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ENTRETIEN. Abandons d'animaux : "On veut casser le ‘j'achète un animal donc c'est ma chose'", plaide le président de la SPA

Alors que commencent les vacances d'été, la SPA craint un nouveau record d'abandons. Sa campagne lancée le 20 juin dernier mise sur l'absurde pour inciter à la prise de conscience. Rencontre avec son président, Jacques-Charles Fombonne.
Article rédigé par Ariane Schwab
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 13min
Un chien abandonné dans un refuge de la SPA. (SYLVIE DUCHESNE / RADIO FRANCE)

"Personne ne sait" combien d’animaux sont abandonnés chaque année en France, avoue Jacques-Charles Fombonne, président de la Société protectrice des animaux (SPA). Chaque année, ce sont des milliers d’animaux qui se retrouvent sans famille, abandonnés sur le bord de la route et que la SPA récupère dans ses 63 refuges. Jacques-Charles Fombonne veut en finir avec les modes et la logique consumériste. Il appelle à "l’adoption responsable".

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franceinfo : Combien d’animaux sont abandonnés chaque année en France ?

Jacques-Charles Fombonne : Personne ne sait. Je milite depuis des années auprès des ministres successifs pour qu’on ait un observatoire de la maltraitance animale. On est en bout de chaîne. Comme les médecins urgentistes, on essaie de soigner la maladie sans avoir fait le diagnostic. On sait que les départs en vacances, avec la contrainte que représentent les animaux, incitent à l’abandon. Idem pour l’achat impulsif. On réfléchit, mais trop tard, on se rend compte que ça coûte cher, qu’il faut sortir après le foot le soir pour aller le promener. Mais fondamentalement, on ne sait pas quels sont les ressorts qui pourraient l'empêcher, quels sont les milieux, urbains, ruraux ou classes, cadres supérieurs, cadres moyens, employés, etc. qui abandonnent le plus leurs animaux. On n’en sait rien du tout alors que ça nous permettrait d’avoir des actions de prévention qui seraient incroyablement plus ciblées que celles que nous faisons.

Combien d’animaux recueillez-vous chaque année ?

44 000 animaux ont été recueillis par la SPA en 2022, soit une moyenne de 3 500 animaux abandonnés chaque mois. On double pendant l’été, c’est-à-dire qu’au lieu d’avoir 7 000 animaux en deux mois, on en a presque 15 000. Ce qui est particulier depuis le début de l’année, c’est qu’on n’a pas fait les vides. D’habitude, on a un creux, c’est-à-dire qu’on a peu d’arrivées et pas mal d’adoptions. Mais là, ça fait un an et demi qu’on tourne avec 6 000-6 500 animaux présents dans les refuges pratiquement toute l’année. Par exemple, sur les quatre premiers mois, on a eu 15 000 abandons et un peu plus de 14 000 adoptions. Ce qui fait que ça augmente petit à petit au point qu'on en est à 80% de saturation avant l'été. Or, les 63 refuges de la SPA sont en capacité d’accueillir 7 000-7 500 animaux. On a deux tiers de chats, un tiers de chiens donc on arrive à jongler en mettant les chats dans des espaces plus petits.

Les chats restent-ils les animaux les plus abandonnés ?

Il y a énormément de portée de chats. Ce n’est pas de l’abandon au sens social du terme, mais depuis quatre-cinq ans, on a vraiment beaucoup de chatons. Est-ce que c’est lié au réchauffement ? Les femelles sont fertiles de plus en plus tôt dans la saison. Avant, c’était plutôt mars-avril. Maintenant, c’est fin février.

Que faire quand on veut adopter ?

Pour adopter un animal, avant de vous rendre au refuge, vous pouvez découvrir sur le site internet de l’association, les animaux proposés à l’adoption avec une fiche de renseignement sur ses caractéristiques, son caractère, ses besoins. Vous pouvez trouver via le moteur de recherche soit les animaux disponibles au refuge le plus proche de chez vous, soit par la race de l’animal recherché. Il y rarement de portées de chiots dans la nature. Les chiens à adopter sont adultes, il est facile de donner des indications sur leur apparence et de dresser une fiche comportementale, s’il aime les enfants, la compagnie d’autres animaux, s’il est peureux, etc. Pour les chatons, c’est un peu plus compliqué dans le sens où ils sont adoptés assez vite, avant même d’avoir eu le temps de faire une fiche révélant leur caractère. 

