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Rugby : pourquoi le XV de France est-il au-dessous de la mêlée ?

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Le capitaine du XV de France Guilhem Guirado lors du match face à l'Ecosse, le 12 février 2017, au Stade de France. (MARTIN BUREAU / AFP)

Les Bleus inaugurent leur tournée d'automne par un match contre les All Blacks. Un vrai défi alors que la sélection est confrontée à de mauvais résultats : 11 défaites sur 18 tests. Derrière cette médiocrité ambiante se cache un processus diabolique, à l'œuvre depuis 20 ans.

Le 23 octobre 2011, face à la Nouvelle-Zélande, le XV de France échoue d'un rien à décrocher la première Coupe du monde de son histoire. Un résultat inespéré pour une équipe qui avait perdu contre les Tonga en poules et qui s'était montrée incapable de distancer un Pays de Galles réduit à 14 d'entrée de jeu en demi-finales. Six ans plus tard, le rugby français est à l'état de ruines, ou à peu près. Pour tenter de redresser le bateau, le président de la FFR, Bernard Laporte, a nommé Jacques Brunel en remplacement de Guy Novès à la tête du XV de France, mercredi 27 décembre.

Autopsie en quatre dates charnières d'un XV abonné aux tournois mitigés, aux matchs à moitié réussis, aux coups de chaud contre l'Italie ou l'Ecosse.

En 1995, la France rate le virage du professionnalisme

Il a fallu des années pour que le professionnalisme voulu, imposé même, par les Anglo-Saxons en 1995 voie le jour. Une des seules fédérations à s'y opposer, c'est la France par la voix de Bernard Lapasset, son président d'alors, qui louvoyait sur "la fin de l'obligation d'amateurisme". Un joueur international comme Emile Ntamack, alors employé dans les télécoms, patientera deux ans avant de signer son contrat !

La France lambine jusqu'en 2004 pour instaurer une poule unique en championnat (il y a eu jusqu'à quatre poules de huit équipes) pour réduire le nombre de matchs. Relire les propos de Vincent Moscato, alors pilier du Stade français, dans L'Humanité en 1999, c'est mesurer combien le dossier du nombre de matchs disputés par les joueurs n'a pas avancé d'un pouce : "Le championnat est trop long et trop découpé alors que le haut niveau, ce devrait être 20 matchs par saison."

Dix-huit ans plus tard, le capitaine de l'équipe de France, Guilhem Guirado, s'est enfilé 25 matchs de championnat, 5 de Coupe d'Europe et 10 sous le maillot bleu. Dans son livre Dans les coulisses d'une branlée historique (éd. Robert Laffont), Philippe Saint-André, sélectionneur entre 2011 et 2015, déplore que la fraîcheur manifestée par les petits nouveaux Wesley Fofana et Yoann Maestri au début de son mandat se soit évaporée dans les joutes à rallonge du Top 14 : "A la fin, je croyais voir évoluer leur grand-père." PSA poursuit, calculette en main : "En Nouvelle-Zélande, un joueur ne peut pas faire plus de 26 matchs par an. C'est-à-dire qu'en trois ans, un Bleu a bouclé cinq saisons d'un Kiwi. Etonnant, non ?"

En 2007, la France rate le virage de la formation

Aigri, Philippe Saint-André ? Le "Goret" s'est répandu sur RMC en 2017, un an et demi après son éviction consécutive à une fessée historique en quarts face aux All Blacks, en accusant les clubs d'avoir dépensé l'argent autrefois dévolu à former des jeunes pour attirer des mercenaires étrangers. "C’est plus un problème de dix ans de mauvaise politique", pointe-t-il. Selon lui, les équipes sacrées championnes sur cette période "étaient plus des équipes de l’hémisphère sud que des équipes françaises". A regarder les compositions des équipes sacrées, la tendance est plus récente. Toulon, en 2014, alignait une écrasante majorité de joueurs étrangers et seulement trois sélectionnables au coup d'envoi. Tendance suivie, dans une moindre mesure, par le Racing, champion en 2016 avec une demi-équipe tricolore seulement.

Ce que pointe PSA avec justesse, c'est la faiblesse de la formation française sur cette période. Qui pour remplacer les joueurs de classe mondiale partis à la retraite les uns après les autres, comme Yannick Jauzion (2011), Julien Bonnaire (2012), Imanol Harinordoquy (2012) ou Thierry Dusautoir (2015) ? Quels joueurs de l'équipe actuelle aurait sa place dans un XV international ? Vous pouvez relire la composition de Guy Novès, annoncée jeudi, avant de dire "aucun".

Signe inquiétant : l'équipe de France ne fait plus rêver, et cela s'en ressent sur le nombre de licenciés. Fraîchement élu président de la fédération, Bernard Laporte avait reconnu qu'il n'y avait que 290 000 pratiquants sur les 450 000 licenciés claironnés année après année. "Dans les écoles de rugby, l'exode est alarmant. Nous avons perdu 16 000 gamins entre 2012 et 2017", insiste Laporte dans Midi Olympique.

