Le modèle chinois est-il arrivé à bout de souffle ?
Alors que la Chine traverse une crise financière menaçant l'économie mondiale, francetv info s'interroge sur le modèle économique chinois avec l'investisseur français David Baverez, expatrié à Hong-Kong.
La Bourse de Shanghai qui s'écroule à son plus faible taux journalier depuis huit ans (7,63%), les exportations chinoises en baisse et un taux de croissance qui "patine" à 7%... Plus rien ne semble aller dans l'Empire du Milieu. Voilà que les marchés étrangers commencent à se méfier de la Chine, longtemps perçue comme une terre d'accueil pour les investisseurs étrangers. Comment en est-on arrivé là ?
Francetv info a interrogé David Baverez, un "business angel", investisseur dans des start-ups à Hong-Kong (Chine) depuis trois ans. Auteur de Génération tonique (éd. Plon), il y dépeint les atouts de la Chine et les incompréhensions de l'Occident face à son modèle.
Francetv info : On a souvent décrit la Chine comme un eldorado économique, avec une croissance et une productivité imbattables... Comment cette image s'est-elle construite ?
David Baverez : Il faut remonter à l'arrivée au pouvoir de Deng Xiaoping en 1978, deux ans après la mort de Mao Zedong. Le nouveau chef d'Etat rompt avec l'économie maoiste. Fini la planification, la collectivisation et l'autarcie. Deng Xiaoping lance une politique de "socialisme de marché" pour hisser la Chine au rang des plus grandes puissances mondiales. Le pays rentre dans ses Trente Glorieuses, et connaît une révolution anhistorique, complètement hors norme. Il encourage les investissements extérieurs et légalise les entreprises privées.
D'un coup, le pays cumule les deux facteurs essentiels à la croissance : le travail et le capital. Plus de 1,3 milliard de Chinois migrent des campagnes vers les villes pour travailler dans les usines et le gouvernement importe des capitaux étrangers. Cependant, si l'économie s'ouvre, la politique intérieure reste très dirigiste. Lors des manifestations à Tian'anmen en 1989, le président avait déclaré : "Ce qu'ils veulent ce n'est pas une révolution démocratique, c'est du pain !"
En quelques années, la Chine devient l'atelier du monde et base son modèle sur l'industrie manufacturière, les exportations de masse et le bas coût de la main d'œuvre. Les entreprises étrangères s'y installent et le pays engendre des milliards de capitaux étrangers. Aujourd'hui, c'est complètement faux de dire que la Chine est en faillite ! Le pays possède plus de 3 800 milliards de dollars de trésorerie, il pourrait acheter deux fois la France ! C'est lui qui tire la croissance mondiale.
Pourtant, le pays traverse aujourd'hui une de ses plus graves crises financières. Ce modèle était-il vraiment infaillible ?
Non évidemment, aucun modèle ne l'est. C'est une période de cycle comme toujours dans l'Histoire ! Mais à la différence de l'Europe, la Chine a toujours surmonté ses crises, quitte à changer radicalement de structure. Un des traits de caractère de ce pays, c'est l'optimisme. D'ailleurs, le même mot ici veut dire "crise" et "opportunité".
Si l'on regarde bien, la Chine a changé de modèle économique à peu près tous les dix ans. 2015 n'est que le dernier en date. Il n'y a pas de facteurs précis qui prévoyaient cette chute, sinon on l'aurait évitée ! Fin des années 1970, c'était le début du libéralisme économique ; les années 1980, l'ouverture aux capitaux étrangers... Et puis en 1997 avec la crise asiatique, l'Occident a retiré son capital d'Asie et la Chine s'est lancée dans l'exportation pour créer sa richesse.
La rupture arrive en 2007 avec la crise de Lehman Brothers. Pékin mise tout sur sa demande intérieure car elle n'a plus confiance envers l'Europe ni les Etats-Unis. Le gouvernement augmente les salaires à 500 dollars par mois et encourage les Chinois à investir dans l'immobilier. Problème, le marché est tellement investi en peu de temps, qu'il sature et les gens se tournent vers les marchés financiers pour placer leur épargne.
La même Bourse qui a chuté le 24 août dernier...
Exactement, entre 2014 et 2015, il y a eu une arrivée massive de capitaux à la Bourse : elle a progressé en un an de 150% ! La machine s'emballe, les Chinois empruntent auprès des banques pour spéculer, et en juin les marchés commencent à vaciller. Le gouvernement interdit aux banques de prêter aux spéculateurs, les mêmes sont contraints de rembourser leurs emprunts... en vendant leurs actifs en bourse ! La suite, on la connaît...
