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Tribunaux: quand la justice tarde à payer ses collaborateurs

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Article rédigé par L'Oeil du 20 heures
France Télévisions

Dans les tribunaux français, certains acteurs de la justice sont connus et reconnus. Il y a le président de la cour d’assises, par exemple, l’accusé dans son box et, tout près, les avocats. Mais dans l’ombre des salles d’audience, il y a aussi ceux que l’on appelle les traducteurs de justice. 8000 interprètes qui dénoncent aujourd’hui des rémunérations aléatoires et un statut précaire.

Au Palais de justice de Paris, Stéphane Hassibi est presque comme chez lui. « Je viens ici 4 ou 5 fois par semaine, parfois tous les jours », précise l’homme. Depuis 22 ans, cet arabophone est interprète de justice. C’est lui qui traduit les auditions de gardes à vue, les débats des procès. Pour chacune de ses prestations, il est payé grâce à ce qu’on appelle des “mémoires”, sortes de factures comme celles-ci. 615 euros avant impôt, par exemple, pour une mission de traduction au tribunal de Paris, 542 euros pour une autre à Bobigny. Mais cette année, Stéphane Hassibi assure que le ministère de la justice ne lui a pas encore payé des dizaines d’interventions. « On me doit encore 20 000 euros. J’ai des prestations effectuées en janvier qui n’ont pas encore été réglées. D’autres collègues ont des retards de rémunérations de six à sept mois », déplore l’interprète.

Une situation que personne n'ignore au tribunal

Durant notre enquête, d’autres témoignages de traducteurs privés de revenus nous sont en effet parvenus. « Ces quatre derniers mois, je n’ai touché qu’un quart de ce qui m’est dû », précise Silvia (ndlr : le prénom a été changé). « La situation est terrible. Pour vivre, j’ai dû piocher dans le livret A de ma compagne », complète Paul (ndlr : le prénom a été changé). Au Palais de justice de Paris, personne ne semble ignorer la situation, pas même les magistrats. Une situation que personne ne semble ignorer dans les couloirs du palais de justice, pas même ce les magistrats. « C’est absolument honteux, tonne Charles Prats, vice-président de l’association professionnelle des magistrats. Cela peut paraître assez étonnant que la justice ne rémunère pas ses collaborateurs alors même que si un employeur dans le privé ne rémunère pas ses salariés, il va lui arriver quelques déboires devant la justice ». Pour se justifier, le ministère de la justice explique qu’il y a de plus en plus de frais de traductions et que, jusqu’à présent,  il n’y avait pas assez d’argent pour payer les interprètes. “Nous venons de recevoir 33 millions d’euros de dotations supplémentaires. Nous allons traiter rapidement les cas les plus extrêmes », indique les services du ministère.

33 millions d'euros de dotations supplémentaires

Au-delà des rémunérations, c’est le statut des traducteurs qui pose question. Et ça ne date pas d’aujourd’hui. En 2015 déjà, à l’Oeil du 20h, nous avions enquêté sur le sujet. A l’époque, les traducteurs n’étaient même pas déclarés. Ils ne cotisaient pas à la sécurité sociale ou pour leurs retraites. A notre micro, la garde des sceaux d’alors, Christiane Taubira avait promis de régler le problème : « les services de la chancellerie travaillent de façon à clarifier la situation de ces différentes catégories de collaborateurs de justice ». Quelques mois après cette interview, le 30 décembre 2015, un décret a bien été publié. Il est censé clarifier le statut des interprètes, en les affiliant « au régime général de la sécurité sociale ». Comme un salarié classique. Sauf que dans le texte, les traducteurs ne sont jamais qualifiés de salarié. L’administration fiscale les considèrent donc officiellement comme des indépendants, qui doivent régler la TVA. Ce que n’a jamais fait Lucie (ndlr : le prénom a été changé), traductrice dans l’Est de la France. Aujourd’hui, le fisc lui réclame 25 000 euros. « En fait, ils prennent ce qui les intéressent et ils nous mettent dans la case qui les intéresse.  C’est pas viable. Je sais pas combien de temps je vais pouvoir tenir. On n’a non seulement aucune reconnaissance mais en plus, j’ai l’impression qu’on s’acharne », déplore Lucie. Contactée, l’administration fiscale assure avoir prévenu dès 2017 les traducteurs qu’ils devaient payer la TVA. Néanmoins, des dizaines d’entre eux indiquent qu’ils ignoraient cette obligation. Stéphane Hassibi est l’un d’entre eux. Il dit devoir 55 000 euros au fisc.

Parmi nos sources (liste non-exhaustive):

Décret du 30 décembre 2015

Direction générale des finances publiques

Ministère de la justice

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