Déclenchement des accouchements : "L'agence du médicament cherche à se protéger"
L'agence nationale de sécurité du médicament a fortement déconseillé l'utilisation du Cytotec, un anti-ulcéreux utilisé pour déclencher les grossesses. Y a-t-il danger ? Réponse avec Philippe Deruelle du Collège national des gynécologues obstétriciens français.
Après Diane 35, un nouveau médicament est sur la sellette. Prévu pour lutter contre les ulcères gastriques, le Cytotec, nom commercial de la molécule misoprostol, est régulièrement utilisé pour déclencher les accouchements alors que cette indication ne figure pas dans son autorisation de mise sur le marché (AMM). Dans ce cadre, il a fait l'objet, lundi 25 février, d'une mise en garde de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM).
Ce médicament est-il si dangereux ? Sur le marché depuis 1986, pourquoi ne fait-il l'objet d'un avertissement que maintenant ? Francetv info a posé la question à Philippe Deruelle, secrétaire général du Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF).
Francetv info : L'ANSM, qui met en garde contre des "effets indésirables graves pour la mère et l’enfant" du Cytotec, se trompe-t-elle ?
Philippe Deruelle : Elle ne se trompe pas, mais son communiqué manque de nuance. Il existe trois façons de déclencher les accouchements. Avec de l'ocytocine ; avec des prostaglandines comme le Cytotec mais aussi la dinoprostone, qui, elle, dispose de l'AMM adaptée et qui est plus répandue que le Cytotec ; ou de manière mécanique, en plaçant un ballon en haut du col pour le dilater progressivement. Mais toutes ces méthodes provoquent les mêmes effets indésirables que le Cytotec, dans des proportions différentes. Donc oui, ce dernier augmente les risques de hausse du rythme cardiaque fœtal, d'hémorragie pour la mère et de rupture utérine, mais les autres méthodes aussi.
De plus, concernant le risque de rupture utérine, un groupe d'étude du CNGOF dont j'ai fait partie a émis l'an dernier des recommandations pour déconseiller fortement l'utilisation du Cytotec dans le cas d'utérus cicatriciels [de femmes ayant déjà subi une césarienne] car le danger était réel, et je crois qu'elles sont respectées.
Si le Cytotec comporte plus de risques, pourquoi continuer à l'utiliser ?
Il y a deux raisons. La première est que le Cytotec est plus efficace que les autres méthodes, il fonctionne plus vite et réduit le temps nécessaire pour déclencher l'accouchement. Selon les études, il est de 15 à 20 heures avec le Cytotec tandis qu'il est d'environ 24 heures avec les autres prostaglandines. Dans tous les cas, on gagne quelques heures et pour les femmes concernées, ce n'est pas négligeable. Mais c'est vrai que les effets sont un peu plus explosifs.
Par ailleurs, il y a beaucoup de médicaments utilisés en obstétrique qui n'ont pas l'autorisation de mise sur le marché mais qui rendent service. Il faut savoir qu'un comprimé de Cytotec coûte moins d'un euro quand la dinoprostone peut monter jusqu'à 50 euros. A l'heure de la réduction des dépenses, ce n'est pas négligeable.
Trouvez-vous la réaction de l'ANSM exagérée ?
Elle n'est pas excessive, l'ANSM est dans son rôle, mais elle ne prend pas en compte l'expérience de terrain. Ce n'est pas parce que les méthodes sont risquées que je peux me passer de déclencher un accouchement. Et si je ne propose pas de déclencher l'accouchement, cela veut dire que je propose une césarienne, qui, elle, augmente le risque de phlébite et d'hémorragie. Nous évaluons la situation entre un bénéfice et un risque. En fonction des situations, il y a une place ou non pour l'utilisation du Cytotec, que ne laisse pas l'ANSM avec son communiqué.
Le Cytotec a été mis sur le marché en 1986, pourquoi l'ANSM réagit-elle maintenant ?
Effectivement, la littérature et les études sur le Cytotec ne sont pas nouvelles. Déjà en 1996, on nous enseignait les avantages et les risques de ce médicament concernant le déclenchement des accouchements. Je crois que l'ANSM cherche à se protéger administrativement de toutes ces situations qui sont effectivement compliquées.
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