Mais attention, cet effondrement doit être relativisé. La richesse accumulée à la Bourse de Shanghai n'est pas aussi importante qu'en Europe ou aux Etats-Unis. Ici, une société qui monte, on la garde pour soi, on fait du business avec ses relations, on ne partage pas. Aux Etats-Unis, dès qu'une start-up monte, on pense déjà à l'introduire en Bourse !
Avez-vous constaté des changements autour de vous ? Les investisseurs chinois sont-ils plus frileux ?
Absolument pas ! Hong-Kong est une ville qui bouillonne. Les magasins et les restaurants sont ouverts jusqu'à minuit, on n'a jamais envie de dormir, c'est vraiment le New York du XXIe siècle. On dit souvent que "les Français travaillent 35 heures par semaine, quand les Chinois dorment 35 heures par semaine". Les investisseurs regardent déjà les futurs secteurs dans lesquels ils pourront investir, comme les technologies antipollution ou les services à la personne.
Ils prennent ça comme une révolution schumpétérienne [théorie qui veut que la disparition d'un secteur économique engendre de nouvelles activités économiques], et cherchent en permanence à exploiter ce qui est possible. C'est pour ça que c'est le pays le plus capitaliste du monde. Vous leur donnez les moyens de faire du business et ils le font ! Mais il reste très mal connu des Occidentaux. D'ailleurs, c'est un leurre de croire que les affaires sont faciles ici, le marché est hyper concurrentiel. La difficulté pour un investisseur étranger n'est pas de trouver la demande, il y en a partout, mais de trouver les secteurs où il y a peu d'offres !
Un pays de businessmen, mais avec un quart de la population (350 millions) sous le seuil de pauvreté !
C'est la règle des 80% et 20%, comme dans toutes les économies de marché. 20% des habitants créent la richesse et 80% en sont exclus. Une grande partie de la population vit encore dans les campagnes, avec un mode de vie peu développé.
Mais là-dessus, le pays a fait des efforts ces dernières années. Aujourd'hui, le taux d'urbanisation est de 50% et le pays envoie chaque année 400 000 jeunes étudier à l'étranger. Une vraie classe moyenne s'est développée.
7% de croissance, 50% d'urbanisation... Ces chiffres officiels sont-ils vraiment fiables ?
Non. Tout le monde sait qu'on ne peut pas faire confiance aux statistiques officielles. Le budget militaire est sûrement supérieur à celui annoncé, le PIB sans doute inférieur et les classes moyennes sont sans doute plus riches. Le gouvernement publie les chiffres qui l'arrangent pour rassurer ses partenaires économiques et sa population. Le chiffre de 7% de croissance est sûrement faux. Il suffit de se tabler sur les indicateurs économiques (consommation d'électricité, de charbon, de volume des transports, etc.) pour s'apercevoir que la croissance serait plutôt de 2 à 3% !
En revanche, le taux de 4% de chômage paraît exact, mais masque une autre réalité : en Chine, les gens cumulent les jobs. Dans un même bureau, vous avez deux personnes embauchées pour le même travail, sauf qu'une des deux est absente et travaille ailleurs ! Cela s'observe au quotidien. Pour vous donner un exemple, ici tout le monde possède un iPhone. Apple les vend 700 dollars américains, quand le salaire moyen est équivalent. Comment est-ce possible sinon par le cumul des revenus ?
Il y a aussi une forte propension à l'épargne. Les Chinois sont prévoyants. La population vieillit, il n'y a pas de sécurité sociale donc ils travaillent beaucoup pour assurer leur avenir et celui de leurs proches. C'est lié au confucianisme, qui encourage à acquérir sa propre richesse.
Si cette crise n'est que passagère, quels sont les enjeux futurs du pays ?
Ça semble étrange vu de France, mais la Chine va mettre le paquet sur l'environnement et la santé, car elle a compris que ce sont les deux secteurs porteurs. Vous allez voir lors de la conférence sur le climat à Paris en décembre, la Chine va être un acteur majeur.
Elle s'interroge encore sur son futur modèle de croissance : comment augmenter la productivité tout en maintenant des salaires élevés ? Dans tous les cas, ici on ne parle jamais "d'occidentalisation" mais de "modernisation" du pays. L'Occident n'est plus un modèle.
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