"On est dégoûtés" : excitation et frustration à l’ouverture de la première boutique Bape à Paris
Devant la seule boutique en Europe de la marque culte de streetwear japonaise, ils étaient plus d’une centaine à braver le froid pour dégoter la "shark", un sweat-shirt zippé devenu le symbole de l'enseigne. En vain, pour certains.
Ni la neige tombée quelques heures plus tôt sur Paris, ni la température glaciale de ce vendredi 1er décembre ne les a arrêtés. A quelques minutes de l’ouverture de la seule boutique Bape en Europe, ils sont plus d’une centaine à patienter, rue de la Verrerie et rue des Archives, dans le 4e arrondissement de la capitale. L’objet de tant de convoitise pour ces passionnés de streetwear ? La “shark”, un sweat-shirt zippé qui transforme la tête de son possesseur en gentil requin lorsqu’on le ferme intégralement.
Elle a beau grelotter, Morgane, 20 ans, consent sans rechigner à essayer son sweat Bape à peine sortie de la boutique pour se faire photographier. Il faut dire que cette frêle coursière à vélo est arrivée la veille, vers 20 heures, dans le quartier, pour cet événement, alors que tout rassemblement était interdit par la marque. "Je ne suis pas restée dehors toute la nuit. On se relayait dans une voiture dont on sortait de temps en temps pour noter sur une liste les nouveaux arrivants, raconte-t-elle. Quatre personnes étaient déjà là depuis deux jours, mais la majorité est arrivée vers 6 heures du matin."
Guerilla marketing dans les rues de Paris
Si la foule est au rendez-vous ce matin, c'est parce que cela fait des mois que la rumeur court autour de l'implantation du premier magasin Bape à Paris. Officialisée il y a tout juste un mois par la création du compte Instagram Bape France, l’arrivée de la marque s’est d'abord accompagnée d’indices dans les rues de Paris, que seuls les initiés ont su décoder. Du mobilier urbain devant le magasin Colette, temple de la hype, un passage piéton à Etienne Marcel ou encore un Vélib’ ont ainsi été recouverts d’un camo (un imprimé camouflage, signature de la marque) tricolore, en référence au drapeau français.
Mais c’est finalement au 34, rue de la Verrerie, dans les locaux du BHV Marais, que Bape s'est installée. Un emplacement presque évident pour cette luxueuse marque de streetwear japonaise : depuis 2015, ce pâté de maisons accueille des enseignes aussi prestigieuses que Gucci, Fendi ou Givenchy. Pour marquer son positionnement premium, la marque a même fait un partenariat avec le concessionnaire Jaguar afin qu’un véhicule customisé aux couleurs de Bape Paris circule dans la capitale et stationne devant les lieux les plus hype, comme le raconte le site Hypebeast.
Les rappeurs, premiers prescripteurs
Avec un logo à tête de singe (inspiré du premier film La Planète des singes, sorti en 1968) et un nom (contraction de A Bathing Ape), qui fait à la fois référence aux primates qui se baignent dans les eaux chaudes des onsen (bains thermaux japonais) et à une expression signifiant en japonais "se la couler douce", Bape est l’une des premières marques japonaises de streetwear à s’être imposée en Occident. Lancée en 1993 à Tokyo, elle est popularisée dès 1996 par le rappeur Notorious B.I.G. et se positionne rapidement sur le segment du "street luxury". Au début des années 2000, tous les poids lourds du hip-hop, de Jay-Z à Pharrell Williams, s’affichent avec.
Aujourd’hui encore, quelques artistes clament leur amour immodéré pour la marque, comme le rappeur sud-coréen Keith Ape, dont le pseudonyme est une référence directe. "C’est lui qui a relancé la marque en 2015", assure Julien, 19 ans, debout depuis 4 heures du matin pour être parmi les premiers à pénétrer dans la boutique. Car, à la fin des années 2000, Bape a connu un passage à vide avant d'être rachetée en 2011, pour une bouchée de pain (deux millions d’euros), par I.T Ltd, le géant du textile chinois, rappellent Les Inrocks.
