L'Espagne trébuche, la Grèce désespère… Où en sont les pays européens en crise ?
Une série de mauvaises nouvelles relance l'inquiétude sur la situation des "PIGS" (Portugal, Irlande, Grèce, Espagne). Entretien avec Céline Antonin, de l'Observatoire français des conjonctures économiques.
Le Portugal, l'Irlande, la Grèce et l'Espagne se rappellent au bon souvenir de l'Europe. Alors que le plus fort de la crise semblait passé, ces pays, regroupés sous l'acronyme "PIGS", connaissent tous des difficultés persistantes. En Grèce, le suicide d'un retraité en pleine rue mercredi 4 avril a ému un pays aux abois. Le même jour, l'Espagne a dû concéder des taux en nette hausse lors de sa première émission obligataire lancée après la présentation du budget 2012. Dans la foulée, les Bourses européennes ont toutes encaissé de fortes baisses, illustrant les craintes toujours vives sur la santé de certains pays de la zone euro. Le gouvernement portugais, lui, tente de faire taire les spéculations sur un deuxième plan d'aide éventuel…
FTVi a interrogé Céline Antonin, spécialiste de la zone euro à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), sur la situation dans les quatre pays de la zone euro les plus touchés par la crise.
FTVi : Les marchés ont envoyé un signal de défiance à l'Espagne cette semaine, malgré les sévères mesures d'austérité mises en œuvre par le gouvernement conservateur de Mariano Rajoy. Pourquoi jugent-ils toujours le pays fragile ?
Céline Antonin : Quand les chiffres du déficit public 2011 ont été publiés fin février, les résultats étaient beaucoup moins bons que prévu. Il est apparu qu'il serait très difficile d'atteindre l'objectif de 2012. Les autorités européennes ont négocié pour le revoir à la hausse, à 5,3% du PIB au lieu de 4,4%, et le gouvernement a annoncé plusieurs mesures de rigueur supplémentaires.
Malgré ça, on s'attend à ce que cet objectif ne soit pas atteint. C'est avant tout lié à la conjoncture, notamment à la faible croissance. Les plans de rigueur cassent la croissance, sans suffire à rassurer les marchés : il y a un double effet négatif. Mais il ne faut pas exagérer : l'Espagne est jugée fragile, mais ce n'est pas le scénario de la Grèce. La situation est plus proche de celle de l'Irlande, qui avait un modèle de croissance un peu similaire et qui a aussi connu l'éclatement d'une bulle immobilière.
Justement, où en est l'Irlande, un peu passée à l'arrière-plan depuis le plan d'aide octroyé fin 2010 ?
Fin 2011, le pays est retombé en récession. Cela inquiète un peu. On s'attend à ce que ce ne soit pas beaucoup mieux en 2012, notamment parce que le moteur de sa croissance est le commerce extérieur, et ce moteur risque de ne pas bien fonctionner à cause des plans d'austérité mis en place en Europe. Le gouvernement table encore sur une croissance de 1,3% en 2012, mais l'OFCE anticipe plutôt une légère récession, de -0,2%. La question est : est-ce que le plan de consolidation voté en décembre 2011 va suffire ? Pas mal d'observateurs estiment qu'il faudra des mesures d'austérité supplémentaires…
Du côté du Portugal, la question d'un deuxième plan d'aide est évoquée depuis peu. Le déficit budgétaire s'est beaucoup réduit, mais la dette publique reste colossale. Le pays aura-t-il besoin d'un nouveau renflouement ?
C'est un peu différent parce que le Portugal partait d'une situation beaucoup plus dégradée [que l'Espagne et l'Irlande, au niveau de la dette publique]. La dette a finalement moins augmenté en proportion que dans d'autres pays. Les Portugais ont montré qu'ils étaient vraiment prêts à tenir leurs engagements budgétaires. Mais ils sont obligés de le faire dans un contexte de forte récession (le gouvernement anticipe une chute de 3,3% du PIB en 2012).
Le problème, c'est que les réformes structurelles ne sont pas faites : réforme du marché du travail, investissement dans des secteurs porteurs… Ce qui ne permet pas de construire une croissance pérenne. Pour ce qui est d'un plan d'aide éventuel, tout dépendra de la capacité du pays à réemprunter à partir de fin 2013, quand le versement des aides de l'Union européenne et du FMI prendra fin.
La Grèce, elle, semble exsangue. La situation sociale est explosive. La rigueur atteint-elle ses limites ?
On atteint un peu les limites de ce qui est socialement supportable. Mais on n'est pas forcément allé assez loin sur les bonnes choses : l'évasion fiscale, les fraudes, où il y aurait de quoi assainir les finances publiques… Sur les privatisations, il y avait un plan assez ambitieux de 50 milliards d'euros pour 2015, mais il se met en place assez lentement.
Tout cela n'est pas très positif… L'austérité a bien été mise en place, mais la machine économique semble en panne, avec une croissance faible et un chômage élevé. L'Europe peut-elle la relancer ?
Le principal problème, c'est la rapidité avec laquelle les pays ont été mis en demeure de réduire leur déficit, alors même qu'on sort d'une crise et que la croissance est assez molle. En même temps, on pouvait difficilement échapper à cet ajustement car il y avait la crainte de voir les marchés spéculer contre les pays. Le rempart aurait été la construction d'une vraie Europe budgétaire, ce qui aurait sans doute permis d'étaler l'ajustement dans le temps. Là, tous les pays font de l'austérité en même temps, ce qui est la pire des conjonctures. On voit les dangers d'une union monétaire sans qu'il y ait vraiment d'unité budgétaire. L'Europe paie le prix d'un certain laxisme institutionnel avant le déclenchement de la crise, en 2007.
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