C'est ce que nous a affirmé l'économiste Benjamin Coriat, très critique sur l'actuelle gestion des dettes souveraines
Pour Benjamin Coriat, professeur d'économie à l'Université Paris XIII, seule une restructuration des dettes souveraines peut sauver l'euro.
Il vient de publier avec les "Economistes atterrés" deux chapitres consacrés aux crises irlandaise et islandaise dans un livre intitulé "20 ans d'aveuglement, l'Europe au bord du gouffre".
-Quel jugement portez-vous sur la gestion des dettes souveraines de pays comme l"Irlande, la Grèce ou le Portugal par l'Europe? Le remède est-il de nature à sauver le malade ?
La gestion des dettes souveraines imposée par la « Troika » (l"UE, La BCE et le FMI) se traduit par des plans d"austérité qui sont à la fois extrêmement injustes (le poids principal des remboursements est porté sur les classes moyennes et les classes pauvres) et qui – je prends date – se révéleront inefficaces.
Prenons le cas de la dette Irlandaise. Dans ce pays la quasi-totalité de la dette est une dette bancaire privée. Les banques se sont endettées sur le marché international au-delà du raisonnable et pendant près de 20 ans ont fait bombance, notamment en nourrissant une formidable bulle sur le marché immobilier. Profits, distributions de dividendes, bonus, … ont battu tous les records. Evidemment la bulle a fini par exploser (le lendemain de la chute de Lehman Brothers. Dans ce contexte qu"a fait la Troïka ? Elle a conditionné son prêt à l"Etat Irlandais au fait que celui-ci se porte garant de la dette bancaire privée (quelques 80 milliards d"euro). Résultat un plan d"austérité insensé : il faudrait ramener le déficit public de 32% du PIB en 2010, à 3% en 2013. Licenciements de fonctionnaires, coupures dans le salaire minimum, dans la couverture sociale (retraite, maladie). Bref un cataclysme. Evidemment ce régime, et ce timing sont intenables. Le nouveau gouvernement Irlandais est déjà en train de tenter de renégocier les conditions du prêt. A commencer par le taux d"intérêt consenti : plus de 5%, alors que les prêteurs se financent à la Banque Centrale à moins de 2 % ! Et ce n"est qu"un début, car le plan est inapplicable …
Même chose pour la Grèce elle aussi soumise à des conditions de remboursements et à un timing (revenir à l"équilibre en 3 ans) insoutenables. Dans le cas grec, la Troika, à trop vouloir en faire, est en train d"obtenir ce que par-dessus tout elle voulait éviter. La renégociation de la dette sous une forme ou une autre est inévitable. Car les mesures imposées se traduisent par une récession forte et prolongée, ce qui abaisse les recettes fiscales et compromet la capacité de remboursement !
Bref, je le répète nous seulement ces plans sont injustes socialement, ils sont aussi inefficaces et sont en train d"échouer.
-Une autre approche de la gestion de ces crises serait-elle possible ?
Oui bien sur, une toute autre gestion de la dette est possible. Pour en comprendre la philosophie, il faut ici d"abord rappeler que l"explosion des dettes souveraines n"est qu"un effet direct de la crise financière de 2007-2009, elle n"est en que la poursuite. La crise des dettes souveraines n"est rien d"autres que l"expression actuelle de la crise générale de la finance libéralisée. Les Banques ont été sauvées, parce que les Etats se sont endettés pour les secourir directement, et pour relancer l"activité, afin de rattraper les quelques 8% de croissance du PIB perdus du fait de la crise financière.
"Revenir sur la contre-révolution fiscale"
Avec cela en tête, la gestion de la dette aurait du s"appuyer sur deux volets:
-Partager autrement le fardeau de la dette. Et d"abord en faire assumer une grande partie par les créanciers eux-mêmes. Il n"y a aucune raison pour que l"état (et donc les citoyens lambdas) se portent garants des frasques que les banquiers se sont offertes pendant 20 ans. Une grande partie de la dette privée aurait du rester telle, et les privés s"arranger entre eux. Ensuite il aurait fallu profiter de la crise pour revenir sur la « contre-révolution fiscale » de ces 20 dernières années : l"impôt sur les sociétés, l"impôt sur le capital, l"impôt sur les hauts revenus ont tous formidablement baissés au cours des deux dernières décennies. Le creusement de la dette public est d"ailleurs beaucoup moins du à des excès de dépenses qu"à des diminutions de recettes. En rétablissant une base fiscale juste et équilibrée, beaucoup de sacrifices aujourd"hui imposés aux classes pauvres peuvent être évités. Enfin il faut étaler les remboursements sur une période bien plus longue (10, 15 ans …) et permettre à la BCE d"acquérir directement des titres de la dette souveraine (ce qu"elle n"est pas autorisé à faire) à des taux d"intérêts bas.
