La fin de la crise financière : info ou intox ?
Nicolas Sarkozy s'est dit optimiste mardi dans une interview à "Ouest-France". Il y prédit le début d'une période de reprise économique bien méritée. Mais la réalité est plus compliquée (et moins sympathique).
"Je pense que nous sommes sortis de la crise financière." La bonne nouvelle du mardi 27 mars sort de la bouche de Nicolas Sarkozy. Le président candidat l'assure au détour d'une interview accordée au quotidien régional Ouest France. Mieux, il affirme que "la confiance revient et que nous sommes en phase de reprise économique". Après le cataclysme financier de l'automne 2007, la chute de la banque Lehman Brothers et la contagion à l'Europe via, notamment, la crise des dettes souveraines, les marchés sont-ils une bonne fois pour toutes sur la voie de la guérison ? A priori, il y a de bonnes raisons de se réjouir. Problème : chacune s'accompagne d'un motif d'inquiétude.
• La bonne nouvelle : les marchés vont mieux…
Prudent, le chef de l'Etat n'affirme pas que la crise dans son ensemble touche à sa fin. En revanche, il dispose de faits pour étayer son propos selon lequel la crise financière, c'est du passé. Et pour cause, les marchés eux-mêmes le disent. En fait, cela fait trois mois que les Bourses européennes reprennent des couleurs et terminent régulièrement en hausse.
La raison de cette embellie tient en quatre lettres : LTRO, pour longer-term refinancing operation, soit des opérations de refinancement menées par la Banque centrale européenne (BCE) à destination des banques. "Quand Mario Draghi a pris la tête de la BCE, il a constaté que les banques ne se prêtaient plus entre elles, s'empêchant mutuellement de se financer, rappelle Michel Aglietta, professeur à l'université Paris-X. Il a donc pris cette mesure d'urgence afin d'éviter un 'credit crunch' [pénurie de crédit] massif."
A l'issue de ces deux opérations menées en décembre 2011 et février 2012, plus de 1 000 milliards d'euros ont été prêtés aux banques européennes sous la forme de prêts à trois ans. Les banques ont ainsi pu récupérer les liquidités nécessaires à leur fonctionnement, ce qui a redonné confiance aux marchés. "Les banques nationales ont notamment racheté une partie de leur dette, ce qui a eu pour conséquence de baisser les taux d'intérêt sur les marchés obligataires."
… mais l'économie réelle bénéficie peu de cette embellie
Le cercle vertueux a ses limites. Les banques étant endettées, elles doivent, comme les Etats, faire des efforts pour se conformer aux accords de Bâle III qui, depuis décembre 2010, les obligent à disposer de davantage de capital. "D'abord, elles réduisent leurs biens, résume Michel Aglietta, mais elles peuvent aussi décider d'accorder moins de crédits. Les banques, qui doivent d’abord rembourser leur dette privée, ne vont pas forcément réinjecter ces liquidités dans l’économie réelle."
De plus, elles n'en demeurent pas moins sous perfusion de la BCE, "une situation exceptionnelle, de crise, qui prouve bien que les banques ne parviennent pas à se financer de manière normale", poursuit l'économiste. Les LTRO sont plus un antidouleur à court terme qu'une solution miracle.
• Bonne nouvelle : la Grèce a évité la faillite…
Pour le chef de l'Etat, les multiples réunions "de la dernière chance" ont porté leurs fruits. "Que n'a-t-on dit des sommets entre Mme Merkel et moi ! a justifié le président candidat dans son entretien à Ouest France. Grâce à ces sommets, l'Europe est dotée d'un gouvernement économique qui a surmonté la crise grecque." "Plus jamais ça", semble dire Nicolas Sarkozy.
Il n'a cessé de répéter que ce sauvetage avait réussi grâce à une nouvelle gouvernance économique européenne, justement portée par le couple franco-allemand. Cette nouvelle gouvernance économique, taillée par et pour la crise, allie effort drastique de l'Etat en vue d'assainir ses finances publiques - c'est l'austérité - et une politique d'entraide entre les pays de la zone euro via des fonds de soutien - Fonds européen de stabilité financière et Mécanisme européen de stabilité. Pour résumer : la carotte et le bâton, actés par les Vingt-Sept.
… mais, faute de croissance, d'autres pays pourraient connaître le même sort
En vertu de ces nouveaux dispositifs, l'Espagne, sous haute surveillance, traverse une nouvelle épreuve, indiquent Les Echos. Elle doit réduire son déficit à 5,3% en 2012 et à 3% en 2013. Pour cela, outre les 15 milliards d'euros d'économies déjà votés, le gouvernement doit trouver 35 milliards supplémentaires dès cette année. "L'Espagne doit respecter ses objectifs afin d'éviter tout revers en termes de coûts d'emprunts sur les marchés", a averti samedi le Commissaire européen aux Affaires économiques, Olli Rehn.
En dépit des efforts prévus, les taux d'intérêt sur le marché de la dette espagnole augmentent déjà. "Il faut trouver un équilibre entre rigueur budgétaire et politique de croissance, sans quoi les pays risquent de s’enfoncer dans un marasme permanent ou subir comme en Grèce une grave crise sociale, avec un chômage qui explose", explique Michel Aglietta. En France, Nicolas Sarkozy a beau expliquer que le chômage a ralenti sa progression (mais progresse toujours), "si le chômage continue d'augmenter, ce n’est pas ce que j’appelle un signe de sortie de crise", relativise l'économiste.
Parce que la situation est menaçante, les ministres des Finances des pays de la zone euro, qui doivent se rencontrer à Copenhague vendredi, devront d'ailleurs réfléchir à démultiplier la puissance de feu du Fonds européen de stabilité financière et "la porter à 1 000 milliards d'euros au moins", a déclaré le secrétaire général de l'OCDE, Angel Gurria. Là encore, l'objectif est de "rétablir la confiance des marchés". La chancelière allemande, Angela Merkel, adepte de la rigueur, a même laissé entendre lundi pour la première fois qu'elle était prête à envisager un relèvement des ressources des fonds de secours de la zone euro. Si de nouvelles ordonnances devront être prescrites à l'avenir, le vaccin contre la crise financière, lui, ne semble pas avoir été administré.
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