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Cinq questions sur les craintes de pénurie de pétrole soulevées par l’Agence internationale de l'énergie

Les tensions sur le marché pétrolier durant l'été pourraient entraîner une flambée des prix. En revanche, une pénurie physique de pétrole en Europe paraît improbable.

Article rédigé par Pauline Lecouvé
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 4 min
Une pompe dans une station essence de Toulouse, en février 2021. (LILIAN CAZABET / HANS LUCAS / AFP)

Depuis le début de la guerre en Ukraine et les sanctions économiques prises en réaction à l'invasion russe, les prix de l'énergie ont flambé partout en Europe. Dans ce contexte, l'Agence internationale de l'énergie alerte sur un risque de pénurie de pétrole durant l'été. Invitée de franceinfo jeudi 2 juin, Agnès Pannier-Runacher, la ministre de la Transition énergétique, n'a pas souhaité s'exprimer sur le niveau des réserves stratégiques de pétrole dont dispose la France. Pourrait-on se retrouver en situation de pénurie de pétrole au cours de l'été en Europe ? Eléments de réponse.

1Quelles sont les craintes de l'AIE ?

Le directeur exécutif de l'Agence internationale de l'énergie, Fatih Birol, a donné l'alerte le 31 mai dans une interview au journal allemand Der Spiegel. "Les marchés pétroliers pourraient être tendus l’été prochain. Lorsque la haute saison des vacances commencera en Europe et aux Etats-Unis, la demande de carburant augmentera."

"Il pourrait y avoir des goulets d’étranglement : par exemple, dans le diesel, l’essence ou le kérosène, en particulier en Europe."

Fatih Birol, directeur exécutif de l'Agence internationale de l'énergie

dans "Der Spiegel"

Pour faire face, des réserves de pétrole existent, mais leur utilisation n'est pas bon signe. "Au cours des 50 dernières années, les réserves stratégiques n’ont été ouvertes que cinq fois, dont deux fois au cours des derniers mois. Cela montre à quel point cette crise énergétique est profonde. Jusqu’à présent, on a puisé dans 9% de nos stocks", poursuit Fatih Birol dans Der Spiegel

2Comment expliquer ces tensions ?

Le chercheur Francis Perrin, directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques, partage les inquiétudes de l'Agence internationale de l'énergie.

"Dans le contexte de la guerre en Ukraine, il y a un risque de pénurie, ce qui ne veut pas dire que ce risque va se réaliser."

Francis Perrin, spécialiste des problématiques énergétiques

à franceinfo

Selon lui, le marché pétrolier mondial pourrait connaître des tensions entre le niveau de production et la demande durant l'été. "Aux Etats-Unis, on entre dans la 'driving season', la période de l'année où les déplacements automobiles sont les plus importants, car les gens partent en vacances. Et donc celle où on a besoin de plus de carburant automobile. En Chine, l'assouplissement des confinements drastiques imposés à certaines villes va entraîner un retour à la normale des déplacements, et donc une augmentation de la demande pétrolière."

3Peut-il y avoir une pénurie de carburants ?

Contacté par franceinfo, le ministère de la Transition énergétique se montre rassurant : "Il n’y a pas de risque de pénurie à court terme."

"Il existe 90 jours de stock stratégique, en plus des stocks commerciaux, et ces stocks sont répartis sur l’ensemble du territoire."

Le ministère de la Transition énergétique

à franceinfo

De même, Jan Horst Keppler, professeur d'économie à Paris-Dauphine, n'anticipe pas de panne sèche généralisée. Mais de potentielles pénurie ponctuelles sont cependant possibles : "Il y a différentes qualités de pétrole, certaines raffineries n’auront peut-être pas la qualité de pétrole à laquelle elles sont habituées et n’auront pas la capacité de substituer une qualité de pétrole à une autre. Cela pourrait créer des pénuries ponctuelles dans certaines raffineries." Et de continuer : "Il faudra surveiller de très près la disponibilité en essence, en fioul diesel et fioul de chauffage, davantage même que la disponibilité en pétrole brut."

Par ailleurs, la demande en pétrole sur l'année 2022 devrait être moins forte que prévue car la croissance devrait être moins élevée que ce que prévoyaient les estimations avant la guerre en Ukraine. "Le pétrole, c’est le carburant de la croissance mondiale. Le moteur économique tourne avec de l'énergie. Plus on a une croissance économique mondiale forte, plus on a besoin de pétrole. Comme la croissance économique pour 2022 est moins importante que prévue, la demande pétrolière sera aussi moins importante", analyse Francis Perrin.

4Va-t-on assister à une flambée des prix ?

Si la demande en pétrole excède la production, la tension engendrée sur le marché pourrait faire flamber les prix cet été"On est à un prix de 117 dollars par baril, c’est un prix très élevé même si ce n’est pas le record. S'il y a une pénurie, c’est très embêtant, cela provoquerait une nouvelle flambée des prix, alors que les prix sont déjà très élevés. Cela accroîtrait les risques de récession économique" explique Francis Perrin. Et le directeur de recherche à l’IRIS de nuancer : "Il y a aussi quelques bonnes nouvelles sur l’offre pétrolière."

"Certains pays vont augmenter leur production, comme les Etats-Unis, le Canada, le Brésil et les pays de l'Opep+ qui vont faire un effort supplémentaire de production, ciblé sur les deux mois de l'été."

Francis Perrin, spécialiste des problématiques énergétiques

à franceinfo

Le 2 juin, les pays membres de l'Opep se sont en effet accordés sur une augmentation de la production à partir du mois d'août. Cet effort de production demandé par les pays occidentaux depuis plusieurs mois devrait permettre de compenser une éventuelle baisse de la production russe. "Il y aura un mécanisme de compensation, avec une réallocation de la production de pétrole entre les pays", rassure Jan Horst Keppler.

5Quels pays risquent d'être les plus touchés ?

Si en France et en Europe une pénurie physique de carburant à la pompe n'est pas à l'ordre du jour, dans certains pays, les plus vulnérables économiquement, cette augmentation des prix à la pompe pourrait bien entraîner des pénuries. "Une pénurie physique paraît improbable, en tout cas en France et dans les pays développés. On a Total, et on peut se permettre d’importer du pétrole plus cher. En revanche, dans certains pays en développement, on pourrait voir des pénuries" s'inquiète ainsi l'analyste indépendant Olivier Lejeune, spécialiste des sujets énergétiques.

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