Rencontre Merkel-Hollande : vrais désaccords, fausse confrontation
Si Berlin et Paris ont des positions divergentes sur les moyens de relancer l'économie européenne, chaque camp a discrètement esquissé depuis plusieurs semaines les contours d'un accord.
A peine entré en fonction, François Hollande a choisi de s'envoler pour Berlin, mardi 15 mai. C'est le premier défi que doit affronter le nouveau président français : trouver un compromis avec l'Allemagne sur la politique à mener pour lutter contre la crise en zone euro. Angela Merkel veut maintenir le cap de l'austérité, François Hollande a promis dans son programme de "renégocier le traité européen issu de l’accord du 9 décembre 2011 en privilégiant la croissance et l’emploi".
Mais chacun doit maintenant composer avec la donne de son voisin : un délicat exercice d'équilibre commence, dont la rencontre de mardi n'est que la première manche. Officielle, du moins. Car le nouveau dirigeant français et la chancelière allemande ont déjà fait quelques pas l'un vers l'autre. FTVi vous donne les clés de la partie.
• Que défend la France ?
En lisant le programme de François Hollande, Angela Merkel a vu rouge. La volonté du président socialiste de revenir sur un texte déjà adopté par la Grèce, le Portugal et la Slovénie et en cours de ratification dans d'autres pays irrite particulièrement la chancelière. "Chacun doit s'en tenir à ce que nous avons décidé. Vingt-cinq pays ont signé le pacte budgétaire", a-t-elle fermement rappelé mercredi 9 mai, trois jours après la victoire de François Hollande.
Création d'euro-obligations (en anglais eurobonds), élargissement du rôle de la Banque centrale européenne, investissement dans des grands projets… Les propositions de François Hollande ont mis en avant les désaccords de fond qui opposent les deux dirigeants. Le programme socialiste préconise des mesures de relance traditionnelles (donc des dépenses) combinées à une plus grande solidarité européenne (donc une mise en commun de la dette des pays les plus en difficulté).
• Quel est le point de vue allemand ?
L'Allemagne a une vision des choses bien différente : d'accord pour favoriser la croissance (qui s'y opposerait ?) mais certainement pas par la dépense publique. "C'est sur [la] compétitivité que s'appuie toute croissance durable", appuie Wolfgang Schaüble, le ministre des Finances allemand, dans une tribune publiée lundi 14 mai dans Les Echos et titrée "L'Allemagne dit oui à la croissance".
Pour relancer l'économie, Berlin veut pousser les pays européens (du sud notamment) vers une plus grande libéralisation de l'économie et des réformes structurelles du marché du travail permettant davantage de flexibilité. Une politique de "relance par l'offre" que l'Allemagne a elle-même mise en œuvre avec succès au début des années 2000.
En théorie, le désaccord est donc profond. En pratique, les équipes du nouveau président travaillent depuis un certain temps à aplanir les difficultés. "Depuis février, les émissaires de François Hollande se sont rendus à plusieurs reprises à Berlin pour rencontrer l’entourage de la chancelière", rapporte notamment Le Journal du dimanche.
• Quels éléments pourraient faire l'objet d'un compromis ?
"François Hollande a pris grand soin de formuler des demandes concrètes de manière à ce qu'elles soient relativement acceptables par Berlin", explique Thomas Klau, spécialiste de l'intégration européenne et de la relation franco-allemande au European Council on Foreign Relations, un think tank indépendant.
- Deux leviers supplémentaires pour l'investissement. Avant même la rencontre, certains points font donc déjà consensus. Deux des propositions de François Hollande figurent ainsi dans le projet de pacte de croissance européen présenté vendredi 11 mai (voir le détail dans La Tribune) par le ministre des Affaires étrangères allemand, Guido Westerwelle : le déblocage de près de 80 milliards d'euros de fonds structurels européens et une montée en puissance de la Banque européenne d'investissement (BEI), notamment pour faciliter l'accès des PME au financement.
- Un ajout au traité plutôt qu'une refonte. Point important, ces deux mesures ne nécessitent pas une refonte du texte négocié fin 2011, note Thomas Klau. Elles peuvent être mises en œuvre par les institutions européennes et les organes de gouvernance concernés indépendamment du traité. Exit la "renégociation" qui irrite Berlin, il ne s'agirait plus que de "compléter" le texte.
• Quels sont les points de blocage ?
Sur les points les plus conflictuels, il faut lire entre les lignes pour voir les portes de sortie ménagées par François Hollande. Ainsi, la proposition de créer des euro-obligations, écrite noir sur blanc dans son programme, s'est peu à peu transformée dans la bouche de ses proches : il est désormais question de projects bonds, un instrument sensiblement différent.
- Le casse-tête des euro-obligations. Si la zone euro émettait des euro-obligations, une institution financière européenne emprunterait de l'argent sur les marchés au moyen d'obligations garanties solidairement par tous les Etats membres de la zone, qui pourraient ensuite bénéficier de ces fonds de manière individuelle. Ce qui permettrait aux pays les plus fragiles de bénéficier indirectement de la position des plus solides, l'Allemagne en particulier.
Dans le cas des project bonds, les fonds seraient également levés par des institutions européennes, mais destinés à financer des projets bien identifiés, liés à des investissements dans le domaine des transports, des télécommunications ou encore de l'énergie. Le financement ne serait que partiel, le reste étant pris en charge par des entreprises privées dans le cadre d'un partenariat (voir l'explication du mécanisme dans Les Echos). Surtout, le travail sur ce sujet est déjà en cours : la Commission européenne planche sur ce type d'outil depuis 2010.
Cet instrument serait beaucoup moins difficile à vendre à Berlin, même si le compromis est encore loin d'être trouvé. "L'Allemagne continue pour l'instant de dire que stimuler la croissance au moyen de la dette n'est pas une bonne idée. Il y a là un vrai désaccord", précise Thomas Klau.
- Berlin intransigeant sur le rôle de la BCE. Enfin, reste la volonté de faire évoluer les statuts de la BCE. Sur ce point, le président de la Bundesbank, la Banque centrale allemande, Jens Weidmann, a sévèrement rappelé à l'ordre les Français. "Une modification des statuts [de la BCE] serait dangereuse", a-t-il prévenu, en référence aux propositions de François Hollande de laisser l'institution prendre des mesures de soutien à l'économie ou prêter directement aux Etats. "Là, je pense que l'équipe du président Hollande sait que ce ne sera pas négociable", commente Thomas Klau.
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