Livraison à domicile : "On a franchi un nouveau cap dans l'exploitation de l'homme par l'homme"
Une pratique illégale se développe de plus en plus dans le domaine de la livraison à domicile : la sous-location de comptes d'auto-entrepreneurs à des travailleurs précaires ou en situation irrégulière. Une situation dénoncée par Valérie Labattue, membre du Syndicat national du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle.
"Un nouveau cap dans l'exploitation de l'homme par l'homme." Invitée de franceinfo lundi 29 octobre, Valérie Labattue, membre du Syndicat national du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle, est revenue sur la sous-location de comptes d'auto-entrepreneurs à des travailleurs précaires. Une pratique illégale qui tend à s'étendre dans le secteur de la livraison à domicile.
franceinfo : La sous traitance de travailleurs en situation irrégulière par des auto-entrepreneurs, notamment dans la livraison à domicile, fait-elle émerger une nouvelle sorte de sous-catégorie de salarié ?
Valérie Labattue : On voit fleurir partout de faux travailleurs indépendants qui n'ont d'indépendant que le nom et qui sont totalement dépendants des donneurs d'ordre, précarisés dans leurs droits et dans leurs statuts. Avec la sous-traitance par des détenteurs de comptes de travailleurs sans papiers, invisibles, fragilisés dans l'exercice de leurs droits, et aisément exploitables, on a franchi un nouveau cap dans l'exploitation de l'homme par l'homme. Des travailleurs précaires sous-traitent à d'autres travailleurs encore plus précaires.
Le cœur du problème serait donc ce statut d'auto-entrepreneur ?
Exactement. Avec l'ubérisation de l'économie, l'inflation des plateformes dites collaboratives, on n'a pas rendu l'outil productif aux travailleurs, bien au contraire. Ce qui est en cause, la problématique sous-jacente, c'est bien celle des faux statuts, dont la multiplication a été permise par le discours des gouvernements successifs qui ont valorisé l'auto-entreprenariat, et ce à quoi on assiste en filigrane, c'est à un délitement du salariat et du statut protecteur qui y est attaché, notamment en matière de protection sociale, et particulièrement en cas d'accident du travail.
Donc, si, dans cette situation, au lieu de travailler avec des auto-entrepreneurs, les plateformes embauchaient des salariés, on pourrait éviter cette dérive ?
S'il y avait une vraie relation de travail, il y aurait une protection sociale. Car en embauchant des auto-entrepreneurs qui sous traitent eux-mêmes à plus précaires qu'eux en dehors de tout être juridique, les donneurs d'ordres se dispensent de participer au financement de la protection sociale, et surtout externalisent le risque. En cas d'accident du travail, à moins d'une requalification de la relation contractuelle entre le donneur d'ordre et son exécutant par un juge, le donneur d'ordre s'exonère de toute responsabilité de fait.
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