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Discrimination à l'embauche : "C’est dommage que vous n’ayez pas 20 ans, avec dix ans d’expérience"

Le gouvernement lance de nouvelles mesures pour lutter contre la discrimination à l'embauche. Âge, religion, couleur de peau… Francetv info a interrogé des victimes de discriminations.

Article rédigé par Marthe Ronteix
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 5 min
Un demandeur d'emploi s'entretient avec une conseillère de Pôle emploi à Gravelines (Nord), le 30 mars 2016. (PHILIPPE HUGUEN / AFP)

"Aujourd’hui en France, à compétence égale, le nom et l’origine peuvent obliger à envoyer quatre fois plus de CV pour décrocher un entretien", affirme le ministère du Travai, en s'appuyant sur une étude de l'Institut Montaigne. Le gouvernement a donc annoncé plusieurs mesures, lundi 18 avril, tout en lançant une campagne de sensibilisation contre la discrimination à l'embauche.

En février dernier, le rapport annuel du Défenseur des droits avait déjà pointé la discrimination selon l'apparence physique.  Trop vieux, d'origine maghrébine ou avec la mauvaise couleur de peau… Fateah, Ange et Amine ont confié leurs expériences à francetv info.

Fateah, 46 ans, est devenue Fanny, 35 ans

La discrimination par le nom, Fanny l'a intégrée depuis longtemps. Née Fateah, l'administratice de ventes chevronnée a dû "franciser" son prénom dès le début de sa carrière professionnelle. "Sinon je n'avais aucun appel. Encore maintenant, dans les entreprises où j'ai travaillé, tout le monde m'appelle Fanny", raconte-t-elle.

Mais récemment, elle s'est heurtée à un nouveau critère discriminant : son âge. A 46 ans, Fanny fait partie de la catégorie des seniors, et pour trouver un emploi, cela peut devenir un obstacle majeur. Il y a quelques semaines, elle s'est présentée pour un poste dans une société de bureautique. Le premier entretien avec le directeur se passe très bien. Rendez-vous est pris pour la deuxième étape avec une consultante en recrutement. Et là, tout dérape. 

C’est dommage que vous n’ayez pas 20 ans avec dix ans d’expérience !

La consultante, s'adressant à Fanny

Présentant ensuite une expérience dans les télécoms en 1993, la consultante ne l'a pas cru. "'Vous mentez' : c'est ce qu'elle m'a répondu", s'indigne Fanny. L'entreprise n'a pas donné suite à sa candidature.

Une autre fois, un recruteur lui avait conseillé de se faire une couleur pour couvrir ses quelques cheveux gris. Fanny n'a cédé que sur un point, sa photo de profil. Elle a remplacé sa photo récente, pour une autre sur laquelle elle a dix ans de moins. Fanny ne voit qu'une seule explication à cette frilosité des entreprises à embaucher des seniors. "Elles craignent qu'on ait rapidement des problèmes de santé, que l'on soit absent et que ce soit les entreprises qui en fassent les frais". Après huit mois de chômage, Fanny vient de recevoir une proposition d'inscription via un site d'offres d'emplois pour seniors.

"Comme tu es black, est-ce que ça ne pourrait pas poser problème avec la clientèle ?"

Ange est encore abasourdi par son dernier entretien. Le jeune homme s'est présenté pour un poste de commercial à Orléans (Loiret). Après un rapide tour de l'entreprise, il est reçu par le recruteur. Le contact passe bien. "Il venait aussi de région parisienne et avait habité à côté de chez mes parents", se souvient Ange. Et puis sans transition, le recruteur lui déclare : "Comme t’es black, est-ce que ça ne pourrait pas poser un problème ? Ça serait sûrement compliqué avec la clientèle, surtout en province." Sans se démonter, le jeune homme met alors en avant son expérience professionnelle et ses compétences pour le poste. Et puis vient une deuxième remarque.

Mais là par exemple si je te mets un jogging et une casquette, tu vas ressembler à un jeune de cité.

Le recruteur, s'adressant à Ange

Le jour de l'entretien, Ange n'avait pas eu le temps de se raser. Comme pour montrer un exemple, le recruteur évoque ensuite ses deux collègues pakistanais qui s'en sortaient bien au Mans (Sarthe). Ange ne comprend pas la comparaison, et termine l'entretien sur une note plutôt positive. Quelques semaines plus tard, il n'a toujours pas de réponse.

"Avec le recul, je me rends compte que c'était de la discrimination. Je m'étais préparé à tout sauf à ce genre de situations, reconnaît le jeune homme. Ma mère m'avait déjà prévenu, mais je ne l'écoutais pas. Je me disais que les gens ne sont pas tous bêtes et qu'on ne vit plus au 19e siècle." Ange abordera ses prochains entretiens d'embauche avec une petite appréhension. "Mais ce qui m'a le plus étonné, c'est que le recruteur était d'origine maghrébine."

"Ah mais c'est quelqu’un qui déteste tout ce qui est 'rebeu' et 'renoi' !"

Que ce soit pour un logement ou toute démarche administrative, Amine est habitué à enchaîner les discriminations. Dans son travail, il y a été confronté une seule fois mais il n'est pas prêt de l'oublier. "Je suis entré à 20 ou 21 ans dans une grande entreprise, j'ai gravi les échelons et puis j'ai eu envie d'évoluer, raconte le jeune homme. Mon directeur m'a proposé un poste dans une autre branche de l'entreprise." Amine se rend donc dans un autre centre pour rencontrer le directeur en charge de ce domaine qui lui présente tous les aspects négatifs du poste, comme pour l'en dégoûter. "Mais j'étais jeune et très motivé donc ça ne m'a pas découragé." 

Quelques semaines après cet entretien, Amine reçoit une réponse négative. "On me reprochait mon manque de sens du relationnel alors que j'étais délégué du personnel." Ni lui ni son premier directeur ne comprennent ce motif. Quelques années plus tard et après avoir changé d'entreprise, Amine rencontre un ancien collègue lors d'une formation. Il évoque sa tentative de changement de poste et le refus du directeur. "Ah mais c'est quelqu’un qui déteste tout ce qui est 'rebeu' et 'renoi'! " Le jeune Algérien en est convaincu : s'il n'a pas obtenu le poste, c'est bien à cause de son origine.

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