: Vidéo "Ce n'est pas Disneyland, c'est chez nous !" : les habitants de Dubrovnik étouffés par le tourisme de masse
Il n'y a jamais eu autant de touristes à Dubrovnik. En 2018, plus d'un million de personnes ont visité cette petite ville croate, aujourd'hui menacée par le tourisme de masse.
"On se bat pour rester une ville. Ce n'est pas Disneyland ou Game of Thrones, c'est chez nous !" revendique Marin Krstulovic, président du conseil de quartier et représentant des habitants de Dubrovnik. Comme le Machu Picchu au Pérou, comme Venise en Italie ou comme Amsterdam aux Pays-Bas, la ville croate est menacée par le tourisme de masse. Celle que l'on surnomme "la perle de l'Adriatique" abrite un peu moins de 44 000 habitants, pour 1,27 million de touristes en 2018. Un record de fréquentation a d'ailleurs été battu l'an dernier, notamment parce que la série Game of Thrones a fait de cette ville un lieu de tournage.
Chaque jour, les visiteurs prennent d'assaut la vieille ville fortifiée, ses remparts, ses monuments classés au patrimoine mondial de l'Unesco. Au mois d'août, Dubrovnik connaît des pics de fréquentation, avec la venue d'Allemands, d'Américains, d'Australiens et d'Anglais. Anne, une Française, est arrivée de Castres pour des vacances avec toute sa famille : "Il y a beaucoup, beaucoup, de monde. Pour profiter de la ville, on se sent un peu étouffer", reconnaît-elle. "Il y a deux ans, nous n'avions plus que 1 557 habitants dans la vieille ville, nous avons perdu plus de 60% de notre population en vingt ans", explique Marin Krstulovic. "Airbnb et Booking ont sans doute joué un rôle dans le départ des habitants. Nous nous battons pour rester une vraie ville", poursuit-il.
Au niveau de Pile Gate, l'une des entrées de la vieille ville, par laquelle passent les touristes des bateaux de croisière - 400 l'an dernier -, c'est souvent la cohue. Pour gérer les flux de touristes, un sens de circulation a même dû être mis en place, avec une file pour les entrées et une file pour les sorties. "Quand un véhicule de secours doit passer, il ne peut pas le faire, cela pourrait faire des morts", se désole Marin Krstulovic.
Dans les ruelles, pleines de charme, les bars poussent le volume et les visites guidées s'enchaînent. Les groupes de touristes bloquent le passage. Même constat au niveau de l'escalier des Jésuites. Sur le vieux port, où la musique résonne sur les terrasses, un restaurateur qui habite à Dubrovnik se dit un peu dépassé. "Il y a trop monde. C'est bon pour le commerce, mais ce n'est pas bon pour tous ceux qui habitent ici. Il faudrait un petit peu moins de touristes", estime-t-il.
Une circulation devenue impossible
De l'autre côté des remparts, point critique de la ville, des taxis pour touristes sont stationnés à perte de vue. "Si un bus dépose des passagers, cela crée un énorme embouteillage, parfois sur trois kilomètres, explique Djuro Capor, militant écologiste et habitant de Dubrovnik. Tout le trafic est bloqué. Les ambulances et les pompiers ne peuvent pas se déplacer."
Ici, les gens ne vivent pas normalement. Il y a toujours ces embouteillages autour de la vieille ville.
Djuro Capor, militant écologiste et habitant de Dubrovnikà franceinfo
D'après Djuro Capor, la situation empire d'année en année car les infrastructures ne peuvent pas supporter les foules. "Pendant la saison touristique, il y a régulièrement une défaillance de notre système d'égouts, des eaux usées sont rejetées dans la mer et des plages doivent fermer. Parfois, c'est le réseau électrique qui tombe en panne parce qu'il y a trop de personnes qui utilisent l'air conditionné", détaille le militant écologiste, qui assure que "les émissions liées aux bateaux de croisières et au trafic routier affectent la qualité de l'air".
Musique interdite en fin de soirée
En 2015, l'Unesco a prévenu la municipalité de Dubrovnik d'un risque de déclassement de leurs sites, et menacé de retirer son label si rien n'était fait pour réguler le "sur-tourisme". Les élus tentent de réagir face à la colère des habitants. La mairie envisage d'autoriser dès 2020 seulement les taxis électriques autour de la vieille ville. Elle souhaite réduire le trafic de 50% dans ce secteur.
La mairie a également pris toute une série de mesures pour tenter de réguler le tourisme de masse. Une campagne de communication intitulée "Respect the city", a été mise en place et appelle les visiteurs à ne pas dégrader les monuments et à se comporter convenablement. La musique est également interdite dans les rues après 23h30.
En 2017, des accords ont aussi été passés avec les compagnies de croisières pour éviter toute saturation, en acceptant la présence de 4 000 passagers au maximum et au même moment dans la vieille ville. Un système de comptage avec des caméras a été installé aux différentes entrées de la cité. "Nous avons un site internet, où vous pouvez voir en temps réel combien il y a de personnes dans la vieille ville", explique Stjepan Cavar, qui gère le système de comptage pour l'agence de développement de Dubrovnik.
Le stade critique pour notre ville, c'est 8 000 personnes au même moment.
Stjepan Cavar, de l'agence de développement de Dubrovnikà franceinfo
"Ces données aident tous les professionnels du tourisme et les visiteurs à anticiper. Si la ville est saturée, au lieu de venir à midi, les touristes viendront plus tôt le matin ou plus tard l'après-midi", ajoute-t-il. Stjepan Cavar explique que "le stade critique" est fixé à 8 000 personnes au même moment, "c'est la zone rouge". Selon lui, ce cap a été franchi une seule fois cette année, avec 10 000 personnes.
Vers de nouveaux records de fréquentation
Dubrovnik va encore battre des records cette année. De janvier à juillet, "la perle de l'Adriatique" a vu défiler plus de 813 000 touristes, un chiffre en hausse de 17% par rapport à la même période en 2018. Certains habitants, les plus anciens, s'en inquiètent. Mladen, 77 ans, le dos courbé et une bière à la main, pense qu'il n'y a pas le choix : "Nous devons vivre du tourisme, il n'y a pas d'industrie à Dubrovnik."
En revanche, cet ancien archiviste, né ici, et qui n'a jamais quitté la vieille ville, redoute de voir partir "tous les habitants". "On a perdu notre âme. Le tourisme nous prend notre âme et Dubrovnik peut se transformer en ville-musée. Cela me désole et me fait peur, mais c'est possible", confie-t-il.
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