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Commissaire au redressement productif : "Je mets de l'huile dans les rouages"

A travers une série d'articles, francetv info se penche sur l'action du ministère du Redressement productif. Reportage avec Pascal Théveniaud, qui estime avoir sauvé en deux ans 1 750 emplois sur 4 930 menacés en Languedoc-Roussillon.

Article rédigé par Simon Gourmellet
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Au centre, Pascal Théveniaud, commissaire au redressement productif pour la région Languedoc-Roussillon, le 28 mai 2014, dans les ateliers de l'usine Jallatte (Gard).  (SIMON GOURMELLET / FRANCETV INFO)

"Ça fait plaisir et ça remonte le moral." Chaussures de sécurité aux pieds, Pascal Théveniaud a le sourire en sortant des ateliers Jallatte. Derrière le commissaire au redressement productif (CRP) de Languedoc-Roussillon, les carrousels qui fixent les semelles tournent à nouveau et les cartons de chaussures se remplissent. L'usine gardoise, spécialisée dans les chaussures de sécurité, revit et ce "hussard" du redressement productif, installé par le ministre de l'Economie et du Redressement productif Arnaud Montebourg en 2012, y est pour quelque chose.

Il y a un an à peine, le groupe basé à Saint-Hippolyte-du-Fort était au bord du gouffre : un actionnaire qui cherchait à vendre, des machines à l'arrêt, et des salariés forcément inquiets. Même si aujourd'hui tout n'est pas réglé – il faut encore convaincre des clients échaudés par ce passage à vide –, "tout le monde recommence à y croire", assure au CRP Jean-Marie Calmane, le nouveau directeur du site installé par le repreneur italien Franco Uzzeni. C'est la première fois que les deux hommes se rencontrent depuis la relance de l'activité. L'occasion pour Pascal Théveniaud de surveiller la convalescence d'un malade au chevet duquel il s'est penché des jours entiers.

Le haut fonctionnaire se présente comme un "facilitateur" qui a mis "de l'huile dans les rouages" : pour aider l'actionnaire de l'époque, rassurer les salariés, puis, lorsque le propriétaire a finalement souhaité se défaire de Jallatte, trouver un repreneur. Concrètement, Pascal Théveniaud a mis tout le monde autour de la table, organisé des "comités techniques" pour recréer le lien entre les salariés et la direction, et bénéficié de l'appui de Bercy pour négocier la reprise.

"Ne pas apparaître comme un Zorro"

Depuis deux ans, il sillonne les cinq départements de la région pour aller à la rencontre de "ses clients", comme il les appelle. Premier de ses atouts : sa connaissance des arcanes de l'administration pour les guider vers les bons interlocuteurs. Le CRP s'appuie sur la Direction régionale des entreprises, de la consommation du travail et de l'emploi (Direccte) et, en lien avec le cabinet d'Arnaud Montebourg, peut guider les patrons en difficulté vers la Banque publique d'investissement (BPI). Ou les rapprocher des directeurs locaux des finances publiques "avec qui on peut discuter, et obtenir des moratoires de dettes. Pour les crédits impôt recherche, on arrive également à accélérer le paiement".

"On ne s'engage pas sur un résultat, précise Pascal Théveniaud. Mais on s'engage à bien les comprendre, à leur offrir un véritable service de proximité, et on mobilise les gens qu'il faut. Mais il est nécessaire de garder le juste équilibre pour ne pas apparaître comme un Zorro avec un remède miracle". 

Pascal Théveniaud informe le préfet de la reprise de l'activité à Jallatte (Gard) et évoque la fermeture d'une autre usine de la région.  (SIMON GOURMELLET / FRANCETV INFO)

De retour dans son bureau de Montpellier (Hérault), à une heure de route de Saint-Hippolyte-du-Fort, à peine le temps de grignoter un sandwich que les affaires reprennent. Au bout du fil, le préfet. Il cherche à caler une visite auprès d'un grand groupe américain qui veut fermer l'un de ses sites. L'occasion pour le CRP de lui glisser quelques mots sur Jallatte. "Faut bien donner quelques bonnes nouvelles de temps en temps." Pascal Théveniaud estime avoir préservé en deux ans 1 750 emplois sur 4 930 menacés. Mais la pile de ses dossiers, 150 en moyenne, ne diminue jamais vraiment dans un contexte économique toujours morose.