Dès 2008, la France rate le virage tactique

Les joueurs du XV de France dépités après leur courte défaite face à l'Angleterre, le 4 février 2017 à Twickenham (Royaume-Uni). (ALASTAIR GRANT/AP/SIPA / AP)

A quand remonte la dernière fois que la France a eu un coup d'avance tactique sur la concurrence ? Aux années Bernard Laporte (1999-2007), répondrait-on instinctivement, quand les avants français étaient la base des succès des Bleus contre les grosses nations et, dans un bon jour, contre l'Angleterre. Une réussite due à la tactique des blocs, élaborée par Jacques Brunel, alors n°2 de "Bernie le Dingue". "Sa marque de fabrique, c'est son système de blocs répartis sur le terrain, en fonctionnant à 3-4 joueurs sur certaines zones pour essayer d'occuper tout le terrain", explique à LCI le talonneur Guilhem Guirado, qui l'a connu à Perpignan.

En 2002, Laporte prédit exactement le déroulé de la compétition un an plus tard en Australie : la France fait peur à tout le monde, mais rend les armes devant Jonny Wilkinson et la pluie, sous le déluge de Sydney : "L'équipe qui sera championne du monde l'an prochain sera l'équipe qui jouera le plus sauf s'il pleut à chaque match et qu'on ne trouve là-bas que des ballons mouillés."

Depuis 2007 et le départ de Jacques Brunel, parti coacher l'Italie, tactiquement, les sélectionneurs ont toujours fait avec les moyens du bord. Après une entame ambitieuse, Marc Lièvremont privilégie un rugby minimaliste qui permet de décrocher le Grand Chelem, en 2010, le dernier des Tricolores à ce jour. Le même Lièvremont reconnaissait que la demi-finale gagnée face aux Gallois s'était résumé à un combat d'avants et à un festival de coups de pied foireux : "Ce sont les armes du rugby français aujourd'hui, comme souvent."

Rebelote, quand Philippe Saint-André décide de cadenasser son rugby après un Tournoi des six nations calamiteux en 2013. "Lors de la tournée [en Nouvelle-Zélande qui a suivi], nous avons eu l’interdiction de jouer [à la main] dans nos 50 mètres", dénonce un joueur dans le livre Les Années PSA, chronique d'un désastre annoncé. Impression confirmée par les propos – en public – de Patrice Lagisquet, l'entraîneur des arrières : "Le staff n'a fait pratiquement que réduire petit à petit la voilure pour essayer d'aller à l'essentiel." Le même Lagisquet qui a osé cette phrase incroyable : "Si l'on jouait en noir, tout le monde nous trouverait géniaux."

Depuis 2015, la France se cherche un leader

En perdition lors des poules de la Coupe du monde 2011, Marc Lièvremont explique avoir poussé ses joueurs à l'autogestion en les piquant, notamment en les traitant de "sales gosses". Une expérience réussie, les Bleus se hissant en finale (par miracle, on insiste). Quelques années plus tard, en 2015, la critique des "starlettes" tentée par Philippe Saint-André se solde par un flop. Aucune réaction.

On découvrira dans les livres racontant de l'intérieur le mandat du "Goret" que son chevrotement naturel n'aidait pas à transcender les joueurs, que Serge Blanco, dépêché à la rescousse, endormait son auditoire par ses discours à rallonge. "Je ne sais pas s'il s'en est rendu compte, mais à partir du Tournoi des six nations 2015, il a arrêté", glisse, perfide, un joueur qui a subi plus d'une causerie du parrain du rugby tricolore.

Thierry Dusautoir et le sélectionneur du XV de France Philippe Saint-André, lors d'un entraînement à Newport (Pays de Galles), le 16 octobre 2015. (FRANCK FIFE / AFP)

Sans parler du capitaine Thierry Dusautoir, qu'un fossé séparait de la nouvelle génération. Un joueur, toujours anonyme, raconte dans le livre Autopsie d'un fiasco : "Il y en a surtout un qui n'a pas apprécié que 'Titi' lui fasse des reproches. Il a d'ailleurs dit à 'Titi' que personne ne lui avait jamais parlé comme ça, qu'il ne le supportait pas…" PSA conclut, lucide : "C'est la première fois que je sentais des mecs qui, dès qu'ils étaient critiqués, étaient annihilés. Au lieu de devenir positive, la pression les paralysait." Prenez Jean-Marc Doussain, éternel remplaçant au poste d'ouvreur (en bleu comme en club) qui a au bout du pied la pénalité de la gagne, à trois minutes de la fin du match contre l'Irlande, au Stade de France, en 2014. En cas de victoire, la France terminait première ex-æquo du Tournoi, son meilleur résultat depuis 2010. Forcément, est-on tenté de dire, le ballon file loin des perches.

Après avoir joué, lui aussi, la carte de la responsabilisation, Guy Novès est revenur pour la dernière tournée automnale, à une gestion plus stricte de son groupe. Ce qui est passé... par un réveil obligatoire à 7h30 sur le terrain. "On avait besoin de davantage travailler sur de petits exercices techniques car on a tellement de retard sur ce plan-là sur d'autres nations", se justifiait le sélectionneur, qui fliquait aussi les joueurs dès le petit-déjeuner. Cela n'a pas suffi à sauver la piètre tournée automnale lors de laquelle les Bleus ont concédé cinq défaites et un nul face au Japon. En conséquence, Guy Novès a été remplacé, le 27 décembre, par l'entraîneur de Bordeaux-Bègles, Jacques Brunel. Une première. 

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