Pourquoi n’existe-t-il pas d’application pour la SPA ? Il y a deux ans, l’application GetPet développée en Lituanie, un genre de Tinder pour chien, avait pourtant eu bonne presse en Europe. La SPA, elle, est quasiment totalement absente des réseaux sociaux.

Nous avons lancé une refonte de son site il y a deux ans, de manière à ce qu’il soit lisible sur les smartphones. On avait à un moment donné, envisagé la création d'une appli. On s'était fait plusieurs réflexions : la première, c'est que personne ne nous le demandait, notre public semblant se satisfaire des informations qu'il trouvait sur le site ; et puis, une appli, c'est une double mise à jour, il faut, en plus du site, la faire vivre, l'alimenter, la mettre à jour. Et c'est un emploi à plein temps. À partir du moment où personne ne nous sollicite, ça ne justifie pas la dépense. On n'a jamais de retours nous disant : " Votre site, c'est de la daube, ça ne sert à rien, une appli serait bien mieux". Auquel cas, évidemment, on se serait interrogé sur la faisabilité du truc. On a un public qui n'est pas forcément très jeune.

Pour sa campagne 2023 contre l’abandon, la Société protectrice des animaux a privilégié l’absurde à travers un film qui débute en 873 après JC pour promouvoir l’adoption responsable.

Certains candidats à l’adoption estiment vos conditions trop exigeantes. Est-ce que vous mettez vraiment des contraintes au niveau du lieu de vie et du niveau de vie ?

On met tout à fait des vraies conditions dans l'adoption d'un animal. Les éleveurs font la même chose. On est dans une logique de protection animale donc on donne des animaux à des personnes dont on veut s'assurer qu'elles pourront s'en occuper au mieux. On veut casser le lien entre " j'achète, donc c'est ma chose, j'en fais ce que j'en veux". C'est gentil de jouer avec un animal, c'est plus sympathique qu'un chien en peluche, mais on ne sort pas d'une logique consumériste. Nous, on veut en sortir absolument, c'est ce qu'on appelle une adoption responsable. Il y a une information sur l'argent de façon à ce que les gens ne soient pas abominablement pris au dépourvu six mois après, quand ils se sont attachés à l'animal et qu'ils s'aperçoivent qu'ils ne peuvent pas s'en occuper. Un animal, c'est 100-150 euros par mois maintenant, avec l'augmentation des prix. Si vous avez le SMIC, je ne sais pas où vous les trouvez les 150 euros. Ce n'est pas rendre service aux gens que de ne pas leur poser la question. C'est un truc que je revendique tout à fait. 

"Il ne s'agit pas d'humilier les gens. On évite de donner des animaux qui souffrent malheureusement d'un effet de mode à des gens dont on sait pertinemment au départ qu'ils ne pourront pas bien s'en occuper bien et qui vont l'abandonner une deuxième fois.

Charles Fombonne, président de la SPA

à franceinfo

On n'est pas des marchands de chiens ou de chat. Un monsieur m'a écrit en me disant qu'on lui avait dit qu'il était trop vieux pour adopter un chien. Évidemment, ce n'est pas facile à entendre. Mais vous prenez un chiot quand vous avez 65-70 ans et que vous êtes en pleine forme, quand le chien aura sept- huit ans, vous ne serez plus forcément en mesure de vous en occuper si c'est un malinois, si c'est un berger allemand, si c'est un lévrier, si c'est un chien qui a besoin de courir et de se dépenser. Même choses si vous vivez en appartement et que vous partez à six heures et rentrez le soir. Il y a une vraie logique. Je veux bien admettre que la diplomatie ne fait pas forcément partie du packaging de la formation des agents mais ça se passe toujours très bien. On fait aussi des visites d'adoption. Souvent, ce sont les gens qui nous les demandent. On va voir comment nos animaux sont traités, même s'ils sont juridiquement devenus la propriété des personnes. Mais on ne débarque pas comme le GIGN à six heures du mat'. On prend rendez-vous, on est poli et on est dans une logique de pédagogie.