De nouveaux appels à l'aide lui arrivent quotidiennement, comme ce patron d'une entreprise de nettoyage qui le contacte ce jour-là. Incapable d'obtenir un emprunt de sa banque, il est pris à la gorge et craint le pire pour ses dix salariés. Un cas fréquent. "Il lui manque 60 000 euros. Je ne peux pas les lui fournir, mais je vais l'appeler pour tenter de l'aider, même si c'est sans doute un peu tard."

Chômage partiel et non-paiement de la TVA

Pour lui, c'est ça le plus dur : repérer à temps les entreprises en difficulté. "C'est comme les étapes du deuil. Dans un premier temps, les patrons sont dans le déni, persuadés que tout va bien, analyse Pascal Théveniaud. Puis, ils reconnaissent les problèmes, mais estiment pouvoir les surmonter seuls. Quand ils prennent vraiment conscience de la gravité de la situation et font appel à moi, ils sont déjà souvent au bord du gouffre."

Pour tenter d'anticiper, le CRP dispose de quelques outils : il surveille le recours au chômage partiel, ou le non-paiement de la TVA, premiers signes de difficultés potentielles des entreprises. Les inspecteurs du travail peuvent aussi tirer la sonnette d'alarme. Et lorsque des salariés inquiets signalent que leur entreprise a perdu un gros contrat, l'information remonte au commissaire. "C'est déjà un peu tard, mais c'est mieux que rien." Il prend alors contact en veillant à ne pas effrayer le patron. "Il faut être pédagogue, ne pas faire peur. C'est encore un petit peu artisanal", reconnaît Pascal Théveniaud.

Les patrons ont besoin de se confier et d'avoir un avis. L'échange avec le CRP doit permettre de mieux identifier les difficultés. "C'est comme en mathématiques. Bien poser le problème, c'est déjà en résoudre une partie." Face à lui, des dirigeants d'entreprise qui lui demandent le plus souvent de l'aide pour remettre à flot une trésorerie dans le rouge. Mais lui n'a pas de chéquier à sa disposition. Il n'est là que pour accompagner et aiguiller.

Certaines entreprises manquent ainsi cruellement de stratégie, n'ont qu'un seul client, ou qu'un seul produit à vendre. C'est par exemple le cas d'un fabricant de barquettes en plastique pour viande auprès duquel il est intervenu. "Coincé par les groupes de grande distribution qui fixent leurs prix, et des cours du pétrole [nécessaire à la fabrication du plastique] qui ne cessent de varier, je l'ai rapproché d'un pôle de compétitivité en plasturgie pour imaginer une autre manière de produire."

"Je me forme tous les jours"

Pascal Théveniaud n'a pas de solution toute prête. "Je me forme tous les jours", confie-t-il. Mais il affirme se sentir "utile". Parce qu'il manquait, jusque-là, une présence de l'Etat sur le terrain, selon lui, pour jouer ce rôle. "Même si je ne parviens pas à les aider, il en ressort quelque chose. On a tissé des liens et je reste un contact."

Ce contact est justement sollicité par le nouveau directeur de Jallatte, qui souhaite faire apposer la mention "Made in France", chère à Arnaud Montebourg, sur ses chaussures de sécurité. "L'idée est bonne, s'enthousiasme Pascal Théveniaud, et pourrait permettre à l'entreprise convalescente de séduire des clients attachés à cette notion, comme EDF. Je sors un peu du cadre de ma mission, mais en contactant le ministère, je peux faire avancer le projet."

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