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Témoignages Rentrée des classes : l'un a démissionné, l'autre a "toujours envie", deux enseignants racontent leur métier

Romain a enseigné quatre ans à l'école publique avant de jeter l'éponge. Il travaille aujourd'hui dans le privé où il gagne 70% de plus. Cécile est institutrice depuis 25 ans. Sa motivation ne décroît pas malgré les difficultés avec les parents et la baisse incessante de son pouvoir d'achat. Portraits croisés.

Article rédigé par franceinfo - Thomas Giraudeau
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Cécile est professeure des écoles depuis 26 ans en région parisienne. Elle assure n'avoir jamais douté, n'avoir jamais voulu changer de métier, malgré les difficultés.  (THOMAS GIRAUDEAU / FRANCEINFO)

Quand Romain s'est présenté pour la première fois devant des élèves, il y a quatre ans, il était plein de bonnes intentions. "Je voulais transmettre des connaissances, véhiculer des informations, éduquer les jeunes de demain", se remémore-t-il. Mais petit à petit, sa motivation s'étiole.

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Affecté, comme beaucoup d'enseignants en début de carrière, dans l'académie de Créteil, il enseigne durant trois ans dans un lycée général de Seine-Saint-Denis. Rapidement, le professeur de physique-chimie est confronté au manque de moyens de l'établissement. Impossible d'avoir le matériel qu'il demande pour les travaux pratiques. "Quand je dénonçais un problème auprès de ma hiérarchie, je n'étais pas soutenu", décrit-il, parlant de "mur" en face de lui. C'est la  première raison qui le pousse à partir.

Rémunération faible, frein à la mobilité

Vient ensuite la rémunération, "inconcevable pour vivre confortablement en région parisienne". En début de carrière, un enseignant dans le second degré gagne environ 1 800 euros net mensuels. Romain ne trouve pas que cette rémunération est "décente", au regard du niveau d'études exigé des enseignants, Bac+5, et par l'investissement horaire, devant les élèves et hors du lycée, "les soirs à corriger les copies, les week-ends à préparer des cours". Mais la goutte d'eau, c'est la question de la mobilité.

"Pendant dix ans, je ne peux pas acheter un appartement. Pendant dix ans, je suis loin de ma famille. Pendant dix ans, je ne vis pas dans la région de mon choix"

Romain, 30 ans, professeur de physique-chimie

à franceinfo

Un enseignant en début de carrière a le plus grand mal à quitter la région parisienne, en raison de son nombre de points accumulés, insuffisant pour être muté dans les académies les plus prisées, du sud et de l'ouest de la France. "Quand on a 30 ans, on n’a pas du tout envie d’entendre qu’il faut attendre cinq à dix ans pour retourner ou aller dans les régions qu’on souhaite." Sauf à "se pacser avec un ami" afin d'invoquer le rapprochement de conjoint. Une pratique loin d'être rare dans l'enseignement.

Impossible d'attendre aussi longtemps. Romain a démissionné de l'Éducation nationale en juin dernier. Il est parti s'installer à Saint-Nazaire, où il enseigne dans une école d'ingénieurs, privée. Son salaire a augmenté de 70%.   

"Au bout de 25 ans, j'ai toujours envie"

Quitter l'Éducation nationale, et ses élèves de grande section, Cécile assure n'y avoir jamais pensé. "Au bout de 25 ans d'enseignement, j'ai toujours envie", assure-t-elle. "J'ai la chance de faire un métier que j'aime, je ne m'accorde pas le droit de le remettre en cause".  Elle a "fait une croix sur la possibilité de rejoindre [sa] famille dans le sud de la France". La professeure des écoles a aussi construit sa vie en région parisienne, où elle enseigne depuis quinze ans dans une école d'un quartier populaire des Hauts-de-Seine. 

Les bonnes relations, la camaraderie avec ses collègues, enseignants de longue date dans son école, "où on bidouille, on se débrouille avec les moyens du bord", aident beaucoup à se sentir bien, à se soutenir quand c'est nécessaire. Mais les deux dernières années, marquées par la crise sanitaire, ont été très difficiles. Entre confinements, fermeture de l'école au printemps 2020, cours en pointillés avec les élèves malades ou cas contacts, absents et à gérer, Cécile a eu besoin de "couper avec l'école, faire un break" cet été. "Mon travail prenait trop le pas sur ma vie privée, décrit-elle. J'ai eu besoin de faire une pause pour retrouver ma motivation, qui s'était un peu étiolée à la fin de l'année scolaire"

Cécile constate notamment la dégradation des relations avec les parents d'élèves. "Ça m'a affecté, je pensais être blindée par rapport à cela mais en fait non. J'ai remis en cause mes méthodes d'enseignement", confie-t-elle. Mais sa motivation, sa vocation restent intactes. 

"Je fais un métier qui a du sens. Il faut que l'école tienne bon dans notre société." 

Cécile, professeure en grande section

à franceinfo

"Il est concret. Je transmets des connaissances, je vois progresser, avancer, apprendre de leurs erreurs les enfants", décrit l'enseignante toujours passionnée. 

Elle subit aussi la baisse de son pouvoir d'achat depuis des années, avec le gel du point d'indice. De plus, depuis cinq ans, son école n'est plus située en réseau d'éducation prioritaire. Cécile ne touche plus la prime de 145 euros afférente, et sa classe n'est pas dédoublée, contrairement à la majorité des classes de Grande Section, CP et CE1 en REP. L'enseignante attend de voir si elle sera concernée par les hausses de salaires, +10%, promises par le président de la République. Elle espère pouvoir retrouver, en cette année scolaire qui débute, des conditions normales d'enseignement. 

L'un a perdu sa motivation, l'autre a toujours envie : Thomas Giraudeau a rencontré deux enseignants en cette veille de rentrée 2022.

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