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Enquête franceinfo Comment les agents de Pôle emploi suivent deux fois plus de chômeurs que les chiffres affichés par la direction

Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Article rédigé par franceinfo - Cécile Hautefeuille
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Pôle emploi est-il complètement transparent sur le nombre de chômeurs que doivent suivre les conseillers ? Les chiffres réels sont très supérieurs à ceux affichés par l’organisme. Enquête sur les dossiers fantômes de Pôle emploi.

"Entre les chiffres affichés par Pôle emploi et la réalité, il y a un gouffre." Dominique* est conseiller à Pôle emploi. Dans son portefeuille, le nombre de demandeurs d’emploi dont il a la charge. Officiellement il y a jusqu’à 350 personnes mais, dans les faits, il peut y en avoir jusqu’à 700. Certains de ses collègues en gèrent plus d’un millier. Pourquoi un tel écart ?

Du simple au double

L’explication est simple : sur son site institutionnel, Pôle emploi ne considère "en portefeuille" que les demandeurs d’emploi des catégories A et B. Ce sont des personnes qui ne travaillent pas du tout ou qui sont en activité réduite (moins de 78 heures par mois). Les autres catégories (C, D et E), qui regroupent ceux qui travaillent davantage, qui sont en formation ou en arrêt maladie, n’apparaissent nulle part, du moins publiquement. Selon les données de plusieurs agences dans différentes régions que nous avons pu consulter, c’est un fait : en ajoutant la case "hors portefeuille", on peut facilement passer du simple au double.

Pôle emploi explique que ces personnes n’ont pas besoin des mêmes services ni du même accompagnement que les autres et qu’il est donc logique de les classer hors portefeuille. "Ces gens-là existent et ils peuvent parfaitement nous solliciter, remarque cependant Dominique*. Ils peuvent demander un rendez-vous pour faire le point sur leur formation et la suite à y donner. Ils peuvent aussi nous envoyer des mails qui viennent s’ajouter à tous les autres. C’est anxiogène parce que nous sommes tenus de traiter les mails reçus dans les 72 heures. Et on a en beaucoup !"

Des conseillers injoignables

Le volume des courriels reçus a considérablement augmenté. En 2015, la direction a fait le choix de donner à chaque demandeur l’adresse mail de son conseiller. Résultat : en 2017, 27 millions d’échanges ont été comptabilisés. Un chiffre en hausse de 43% sur un an, selon un rapport conjoint de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) et de l’inspection générale des finances (IGF). Cette dématérialisation des services était censée faire gagner du temps aux agents, car les demandeurs d’emploi se déplacent moins en agence. À condition bien sûr, que le conseiller ait le temps de répondre aux mails, or ce n’est visiblement pas toujours le cas.

Laure*, qui est inscrite à Pôle emploi, en a fait l’expérience. Elle est inscrite en catégorie C (elle est donc en activité réduite). Elle a tenté à deux reprises de contacter son conseiller. En vain. "Je lui ai écrit deux fois en l’espace de deux ou trois mois, dont une fois pour lui demander un rendez-vous, mais il n’a pas donné suite. Je comprends que je ne suis pas prioritaire, mais à quoi bon nous donner un contact si on n’a pas de réponse ?" s’interroge-t-elle.

Jusqu’à 1 000 dossiers “fantômes”

Une autre pratique pose question. Elle concerne cette fois-ci les chiffres officiels qui sont publiés par Pôle emploi sur son site institutionnel. Un manager d’une agence Pôle emploi affirme que des demandeurs d’emploi n’apparaîtraient nulle part. "Un certain nombre de gens ne sont pas immédiatement affectés à un portefeuille, explique-t-il. Parce qu’ils viennent de s’inscrire ou qu’ils se sont réinscrits après une courte période de travail. Ils se retrouvent alors dans une sorte de sas d’attente. En moyenne, j’ai 300 personnes en attente d’affectation dans mon agence. Mais parfois, il y a des pics dans l’attente de l’embauche d’un CDD. En ce moment, j’ai ainsi presque 1 000 personnes en attente !"

Selon ce manager, c’est la hiérarchie qui conseillerait aux responsables d’agence de faire en sorte que les tailles moyennes de portefeuilles diminuent : "La direction territoriale nous demande de toiletter les portefeuilles avant leur publication pour que les chiffres affichés soient plus acceptables. Dans certaines agences, on fait baisser la moyenne en affectant des chômeurs à un conseiller qui n’est pas censé gérer des demandeurs d’emploi.Précision importante : on parle là des chiffres des portefeuilles des agents de Pôle emploi et non pas des statistiques du chômage qui, elles, intègrent ces chômeurs inscrits à Pôle emploi.

Nous avons interrogé la direction générale de Pôle emploi sur ces pratiques pointées par le manager. La réponse est catégorique : "Pôle emploi ne manage pas ses agences par la taille de ses portefeuilles (...) En aucun cas la taille des portefeuilles ne constitue un indicateur de performance." Le directeur général adjoint de Pôle emploi en charge du réseau ajoute que "Pôle emploi n’est pas jugé sur la taille des portefeuilles des agents, mais sur les taux de retour à l’emploi et le taux de satisfaction des demandeurs d’emploi qui est de 73,2% sur l’ensemble du territoire".

“350 personnes”, c'est la taille officielle de portefeuille la plus élevée affichée sur le site de Pôle emploi (CAPTURE ECRAN POLE EMPLOI - RADIO FRANCE)

Des agents de moins en moins nombreux

Selon un rapport sur Pôle emploi publié au début de l’année 2019 par le député Les Républicains des Vosges, Stéphane Viry, cette taille importante des portefeuilles des agents de Pôle emploi aurait une conséquence sur l’accompagnement des chômeurs. Il dénonce "une dégradation du service rendu en termes d’accompagnement" et souligne que "certains demandeurs d’emploi ne sont pas contactés par leur conseiller pendant plusieurs mois, ce qui est une aberration absolue". Le député souligne que les agents ne sont pas responsables et qu’ils ne peuvent pas faire un accompagnement digne de ce nom parce qu’ils n’en ont pas les moyens. Il rappelle "qu’après une première baisse en 2018, le projet de loi de finances 2019 prévoit une nouvelle diminution des effectifs de 800 équivalents temps plein".

Le ministère du Travail justifie ces réductions de postes par un début de baisse du chômage et la dématérialisation des services qui permet de gagner du temps sur certaines tâches. À partir du mois de juillet 2019, de nouveaux entrants devraient arriver aux guichets de Pôle emploi. Un décret ouvrant des droits – sous conditions - aux travailleurs indépendants et aux démissionnaires, devrait en effet être publié. La réforme devrait toutefois dans le même temps durcir les règles d’entrée. Au moins 230 000 personnes pourraient donc être exclues du système d’indemnisation.

*Les prénoms ont été modifiés

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