Les mineurs espagnols, porte-drapeaux de la lutte contre l'austérité
ESPAGNE. La marche des mineurs espagnols a pris fin, mardi. Lancé il y a plusieurs mois pour dénoncer des restrictions de subventions, leur combat est devenu emblématique d'une Espagne en crise.
"Les voilà, ce sont les mineurs du charbon… Madrid brûle !" La colonne avance parmi la foule, lentement. Lampe au front, regard fier, les deux cents mineurs de fond espagnols partis le 22 juin des Asturies, de Castille-et-Leon et d’Aragon sont arrivés mardi 10 juillet à Madrid.
Mercredi après-midi, ils ont conduit leur procession devant le ministère de l'Industrie espagnol, pour protester contre la réduction des aides aux exploitations minières prévue par le gouvernement. Des dizaines de milliers d'autres Espagnols les avaient rejoints. Cinq personnes ont été arrêtées, après des affrontements violents avec les forces de l'ordre.
Cette marche, entamée après le mouvement de grève illimitée lancé le 31 mai, est plus qu'un mouvement social. Pour de nombreux habitants, elle symbolise la lutte des Espagnols face à la crise, à l'heure des restrictions budgétaires et des injonctions venues de Bruxelles. Retour sur ce parcours emblématique.
• Ils partirent 200, et arrivèrent plusieurs milliers
Qui sont ces mineurs ? Issus du nord de l'Espagne, ils travaillent dans la cinquantaine de mines encore en activité dans le pays. Tout juste embauchés ou proches de la retraite, ils se battent pour sauver ce secteur menacé par la crise et qui emploie, au total, près de 8 000 personnes. Après de nombreuses manifestations, parfois marquées par des violences face à la police, après l'occupation des mines, ils décident de se mettent en grève, puis de lancer cette marche.
Deux jours avant leur départ, des milliers de personnes étaient rassemblées à Madrid pour dire non à l'austérité. Déjà, les mineurs étaient dans les esprits. "Pourquoi y a-t-il cent milliards d'euros pour sauver les banques, et pas d'argent pour la santé, l'éducation, les mineurs, pour la protection contre le chômage ? s'indignait alors le leader du syndicat UGT, Candido Mendez. Pourquoi y a-t-il de l'argent pour d'autres choses, et pas pour ce qui est fondamental ?"
Dix-neuf jours et 500 kilomètres plus tard, les mineurs ont rallié une partie du pays à leur cause. Souvent acclamés par les populations dans les villages qu'ils traversaient, ils ont été accueillis par des milliers de Madrilènes, mardi. Appareils photo, serrages de mains, applaudissements, accolades : la foule se presse à leurs côtés en guise de soutien. Dans les airs flottent les drapeaux des régions minières les plus menacées.
• Une filière condamnée ?
Le débat qui agite la filière du charbon dans l'Espagne actuelle ressemble fort à celui qui a ébranlé le Royaume-Uni il y a trente ans, sous l'ère Thatcher. Le problème des mines de charbon espagnoles est d’ordre structurel : sans l’aide de l’Etat, elles sont majoritairement déficitaires. L'Union européenne a récemment accepté de prolonger jusqu’à la fin 2018, via des subventions, l’existence des exploitations nécessitant une aide publique. Cette industrie avait donc obtenu un sursis de six ans, et espérait même gagner des délais supplémentaires, à terme.
Mais pour lutter contre le déficit budgétaire, le gouvernement conservateur de Mariano Rajoy a décidé de diminuer de 190 millions d’euros les aides directes à l’exploitation du charbon, soit une réduction de 63% des subventions. Pour les professionnels, cette coupe est trop brutale. Patrons et syndicats affirment que sans ces aides, la majorité des compagnies minières courent à la faillite, rapporte le quotidien El Pais (article en espagnol). Les élus locaux aussi font bloc, craignant qu'une disparition des mines n'ait des répercussions désastreuses sur le reste de l'économie locale, déjà affaiblie par la crise.
"D'ores et déjà, l'Espagne importe entre 16 et 20 millions de tonnes de charbon par an, alors que la production nationale ne dépasse pas 8,5 millions de tonnes, explique le quotidien espagnol. Même les Asturies, première région productrice espagnole pendant un siècle et demi, importent aujourd'hui plus de 70% de la consommation régionale de charbon." D'un point de vue strictement économique, la mort des mines espagnoles ne semble être qu'une question de temps.
• Le gouvernement pris en étau
Outre la sauvegarde de milliers d'emplois, les mineurs invoquent le passé minier de l'Espagne pour justifier leur démarche. "On ne peut pas rayer de l’histoire un secteur entier qui fait vivre des générations d’Espagnols", raconte l'un d'entre eux à Libération, fier de rappeler qu'"en Espagne, ce sont les mineurs qui ont déclenché les principales luttes. La guerre civile [1936-1939] a commencé dans les Asturies, au fond des mines. Aujourd’hui, notre mouvement pourrait réveiller d’autres secteurs."
Un argument auquel le gouvernement espagnol est particulièrement attentif. S'il montrait, à l'avenir, des signes de faiblesse face au mouvement, c'est toute son autorité qui serait remise en cause, et cela ne ferait qu’encourager d'autres professions sinistrées à s'engager dans la lutte. A l'inverse, s'il ne cède sur rien, il s'expose à un durcissement du conflit et à un blocage plus général du pays, voire à de nouvelles violences. Les mineurs l'ont dit - et prouvé - à plusieurs reprises : "Nous n'avons pas peur de la police."
Mercredi, jour de leur manifestation à Madrid, le gouvernement a annoncé de nouvelles mesures d'austérité afin de ramener le déficit budgétaire à 2,8% du PIB d'ici 2014. Plus que jamais, le fantôme de Bruxelles pèse sur les débats. Même si l'UE consent à aider les mines jusqu'en 2018, la feuille de route qu'elle impose à l'Espagne en matière de rigueur budgétaire étrangle complètement l'Etat, qui se voit à son tour contraint de sanctionner certains secteurs.
S'ils ne trouvent pas d'accord avec le gouvernement, les mineurs ont déjà prévenu qu'ils se lanceraient dans une autre marche noire. Avec, cette fois, un cortège qui défilerait jusqu'à Bruxelles.
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