Aujourd'hui, les rappeurs ne sont plus les premiers prescripteurs de Bape. D’ailleurs, si Noam, 22 ans, avoue aimer la marque à travers des stars du hip-hop, il ne parvient pas à citer leur nom. A ses côtés dans la file d’attente, Julien, 18 ans, confesse connaître la marque depuis deux ans, mais surtout grâce à des influenceurs qu’il suit sur Instagram, comme le Britannique Ari Petrou ou le Français Maxence Janvrin.
La rareté et la qualité plutôt que l’esthétique
"Bape, c’est une marque de streetwear un peu exclusive que tout le monde aime", résume Julien, qui arbore fièrement sa doudoune Supreme x The North Face (autre grande marque de streetwear) achetée la veille. Malgré la mise en place d'un site de vente en ligne à l'international en 2016, "il était difficile de se procurer [les produits] car ça vient du Japon et on paye environ 20% de taxes en plus", explique Noam, qui se réjouit d’avoir enfin accès à de prochaines exclusivités réservées au marché français.
Dans la file d'attente, personne ne s'offusque des prix pratiqués. Même si elle est au moins deux fois plus chère que l’iconique Box logo hoodie Supreme, vendu 148 euros, la veste "shark" s'arrache. "Bape, c’est le luxe et c’est de la meilleure qualité que Supreme", croit savoir Morgane qui achète du Bape pour la première fois.
Rumeurs et déceptions
Jusqu’à présent, seul le concept-store parisien Colette proposait à la vente la marque Bape, tandis que les contrefaçons pullulaient aux puces de Clignancourt, indiquent Les Inrocks. Maintenant qu'une boutique a ouvert, les spéculations vont bon train pour savoir comment va se passer le réassort. Au Japon, un système de drop hebdomadaire, comme chez Supreme, existe. "Ça sera pareil, pense Noam. On s’inscrit sur une liste et on vient en boutique le samedi." Un cadre du groupe Galeries Lafayette, partenaire de Bape pour l’ouverture de la boutique parisienne, se montre dubitatif : "C’est impossible à mettre en place ici car les Français ne sont pas assez disciplinés, donc on réfléchit encore au système que l’on va mettre en place. Mais de toute façon, ce sera annoncé via les réseaux sociaux."
En pratique, cette communication reste floue, ce qui alimente les rumeurs et les déceptions. "On nous avait dit qu’il y aurait 500 pièces de chaque modèle et qu’ils en écouleraient la moitié hier soir lors de la soirée privée d’inauguration", raconte Morgane. La veille, la marque au singe a effectivement baptisé sa nouvelle boutique en présence de quelques happy few (dont le DJ producteur Pedro Winter et le rappeur belge Hamza) et de 34 invités tirés au sort.
Si les Galeries Lafayette refusent de communiquer le nombre précis de pièces en stock, le jour de l'ouverture, seuls quelques exemplaires des pièces les plus convoitées sont disponibles. Septième cliente à pénétrer dans la boutique, Morgane voit s'envoler juste devant ses yeux la veste zippée qu'elle voulait tant.
On est tous venus pour 'la Shark' et on est dégoûtés...
Louis, coursier à véloà franceinfo
A la sortie, les veinards s'empressent de pavaner avec leur butin et se prêtent à un shooting improvisé devant un store métallique ambiance camo du BHV voisin, sous le regard amusé de quelques cadres de Bape Japon.
Pourtant, les achats étaient limités à deux pièces par personne (dont une seule de la collection limitée Bape Paris). Une règle sans aucune dérogation ce jour-là dont a fait les frais Louis, 18 ans. "Je voulais prendre une coque de téléphone en plus, mais ils n'ont pas voulu", se lamente le jeune homme. "Ils ont privilégié les influenceurs, c’est dommage."
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