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L'austérité n'a plus la cote... mais on fait quoi à la place ?

De plus en plus de voix s'élèvent en Europe pour critiquer la voie prônée officiellement par Bruxelles. Francetv info passe en revue les autres pistes, de la plus sage à la plus radicale.

Article rédigé par Marion Solletty
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
La chancelière allemande Angela Merkel et le président français François Hollande, le 10 décembre 2012 à Oslo (Norvège). (SUZANNE PLUNKETT / REUTERS)

Il y eut d'abord quelques voix venues du sud de l'Europe, des aveux troublants du FMI, des appels multiples, enfin, à injecter un peu de croissance dans la rigueur. Depuis lundi 22 avril et les déclarations de José Manuel Barroso, le président de la Commission européenne, c'est presque officiel : l'austérité n'est plus en odeur de sainteté. 

Après avoir dit et répété que la maîtrise des déficits budgétaires et de la dette publique était leur priorité, les Etats membres de la zone euro en particulier semblent peu à peu admettre que la rigueur a ses limites. Qu'elle ne suffira pas à relancer une économie européenne en panne. Voire, pire, qu'elle risque fort de l'achever.

Mais si l'austérité est écartée, que reste-t-il pour changer la donne ? Francetv info passe en revue trois pistes que pourrait explorer Bruxelles, de la plus sage... à la plus radicale.

Modifier les statuts de la BCE

La situation actuelle. La Banque centrale européenne (BCE) est chargée de la mise en œuvre de la politique monétaire, l'un des leviers par lesquels les Etats peuvent agir sur l'économie. Dans ses statuts actuels, la BCE a pour objectif premier de "maintenir la stabilité des prix", c'est-à-dire de maîtriser l'inflation, dont le niveau cible est fixé à 2%.

Ce n'est pas le cas partout : par exemple, aux Etats-Unis, la Réserve fédérale américaine (Fed) a aussi pour objectif le plein emploi, et se montre à ce titre beaucoup plus interventionniste. 

Ce qui pourrait évoluer. Les banques centrales ont notamment pour prérogative de fixer les taux d'intérêt directeurs. Ce faisant, elles agissent directement sur le coût du crédit : plus le taux est bas, moins l'argent est "cher", plus l'investissement, et donc la croissance, sont favorisés. Mais plus le risque d'inflation est élevé.

La BCE s'est donc toujours montrée très mesurée sur cet outil. Alors que les banques centrales américaine, britannique ou japonaise ont depuis longtemps baissé leur principal taux à moins de 0,25%, celui de la BCE est à 0,75%. Une légère baisse, de 0,25 points, pourrait être annoncée début mai. Mais de nombreuses voix en Europe s'élèvent pour une évolution plus profonde, qui verrait entrer dans les missions de la BCE le soutien à la croissance et à l'emploi. Avec, à la clé, une politique beaucoup plus agressive, sur les taux d'intérêt notamment. 

Ce qui ne se fera probablement pas. Mais la véritable révolution est ailleurs : elle se joue au niveau du soutien que pourrait apporter la BCE aux pays de la zone euro qui éprouvent des difficultés à se financer. Aujourd'hui, la BCE n'a pas le droit d'acheter les obligations d'Etat, c'est-à-dire leur dette, au moment de leur émission. Résultat, les pays considérés comme fragiles doivent emprunter à des taux d'intérêt très élevés, qui creusent encore un peu plus leur déficit et leur dette.

"Aujourd'hui, la BCE, parce qu'elle s'interdit de faire des prêts aux Etats, est un manchot !" s'insurge Benjamin Coriat, coprésident des Economistes atterrés, un collectif qui critique les théories d'inspiration libérale. "La BCE a donné 1 000 milliards d'euros en quelques mois aux banques, argumente l'économiste. Si, au lieu de cela, elle achetait de la dette publique [des Etats membres], ces derniers ne se heurteraient plus au problème de la spéculation [sur leur dette] et pourraient augmenter leurs déficits pour faire de la relance."

Lancer un "plan Marshall pour l'Europe"

La situation actuelle. La relance budgétaire, c'est-à-dire l'injection d'argent frais dans l'économie par les pouvoirs publics est, sans nul doute, au cœur du sujet. Plusieurs dirigeants européens, dont François Hollande, appellent à de vrais efforts de relance au niveau européen.

