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Traders : ce qui a changé depuis l'affaire Kerviel

Depuis 2008, l'activité d'opérateur de marché a perdu de son attractivité. Les contrôles ont été renforcés, mais la culture du risque demeure et des "traders ripoux" sévissent toujours. 

Article rédigé par Yann Thompson
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
L'ancien trader d'UBS Kweku Adoboli, accusé d'avoir fait perdre 1,5 milliard de dollars à la banque suisse, arrive au tribunal de Southwark, le 27 septembre 2012 à Londres (Royaume-Uni). (STEFAN WERMUTH / REUTERS)

MARCHES – "Je ne suis qu'un homme qui a commis des erreurs au sein d'une banque qui les a longtemps admises parce qu'elle en tirait profit." Dans son livre publié en mai 2010, Jérôme Kerviel décrivait ainsi son rôle dans la perte de 4,9 milliards d'euros par la Société générale en 2008. Mardi 24 octobre, le trader a été condamné à cinq ans de prison, dont trois ans ferme, par la cour d'appel de Paris pour avoir menti à sa hiérarchie et déjoué les contrôles.

Depuis quatre ans, l'affaire Kerviel et la crise financière ont braqué les projecteurs sur le travail obscur des traders, ces opérateurs de marché qui travaillent dans les banques, dans l'industrie ou encore pour des fonds d'investissements. Des mesures ont été annoncées pour réformer certaines pratiques. Francetv info fait le point sur le métier de trader, versions 2008 et 2012.

Ce qui a changé

Des tâches plus automatisées. "Avant, le trader était un économiste. Aujourd'hui, c'est un mathématicien, voire un presse-bouton." Pour Pascal de Lima, économiste et enseignant à Sciences Po et HEC, interrogé par francetv info, le métier est victime de l'automatisation renforcée des transactions. "Les robots ont plus d'influence dans les salles de marché, note-t-il, si bien que les marges de manœuvre se réduisent et que les universitaires propres sur eux remplacent les 'golden boys'." Des groupes comme Goldman Sachs et la Société générale ont supprimé des postes pour confier certaines opérations aux robots. Les embauches, elles, sont devenues très rares.

Des rémunérations moins attractives. Moins de postes ("moins 15% en 2011 pour l'ensemble des banques", selon Pascal de Lima), mais aussi moins de candidats. Mal perçue, la profession ne fait plus rêver : "C'est dur à l'extérieur, mais aussi à l'intérieur des banques, confie un trader aux Echos. On sait que l'on doit faire profil bas avec un temps de travail toujours extensif et une rémunération en baisse."

En 2010, le gouvernement a transposé une directive européenne plafonnant les bonus des traders, comme le rapportait Le Figaro. Leur montant moyen d'alors : 242 000 euros par an et par opérateur, notait La Tribune. Représentant la majorité des revenus des traders, ces primes sont en chute libre, notamment à la Société générale et à la BNP, où elles ont encore été divisées par deux cette année. Autre nouveauté : elles sont désormais versées de façon étalée. 

Ce qui perdure

La possibilité de contourner les contrôles. Dans les banques, les procédures de sécurité ont été renforcées à tous les niveaux. "Les départements des risques ont pris de l'ampleur, les politiques de mots de passe sont plus strictes, et on demande même aux traders de prendre leurs vacances en même temps que les contrôleurs", souligne pour francetv info Pascal de Lima. Lequel rappelle que Jérôme Kerviel a beaucoup agi au mois d'août, lorsque ses superviseurs étaient en vacances.

Mais ces mesures sont parfois insuffisantes, ont rapporté Les Echos en février. Et les écarts demeurent : "on croit contrôler les banques, mais il existe toujours des petites structures de 'hedge funds' [des fonds d'investissement] vers lesquelles se tournent les traders qui se sentent trop contrôlés, et où ils font ce qu'ils veulent", ajoute Pascal de Lima.

La culture du risque. "Le trading, c'est et ce sera toujours de la prise de risque, affirme à francetv info Catherine Lubochinsky, professeur d'économie à l'université Paris-II. Conceptuellement, rien n'a changé, et les contrôles n'empêchent pas la triche. C'est comme sur la route : il y a davantage de radars et toujours des excès de vitesse." Depuis 2008, Goldman Sachs, UBS ou encore JPMorgan Chase ont fait les frais des prises de risques des "rogue traders" [ou "traders ripoux"] et perdu des milliards de dollars. 

"Se concentrer sur les seuls contrôles revient à imposer une limite de vitesse à un conducteur alcoolique", estime Caroline Attia, une trader reconvertie en psychologue clinicienne, dans Les Echos. Pour elle, la mise en place de pare-feux a "renforcé le sentiment des traders qu'ils sont immunisés contre un accident de grande ampleur." Dans la finance comme partout, "le risque zéro n'existe pas", insiste Catherine Lubochinsky. Et tant pis si l'argent des contribuables est en jeu.

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