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C'est quoi le mouvement "transracial", qui revendique le droit de changer de couleur de peau ?

Article rédigé par Elodie Drouard
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 5 min
Rachel Dolezal (G) et Ja Du (D), deux personnes qui se revendiquent "transraciales". (DR)

Passionné par la culture philippine, un Américain blanc souhaite ne plus être considéré comme tel. Une revendication qui fait bondir les associations de lutte contre les discriminations raciales et sexuelles.

Adam Wheeler est né homme, blanc et américain, or ce n’est pas du tout comme cela qu’il se voit. D’ailleurs, il a révélé à ses parents qu’il était transsexuel et qu'il voulait changer de sexe. Mais il leur cache encore une chose : Adam, qui souhaite désormais qu’on l’appelle Ja Du, va plus loin dans son désir de transformation.

Comme il l'a expliqué à la chaîne WTSP mi-novembre, Ja Du se définit comme "transracial" : il estime que sa couleur de peau n’est pas la bonne et souhaite en changer. Pour lui, il n’est pas blanc mais d’origine philippine. Ce phénomène, très marginal mais qui trouve un écho, en particulier sur les réseaux sociaux, suscite de nombreuses réactions. Décryptage.

D'où vient le mot "transracial" ?

Jusqu’en 2015, le terme anglo-saxon "transracial" était employé pour parler des enfants adoptés par des parents d'ethnies ou de cultures différentes des leurs. Mais depuis l’affaire Rachel Dolezal, ce mot a pris une tout autre signification.

Cette fervente militante des droits des Noirs a été dénoncée par ses parents biologiques, qui ont révélé qu’elle était blanche (de type caucasien) et non noire comme elle le prétendait depuis une dizaine d’années. Alors présidente d’un bureau régional de la NAACP (Association nationale pour la promotion des gens de couleur), Rachel Dolezal, qui arbore des cheveux frisés et une peau très mate, s’est défendue en affirmant se sentir noire depuis toute petite et revendiquer le droit de se considérer comme telle. Comme le rappelle le New York Magazine, elle se targuait (avant de se rétracter) d’être la première personne identifiée comme "transraciale".

Est-ce un phénomène répandu ?

Quelques mois plus tard, Ja Du crée Transracer, un groupe Facebook destiné à "sensibiliser au transracialisme". Avec un Oreo comme photo de profil ("sa symbolique nous parle", explique-t-il sur le compte), Transracer est aujourd’hui suivi par un peu plus de 250 personnes. Un chiffre à la hauteur de cet épiphénomène dont on trouve d’autres traces sur Facebook (comme ici) ou sur YouTube, où quelques personnes se filment en revendiquant leur souhait d’être considérées comme "transraciales" (sans qu'on sache si elles sont sérieuses).

J’ai créé un groupe Facebook pour être sûre que ce n'était pas que moi et que je n’étais pas bizarre. Et des gens ont commencé à m’envoyer des messages pour me parler du conflit qu’ils vivaient avec eux-mêmes.

Ja Du

sur la chaîne locale WTSP

Il a suffi d’une interview donnée sur une chaîne locale américaine pour que Ja Du suscite des dizaines d’articles dans le monde entier. La jeune femme y explique être "intriguée" par la culture philippine depuis plusieurs années, au point de regarder des documentaires pendant des heures. "Quand j'entends leur musique ou que je mange leur nourriture, je suis bien dans ma peau", justifie Ja Du, qui se promène aujourd’hui dans Tampa (Floride, Etats-Unis) au volant d’un triporteur motorisé fuchsia qu’elle nomme "tuk tuk", un moyen de transport "beaucoup utilisé aux Philippines", selon elle.

Avant lui, c’est Xiahn, un jeune Brésilien, qui avait fait parler de lui après avoir subi plus d’une dizaine d’opérations de chirurgie esthétique pour lui donner l’apparence d’un Coréen. Une transformation débutée après que le jeune homme blond a passé une année à étudier dans une université sud-coréenne, comme le raconte le tabloïd britannique DailyMail.