Vous dites : "On ne va pas laisser quelqu'un prendre un animal parce qu'il quitte l'appartement à 6h et il rentre le soir". Mais c'est le cas, de quasiment toute personne qui travaille…

On ne va pas leur donner un malinois, un berger allemand ou australien. Ce n'est pas une question de taille, mais de comportement. Vous avez des chiens qui arrivent à peu près à vivre seuls et d'autres en sont incapables.

"Vous avez un berger tervueren par exemple. Si vous le laissez tout seul, d'abord, il va commencer à détruire l'appartement parce qu'il s'ennuie, parce qu'il est angoissé. Il va aboyer toute la journée, il va pisser partout. Ça va rendre immédiatement les conditions de vie insupportables."

Jacques-Charles Fombonne

à franceinfo

Vous allez rentrer le premier soir, vous allez avoir les voisins sur le palier, il aura bouffé le canapé, tout ce qui lui sera tombé à portée de main. Ça va durer trois semaines et on va nous le ramener. Donc on dit non parce qu'on sait que c'est une catastrophe annoncée. Il y a quand même un petit déterminisme de la race, même si les chiens sont des individus différents. On a des chiens à besoins particuliers. Ce ne sont pas des chiens psychopathes, mais qui réclament ou des conditions de vie particulières ou des maîtres qui ont déjà de l'expérience, qui ne laissent rien passer en termes d'obéissance : le chien ne va pas monter sur le canapé, il va être éduqué de la façon dont un chien doit être éduqué parce qu'on sait que ce sont des chiens qui ont besoin d'être tenus. On est là pour sauver les animaux. C’est notre mission. On a très peu de retours au final, moins de 4% tous animaux confondus. L’an dernier, 41 000 animaux ont été adoptés. J'ai vu des gens venir adopter un gros chien et repartir avec un petit chat et nous écrire trois semaines après en disant : "Quel bonheur ! J'ai bien fait de vous écouter".

Qu'est-ce que vous dites à quelqu'un qui est prêt à accueillir un animal ?

D’abord merci parce que, quand on va adopter un animal dans un refuge quel qu'il soit, chez nous ou ailleurs, on en sauve deux, celui avec lequel on part et celui qu’on va sortir de la fourrière pour prendre sa place. Et puis, on va les aider à se poser les bonnes questions : est-ce que j’ai l’argent ? Si oui, est ce que je pourrais m'en occuper physiquement ? Les frais vétérinaires coûtent une fortune. On soigne gratuitement les animaux des gens qui sont aux minimas sociaux dans nos dispensaires. On en a 12 et personne ne le sait. Il y a en a un à Paris, rue Mallarmé dans le 17e, à Toulon, à Marseille, au Canet, à Perpignan, un peu partout... On soigne sur rendez-vous. On donne également des aides individuelles aux gens qui nous sollicitent. Vous êtes étudiant, vous n’avez pas beaucoup de sous, vous avez un chien qui a besoin d'une opération qui est chère, on va en payer une partie. On aide aussi les autres associations qui nous le demandent. L'an dernier, on a donné plus de 250 000 euros aux associations. On travaille également avec les mairies. On paye les stérilisations de masse sur les chats, par exemple. Cette année, ce sont 232 conventions avec les mairies. Le fonctionnement d'un refuge de taille moyenne, c'est 500 000 euros par an. Nous avons 750 salariés.

Que faut-il améliorer au niveau des refuges ?

Depuis trois ans, on réfléchit à un nouveau concept. On l’a sorti sur papier et on va l’appliquer en partie sur notre refuge de Gennevilliers où on a commencé les travaux, à côté de Millau, de Charleville-Mézières et de Lyon aussi. C’est un système où les animaux seront en liberté. Ils se mettront à l'abri dans leur niche quand ils seront fatigués, à l'inverse de ce qui se passe actuellement où ils sont en box, et dont ils ne sortent que pour aller se promener une à trois heures par jour. Quand je suis arrivé à la SPA, j'ai été frappé de voir des chiens derrière des grilles qui manifestaient le plaisir de voir passer des humains en aboyant. Ça ne donne pas envie de les emmener. Et ils ne sont pas bien, ils commencent à faire la stéréotypie [ ensemble d'attitudes, de gestes, d'actes ou de paroles sans signification apparente reproduits inlassablement au point parfois d'entraîner des lésions, ndlr]

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