Les Etats membres disposent bien des aides venues des fonds structurels européens et des prêts de la Banque européenne d'investissement (BEI), mais les montants concernés sont "assez dérisoires" au regard de ce que représenterait une vraie relance, souligne Céline Antonin, économiste à l'Observatoire français des conjonctures économiques. Ainsi, la capacité annuelle de prêts de la BEI est de 70 milliards d'euros, loin des 200 à 300 milliards que certains appellent de leur vœu pour un véritable "plan Marshall" européen.

Ce qui pourrait évoluer. "Le gros problème de la relance, c'est qu'il faut trouver les fonds et que cela va mal avec l'idée de réduire les déficits, rappelle Céline Antonin. C'est là que le bât blesse." 

Comment contourner cet écueil ? Tout d'abord, "les pays excédentaires, comme l'Allemagne et l'Autriche, doivent faire de la relance en interne", martèle Benjamin Coriat. Ensuite, "une orientation possible consisterait à ne pas compter dans le calcul du déficit certaines dépenses d'avenir : d'infrastructures, de recherche, d'éducation..." Un artifice comptable, mais qui a du sens, affirme l'économiste, et qui dégagerait des marges de relance. "C'est une discussion qu'il y a eu à l'époque de Maastricht", rappelle-t-il. 

Ce qui ne se fera probablement pas. Mais l'économiste irait volontiers beaucoup plus loin. "Il y a des relances qui se font sans creuser le déficit budgétaire", lance Benjamin Coriat. "Instaurer un smic européen, différent selon les pays et indexé sur le revenu moyen. Ou lutter contre le pauvreté, par exemple en mettant en place un impôt négatif", un système d'imposition qui organiserait de manière automatique un transfert des richesses des plus riches vers les plus pauvres, permettant ainsi une relance "par le bas".

Un système qui aurait aussi  l'avantage, argumente l'économiste, de pousser les plus riches à dépenser plutôt qu'à épargner dans des proportions trop importantes des sommes qui seraient de toute façon prélevées par l'impôt.

Laisser les Etats faire défaut sur une partie de la dette

La situation actuelle. Le traité budgétaire européen a redéfini les critères que doivent respecter les Etats membres pour leur dette et leurs déficits budgétaires : ces derniers doivent passer en dessous de 3% du PIB dès 2013 et tendre ensuite vers zéro. Mais les pays, à l'instar de la France ou de l'Espagne, peinent à tenir le cap exigeant fixé par Bruxelles.

Ce qui pourrait évoluer. "Sans renoncer à l'assainissement budgétaire, il faut que ce dernier soit plus souple et plus étalé dans le temps", explique Céline Antonin, résumant une opinion qui fait consensus parmi les économistes. Benjamin Coriat, lui, qualifie tout simplement le rythme de réductions des déficits imposé de "folie furieuse".

Aujourd'hui, la tendance semble bien d'assouplir les délais face à la longueur de la crise et à la bonne volonté manifestée par certains pays européens.

Ce qui ne se fera probablement pas. Mais certains prônent des solutions beaucoup plus explosives. Dans un long texte intitulé "En sortir" et publié sur son blog en septembre 2012, Frédéric Lordon, un autre "économiste atterré", rappelle que la crise financière de 2007-2008 a considérablement creusé la dette des Etats : "C’est le désastre de systèmes bancaires irresponsables qu’ils ont sur les bras."

Il plaide donc pour un défaut organisé sur une partie de la dette des Etats, quitte à laisser certaines banques en faillite. Les dépôts des épargnants en dessous de 100 000 euros seraient garantis par la Banque centrale européenne ; les autres, et notamment les non-résidents, paieraient le prix fort.

Si le scénario peut rappeler la solution mise en place à Chypre, où les gros épargnants ont perdu une partie de leur dépôt, ou le cas de l'Islande, où certains créanciers non résidents n'ont pas été payés, il reste extrême : il conduirait tout bonnement à l'effondrement du système bancaire européen. "On entre là dans l'inconnu, on n'est pas préparés à cela", explique Benjamin Coriat. Mais sans soutenir la position radicale de son confrère, il y voit des éléments intéressants. Une annulation de la dette publique qui s'élèverait à "tout ce que les banques peuvent supporter sans entrer en faillite, mais en rognant sur les dividendes, les profits, etc... Je n'ai pas de problème avec ça."

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