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Agriculture : la France va revenir sur l'interdiction d'un insecticide pour préserver ses exportations de céréales

Le gouvernement souhaite déroger à l'interdiction de la phosphine pour ses exportations. Ce pesticide est interdit en France à compter du 25 avril, mais il est exigé par certains pays importateurs pour traiter les cargaisons de céréales.
Article rédigé par Guillaume Gaven
Radio France
Publié
Temps de lecture : 5min
Chargement de céréales au port de La Pallice (illustration). (CLAUDIUS THIRIET / BIOSPHOTO VIA AFP)

Les agriculteurs français pourront continuer à utiliser la phosphine pour traiter leurs céréales, et donc à exporter leur production hors de l'Union européenne. L'Agence française de sécurité sanitaire (Anses)  avait retiré son autorisation de mise sur le marché de ce puissant insecticide à compter du 25 avril. Mais face au tollé déclenché par le monde agricole, les ministères de l'Agriculture, de l'Economie et des Affaires étrangères sont allés chercher un arbitrage au plus haut niveau de l'Etat, à Matignon

Et c'est à l'Assemblée nationale qu'Olivier Becht, le ministre délégué au Commerce extérieur, a déroulé mardi 11 avril l'argumentaire du gouvernement. "L'Anses souhaitait interdire l'usage de la phosphine sur les exportations sur les céréales. Il n'y a aucune règle européenne qui empêche l'utilisation de ce produit lorsque les céréales sont à destination de l'exportation, lorsque le pays importateur l'autorise lui-même." En clair, la France n'ira pas au-delà du règlement européen qui, lui, autorise la phosphine. 
Marc Fesneau, le ministre de l'Agriculture, a mis lui aussi les points sur les i. "La France va continuer à exporter des céréales vers des pays tiers. Elle va le faire y compris après le 25 avril pour une raison simple, c'est qu'elle va le faire dans le cadre du droit européen qui permet de déroger à l'interdiction. Et je rappelle qu'elle va le faire à la demande des pays d'import."

La recherche d'un "cadre juridique clair"

Le gouvernement cherche donc un "cadre juridique clair" pour autoriser la phosphine. C'était un casse-tête pour les céréaliers : comment exporter quand certains pays exigent un pesticide sur un produit alors qu'en France, ce pesticide est interdit ? La phosphine (phosphure d'aluminium, ou PH3) est utilisée pour traiter les cargaisons de céréales lors de leur transport en bateau. En octobre 2022, l'Anses n'avait pas prolongé l'autorisation de son utilisation au contact direct des céréales et un délai de tolérance était fixé jusqu'au 25 avril. La conséquence, c'est que des millions de tonnes de céréales risquaient de ne plus pouvoir être exportées.

Cet insecticide est utilisé pour traiter par fumigation les cargaisons de céréales qui sont transportées par bateau. On y dépose une tablette de phosphine qui se désagrège à l'air. C'est la fumée que dégage la tablette qui est un insecticide. Le traitement est exigé par de nombreux pays importateurs hors Union européenne, pour une raison simple, explique Francis Fleurat-Lessard, ancien chercheur à l'Inrae, consultant, spécialiste de sécurité sanitaire des denrées stockées. "C'est un traitement curatif total, c'est-à-dire que même les insectes qui sont à l'intérieur des grains sous forme de larves sont atteints par ce gaz. Il ne laisse aucune trace, il n'y a pas de résidus." En cas d'exposition directe et prolongée ou d'inhalation, la phosphine est toxique pour l'homme. Une fois la fumigation terminée, la consommation des céréales est "sans danger pour l'homme". "Sauf que la fumigation met un certain temps et donc, pour les destinations courtes, il se peut que, à l'arrivée, le générateur n'ait pas dégagé tout le gaz." Sur un trajet long, vers l'Afrique par exemple, il n'y a donc pas de problème. Mais pour un trajet court à l'intérieur de l'Union européenne, les céréaliers préfèrent utiliser d'autres produits.

"Une catastrophe" pour les céréaliers

Certains pays importateurs exigent l'utilisation de cette phosphine. C'est le cas de l'Algérie, de la Tunisie, d'une grande partie des pays d'Afrique de l'Ouest. Un marché conséquent pour la France qui a exporté l'an dernier 13 millions de tonnes de céréales. La France est le quatrième exportateur mondial, la Russie le premier. Si la France n'exportait plus, les conséquences seraient considérables, rappellait Eric Thirouin, le président des Céréaliers de France, qui pointe "une catastrophe". "En face, ces pays sont extrêmement dépendants. Les céréales, c'est la base de l'alimentation de l'Afrique. On a vu quand la guerre de la Russie contre l'Ukraine a été déclenchée, cela a été des débuts d'émeutes dans ces pays-là et la panique générale pour pouvoir alimenter leur population."

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