-Deuxième volet : organiser non la récession, mais la relance. Techniquement, ce n"est qu"en croissance que les recettes fiscales peuvent permettre d"assumer des dettes importantes. Mais surtout socialement il y a un besoin urgent d"infléchir sérieusement le modèle de croissance vers des technologies et des produits écologiquement soutenables. Dans cette réorientation, l"Etat est appelé à jouer un rôle majeur. Un emprunt européen, couplé à des relances nationales (d"où derechef l"importance de mettre fin à la contre-révolution fiscale) remettrait les Etats de l"UE sur un chemin praticable, tout en venant apporter des ressources au besoin criant d"emploi dans toute la zone euro.
-Vous montrez dans un article du livre "20 ans d'aveuglement" que l'Islande avec une crise comparable a pu jouer sur sa monnaie. On parle de rééchelonnement de la dette grecque mais cela ne pose-t-il pas plus fondamentalement la question d'un éclatement de la zone euro telle qu'elle est aujourd'hui ?
L"Islande s"en sort beaucoup mieux, non pas seulement parce qu"elle a pu jouer sur le taux de change de sa monnaie, mais aussi, mais surtout, parce que précisément – au contraire de l"Irlande – l"Etat n"a pas apporté sa garantie à la dette bancaire privée. L"Etat islandais a laissé ses banques privées faire faillite (ce sont les créanciers internationaux qui en ont assumé le coût de ces faillites). Il s"est concentré (avec succès) sur la reconstruction d"un système bancaire assis sur les actifs et les activités domestiques, ce que l"on appelle désormais les « Nouvelles Banques »
L"Islande d"une certaine manière montre la voie. Oui il faut restructurer la dette grecque, comme les autres dettes souveraines européennes, portugaise en particulier. Et faire payer aux créanciers privés une partie de cette dette. Jusqu"où ? C"est ce que discussions et négociations avec les créanciers privés (notamment les banques et investisseurs intentionnels) doivent déterminer. Car s"il faut éviter de nouvelles faillites bancaires, il est inadmissibles que les banques recommencent à faire bombance (dividendes, bonus etc… ont repris de plus belle) pendant que les peuples payent leurs frasques passées.
Savez vous qu"en 2010, Wall Street a distribué 135 milliards de dollars de bonus et primes diverses à ses traders et managers ! que la City de Londres a fait de même à hauteur de 65 milliards de $ !.... Oui il y a de la marge pour que les banques assument au moins une partie de la dette qu"elles ont créée !
A mon sens c"est en suivant cette voie (renégociation de la dette, mises en œuvre de principes de solidarité, coordination dans les politiques macro-économiques européennes pour assurer la relance..) qu"on sauvera la zone Euro. C"est en poursuivant dans la voie actuelle qu"on la met en danger. Oui si rien ne se passe la zone euro est menacée d"éclatement. Voilà pourquoi il est urgent d"agir.
Benjamin Coriat est l'un des contributeurs à l'ouvrage collectif signé des "économistes atterrés" sur l'Europe. Les "économistes atterrés", groupe d'économistes critiques sur l'actuelle gestion européenne, ont publié un manifeste qui entend montrer que d'autres politiques européennes sont possibles en Europe. Manifeste qui fût notamment signé par Philippe Askenazy, Thomas Coutrot, André Orlean et Henri Sterdyniak.
Dans ce petit ouvrage "20 ans d'aveuglement, l'Europe au bord du gouffre", ils portent un regard très critiques sur la gestion voulue par les européens des problèmes de dettes souveraines de certains états (Grèce, Irlande et Portugal). Ils mettent en cause les politiques décidées par la majorité des états européens, une politique disent-ils qui va "pérenniser la tutelle des intérêts financiers sur les politiques économiques".
Les signataires mettent en cause la fuite en avant européenne. "Non contente d'avoir une banque centrale indépendante de tout pouvoir démocratique, la commission (de Bruxelles en septembre 2010) propose la création d'une 'institution budgétaire indépendante'".
Le livre se penche notamment sur la question des dettes, en analysant les crises irlandaise et islandaise. "La restructuration des dettes souveraines apparaît inéluctable"...mais ne serait pas suffisante pour Dominique Plihon qui expose des propositions pour stabiliser la situation (financement d'une partie de la dette par la BCE, interdiction des ventes à découvert...). Des règles qui permettraient selon les auteurs de "jeter les bases d'une Europe écologique et solidaire". Des analyses et des propositions dont on reparlera, sans doute, pendant la campagne présidentielle.
"20 ans d'aveuglement
l'Europe au bord du gouffre"
Les Economistes atterrés
Ed. Les Liens qui libèrent
175 pages - 8,5o euros
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