, explique-t-il. Elle va remettre les frontières. Nous, on va être délocalisés. Ça ferme. On part en Pologne."
Plus rien ne va en France. Il faut changer.
un salarié de 58 ansà franceinfo
L'homme conclut en nous disant qu'il faut donner une chance à la patronne du Front national. Pour ce qui est des conséquences d'un tel choix, il sourit et répond : "On verra avec le temps".
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