Etre "transracial", c’est comme être transsexuel ?

Pour la communauté transsexuelle, le terme "transracial" est perçu comme une provocation qui discrédite son combat. Comme l’explique dans une vidéo la youtubeuse noire et transsexuelle Kat Blaque, "à la différence de la race, le genre n’a rien à voir avec la filiation".

Quant à la journaliste transgenre Meredith Talusan, elle explique au Guardian que "la différence fondamentale entre Rachel Dolezal et les personnes trans, c'est que la décision de Dolezal de s’identifier à une personne noire est un choix actif tandis que le choix des personnes transgenres d’entamer une transition est presque toujours involontaire".

Selon elle, "Dolezal peut avoir tant d’affinités avec l'identité noire qu’elle a choisi de s’identifier comme telle, mais cette décision est le résultat d’une exposition à cette culture, et non un attribut fondamental de son existence".

Contacté par franceinfo, le psychiatre Thierry Gallarda, spécialisé dans les questions de transidentité à l'hôpital Sainte-Anne, à Paris, reconnaît ne pas avoir d'avis sur la question, le sujet ayant émergé trop récemment. "Mais le rapport entre transsexualité et transracialité est intéressant et mériterait d'être étudié avec mes collègues", conclut-il.

Comment Ja Du et Rachel Dolezal sont-elles perçues par ceux auxquels elles s'identifient ?

Le témoignage de Ja Du a choqué de nombreux Philippino-Américains. C’est le cas de Ben de Guzman, membre d’une association qui se bat pour la reconnaissance des vétérans philippins. "Pour les Philippins qui n’ont pas le luxe de pouvoir choisir de s’identifier à une autre ethnie (...), cela sonne comme le pire des privilèges réservés aux Blancs", explique-t-il au HuffPost.

Et de réagir à l’interview de Ja Du en précisant que les véhicules motorisés utilisés par les Philippins sont plutôt appelés "trisikels" que "tuk tuks", un terme employé par les Thaïlandais.

Pour Jackie Fernandez, le témoignage de Ja Du franchit la ligne rouge qui sépare l’attrait pour une culture de son appropriation.

Etre philippin signifie endurer chaque jour le racisme, la discrimination et les agressions.

Jackie Fernandez, journaliste philippino-américaine

sur Fox News

L’affaire Rachel Dolezal avait également suscité de nombreuses réactions de la part des Afro-Américains. La plus drôle étant certainement celle de l’acteur-réalisateur-rappeur Donald Glover qui imaginait, dans un épisode de sa série Atlanta, un faux reportage hilarant sur un adolescent noir qui souhaitait être considéré comme un adulte blanc.

Certains vont-ils plus loin ?

Si certaines personnes ont la sensation que la nature leur a donné la mauvaise couleur de peau, d’autres pensent plus largement ne pas appartenir à l’espèce humaine. On parle alors de "trans-species" ("transespèces" en français). Le cas le plus connu (et le plus spectaculaire) étant celui de la "femme dragon", un ancien banquier transsexuel persuadé d’être une femelle dragon, qui a choisi de se faire tatouer sur tout le corps des écailles et de se faire enlever les oreilles et le nez (entre autres modifications corporelles), comme le raconte le DailyMail.

D’autres sont persuadés d’être des elfes ou plus simplement des chats. Dans ces conditions, on peut également, comme l’écrit ironiquement une internaute sur Twitter, penser que l’on est un Schtroumpf si le bleu est notre couleur préférée.

Interrogée par la chaîne WTSP, la psychologue américaine Stacey Scheckner estime que "si quelqu’un se sent particulièrement proche d’une religion, d’une ethnie ou d’une culture (...) et tant que ça ne blesse personne, je ne vois pas où est le problème". Une ode à la tolérance peut-être un peu simpliste et utopiste au regard des enjeux de société suscités par de telles requêtes.

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