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Affaires Dupond-Moretti et Lecornu : trois questions sur le délit "prise illégale d'intérêts" dont sont accusés les deux ministres

Sébastien Lecornu et Eric Dupond-Moretti font chacun l'objet d'une enquête pour ce type d'infraction, qui peut être punie de cinq ans d’emprisonnement.

Article rédigé par franceinfo
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Le délit de "prise illégale d'intérêts" est défini par l'article 432-12 du Code pénal. (GUILLAUME SOUVANT / AFP)

Le premier se voit reprocher des conflits d'intérêts liés à ses anciennes activités d'avocat, le second est soupçonné d'avoir favorisé les intérêts de la Société des autoroutes Paris Normandie (SAPN) lorsqu'il était président du conseil départemental de l'Eure. Les ministres de la Justice et des Outre-Mer, Eric Dupond-Moretti et Sébastien Lecornu, sont poursuivis pour "prise illégale d'intérêts".

Une information judiciaire a été ouverte, mercredi 13 janvier, contre le garde des Sceaux. Elle est menée par la commission d'instruction de la Cour de justice de la République. S'agissant de Sébastien Lecornu, Libération a révélé mercredi qu'il était visé par une enquête préliminaire du Parquet national financier, depuis mars 2019, soit une période antérieure à sa nomination au gouvernement.

1Quelle est la définition de la "prise illégale d'intérêts" ?

Le délit de "prise illégale d'intérêts" est défini par l'article 432-12 du Code pénal : il s'agit du fait, "par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public ou par une personne investie d'un mandat électif public, de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l'acte, en tout ou partie, la charge d'assurer la surveillance, l'administration, la liquidation ou le paiement".

Peuvent donc être concernés par cette infraction un représentant de l'Etat (un ministre, un secrétaire d'Etat, un préfet...), un élu (un maire, ses adjoints, un conseiller municipal, un président de conseil général...), un fonctionnaire de l'ordre administratif (un policier, un gendarme...), un officier ministériel (un notaire ou un huissier de justice) ou une personne chargée d'une mission de service public (un directeur d’hôpital, un président d’université...).

Cette infraction est punie de cinq ans d’emprisonnement et d’une amende de 500 000 euros, dont le montant peut être porté au double du produit tiré de l’infraction.

2Comment se caractérise ce délit ? 

Les contours de ce délit ont été élargis au fur et à mesure par la jurisprudence. Pour caractériser la "prise illégale d'intérêts", il suffit de prouver "l'intérêt quelconque" de la personne incriminée, qui peut être un lien d'amitié par exemple. Ou le fait de participer à un vote attribuant des subventions à une association que l'on préside.

La recherche de gains ou de profit personnel n'est pas nécessaire, comme l'a estimé un arrêt de la Cour de cassation en 2000De même, l’infraction n’implique pas que son auteur ait eu la volonté de frauder. L’intention coupable est caractérisée "du seul fait que l’auteur a accompli sciemment l’acte constituant l’élément matériel du délit", comme l'a détaillé un autre arrêt de la Cour de cassation en 2002.

Six ans ans plus tard, la juridiction a considéré que l’intérêt pris par l’agent ou l'élu n'était pas non plus nécessairement contraire à l’intérêt public ou général servi dans le cadre de ses fonctions. 

3Existe-t-il des exceptions ?

Comme l'explique le cabinet ACI, spécialisé en droit pénal, sur son site, les maires des petites communes ont déjà exprimé leur crainte de se placer à tout bout de champ hors-la-loi à chaque prise de décision. Ainsi, l'article 432-12 prévoit des exceptions : le maire, ses adjoints et les conseillers municipaux délégués des communes de 3 500 habitants au plus peuvent obtenir une autorisation de la commune pour acquérir des parcelles ou conclure des baux pour leur habitation ou leur activité professionnelle. 

Reste que la jurisprudence invite toujours les élus locaux à faire preuve de la plus grande prudence dès lors que des interférences peuvent exister entre la sphère professionnelle et personnelle. En 2018, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi en cassation d'un maire condamné pour avoir participé à toutes les étapes du processus de décision ayant abouti à céder à une société un terrain communal pour la construction d’un éco-quartier, alors que le dirigeant de l'entreprise n'était autre qu'un ami de longue date et partenaire de golf.

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