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Faire converger les économies française et allemande "n'a pas de sens"

Vanté par Nicolas Sarkozy lors de son intervention télévisée jeudi soir, le rapprochement des économies des deux poids lourds européens ne tombe pas sous le sens pour Eric Heyer, économiste à l'OFCE. 

Article rédigé par Salomé Legrand
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Eric Heyer, économiste à l'OFCE, le 05/12/08à Paris. (Thomas Padilla / MaxPPP)

On parlait jusque-là de convergence fiscale entre l'Allemagne et la France, les deux poids lourds de l’Europe. Lors de son intervention télévisée jeudi 27 octobre, Nicolas Sarkozy a même, dans son élan, parlé de la nécessaire convergence des "économies française et allemande".

Pas moins de six allusions claires à la "politique exemplaire" de notre voisin d’Outre-Rhin durant son intervention, dont un : "Tout mon travail, c'est de rapprocher la France d'un système qui marche, celui de l'Allemagne." Mais comment faire ? Et avec quelles conséquences ?

Analyse d'Eric Heyer, économiste et directeur adjoint au Département analyse et prévision à l’OFCE, le centre de recherche en économie de Sciences Po.

Cette convergence est-elle possible ?

Déjà, qu'est-ce que cela signifie de "faire converger les économies" ? Rapprocher le PIB par tête ? Si c’est de ça dont il s'agit, ça n’a pas de sens en tant que tel.

Il faut savoir qu’il y a une différence fondamentale avec l’Allemagne, et qui va perdurer : notre structure démographique. Nous avons un taux de natalité plus élevé [1,42 enfant par femme en Allemagne en 2010, contre 1,97 en France], ce qui veut dire que nous avons besoin d’une croissance beaucoup plus importante que l’Allemagne. Il nous faut plus de créations d’emplois. En Allemagne, la population active diminue, donc le pays peut se concentrer sur la réduction de ses déficits.

Ce sont deux logiques qui s’affrontent. D’une part, un pays extrêmement vieillissant qui peut se consacrer à sa dette, et d’autre part, un pays un peu moins vieillissant qui ne peut pas se passer d’une croissance forte.

Donc ce n’est pas possible ?

Cela voudrait dire qu’il faut changer la politique familiale de l’un ou l’autre des deux pays. Et là-dessus, le président ne nous a rien dit. J’insiste, mais on part avec une différence structurelle très dure à infléchir !

Nicolas Sarkozy a surtout donné des exemples de politique fiscale. Qu’est-ce que la France devrait changer pour s’aligner sur l’Allemagne ?

D’abord, il faut savoir qu’en France, on a plus de prélèvements obligatoires qu’en Allemagne, en tout 4 % du PIB en plus. Mais cet écart est essentiellement lié à nos dépenses de sécurité sociale, qui sont plus élevées. Mais les Français sont aussi mieux protégés. Doit-on renoncer à un système social plus protecteur pour un éventuel gain de croissance. C'est un vrai choix de modèle social à faire.

Et concrètement, comment cela se traduit ?

Si l’on prend les chiffres de 2008, qui sont encore valables, on voit que l’impôt sur le revenu représente 7,5 % du PIB en France, contre 9,6 % en Allemagne. Il faudrait donc l’augmenter pour s’aligner. En revanche, il faudrait baisser l’impôt sur les sociétés qui représente 2,9 % du PIB en France et 1,9 % du PIB allemand.

Sur la TVA, c’est à peu près équivalent : elle représente autour de 10,5 % du PIB dans les deux pays [mais en Allemagne, le taux normal est plus bas qu’en France, 19 % au lieu de nos 19,6 %, alors que le taux réduit y est de 7 % contre 5,5 % en France].

Enfin, il y a l’impôt sur le patrimoine qui représente 3,4 % du PIB en France, contre 0,9 % en Allemagne. Il faudrait donc le réduire.

Mais baisser les cotisations sociales et l’impôt sur le patrimoine, cela veut dire baisser à même hauteur les dépenses qui concernent la vieillesse, la famille, la maladie. Ce n’est pas si simple.

En fait, ce qui fait vraiment la différence entre la France et l’Allemagne, c’est le coût du travail. Depuis 2003, Berlin l'a diminué avec la TVA sociale et une politique de baisse des salaires. Et dans une zone monétaire commune, ça revient à faire de la désinflation compétitive.

Sauf qu'en réalité, l’Allemagne n’a gagné en compétitivité que sur des pays proches d’elle structurellement et géographiquement, c’est-à-dire la France, l’Italie ou encore l’Espagne. Si la France se met à appliquer une TVA sociale, elle va gagner en compétitivité, mais sur le dos de ses partenaires. Il est primordial d’avoir une convergence, mais tous ensemble !

Et puis il y a cette idée répandue que l’Allemagne doit être le modèle. Pourquoi ? Parce que c'est un poids lourd économique et qu'elle doit montrer l’exemple ? Cela aurait du sens si la France avait une population active décroissante.

Si nous voulons vraiment faire converger les économies, allons jusqu’au bout : il nous faut une politique familiale qui incite à faire moins d’enfants, supprimer le Smic, baisser les salaires ainsi que le temps de travail. Parce qu'en France, on travaille en moyenne 10 % de plus par an que les Allemands.

Donc selon vous, cette convergence économique ou fiscale c’est une fausse bonne idée ?

Il faut surtout qu’on arrête de se faire concurrence entre nous ! D'abord, soit on applique tous la TVA sociale, soit on oublie carrément cette mesure. Et il faut arrêter d’essayer de baisser individuellement le coût du travail. De toute façon, compte tenu des écarts qui existent entre ce coût chez nous et dans les pays émergents, on ne gagnera en compétitivité que sur nos voisins, donc des pays de la zone euro. On ferait mieux d’adopter une stratégie de gain de productivité ; gagner sur le coût du travail, ça n’est pas coopératif en zone euro.

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