Vrai ou faux Européennes : Raphaël Glucksmann, Valérie Hayer et François-Xavier Bellamy ont-ils perçu des milliers d'euros de "rémunérations annexes", comme l'affirme Manon Aubry ?

Article rédigé par Lucie Beaugé
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
La tête de liste de La France insoumise pour les élections européennes, Manon Aubry, le 18 avril 2024 à Paris. (XOSE BOUZAS / HANS LUCAS / AFP)
La tête de liste de La France insoumise a épinglé ses concurrents sur les réseaux sociaux. Mais les montants évoqués correspondent le plus souvent à des droits d'auteurs.

Percevoir des revenus annexes en tant qu'eurodéputé, est-ce forcément être payé par des lobbys ? La question se pose après un tweet polémique de Manon Aubry, la tête de liste de La France insoumise aux élections européennes, publié vendredi 3 mai. L'eurodéputée sortante y affirme qu'"un quart des députés européens sont payés par des lobbys, des entreprises ou des gouvernements en plus de leur indemnité d'élu". Et l'élue de proposer d'"interdire ces rémunérations annexes". Une proposition qu'elle porte aussi dans une tribune parue dans Libération .

Ce message est accompagné d'un visuel sur lequel figurent notamment trois têtes de listes rivales de Manon Aubry : Raphaël Glucksmann (PS-Place publique), Valérie Hayer (Renaissance) et François-Xavier Bellamy (Les Républicains). "Ces députés s'en mettent plein les proches en plus de leur indemnité d'élu", accuse le tract. Des montants sont inscrits sous la photo de chacun : "entre 12 000 et 60 000 euros" pour les deux premiers et "entre 12 000 et 66 0000 euros" pour le candidat de la droite, contre "0" euros pour Manon Aubry.

En bas à droite du visuel, une mention précise qu'il s'agit de "rémunérations annexes déclarées par an". Sans préciser de quel type d'émoluments il s'agit. Une source est toutefois indiquée : Integritywatch.eu, un site de l'ONG Transparency International, qui assure un suivi du travail des lobbys enregistrés à Bruxelles mais aussi des revenus déclarés par les eurodéputés.

Il n'en fallait pas plus pour provoquer la colère d'Olivier Faure, le premier secrétaire du Parti socialiste, qui dénonce une "fake news" et voit dans l'enchaînement de ces publications visant son candidat "la méthode de tous les ripoux comme [Donald] Trump". Il assure sur X que les revenus annexes de Raphaël Glucksmann sont des droits d'auteurs perçus grâce à la vente de ses livres. Selon lui, "le texte [de Manon Aubry] qui accompagne [le visuel] est écrit pour induire le soupçon". Qu'en est-il réellement ?

Des revenus déclarés par les élus

Quand Manon Aubry poste son message, Integritywatch.eu n'est plus accessible en ligne, l'ONG procédant au même moment à une mise à jour de sa base de données. L'eurodéputée renvoie donc les internautes vers une version archivée de la plateforme sur le site Web.archive.org. Transparency International établit des fourchettes des rémunérations annexes minimales et maximales. Elles sont comprises entre 12 012 et 60 000 euros pour Raphaël Glucksmann et Valérie Hayer et entre 12 024 et 65 988 euros pour François-Xavier Bellamy. Pour Manon Aubry, le montant est de 0 euro.

Ces fourchettes ont été calculées par l'ONG à partir des déclarations d'intérêts privés de chaque eurodéputé transmises au Parlement européen, un travail de transparence obligatoire pour ces élus. Dans ces déclarations, ils listent les activités, pour certaines rémunérées, qu'ils exercent en parallèle de leur mandat européen. Les montants précis de leurs rémunérations éventuelles ne sont toutefois pas inscrits, mais remplacés par cinq fourchettes. A partir de ces sommes renseignées en euros bruts mensuels, Transparency International a calculé une estimation annuelle.

Droits d'auteur et mandat parallèle

Raphaël Glucksmann déclare en fait toucher entre 1 001 et 5 000 euros mensuels de droits d'auteur, soit entre 12 000 et 60 000 euros annuels, selon sa déclaration d'intérêts financiers (l'ancien nom de la déclaration d'intérêts privés) datée de septembre 2023. Une source de revenus confirmée par sa maison d'édition. " Les revenus annexes de Raphaël Glucksmann proviennent de Allary Editions, maison d'édition indépendante où il publie tous ses essais", défend-elle sur X. Auprès de franceinfo, son entourage dit ne pas vouloir "perdre de temps à commenter les fake news de LFI".

De son côté, François-Xavier Bellamy déclare lui aussi n'avoir perçu que des droits d'auteur, dans les mêmes proportions que son adversaire de PS-Place publique, selon sa déclaration de juillet 2019. Il a également précisé qu'il avait exercé une activité de conférencier, mais non rémunérée. Quant à Valérie Hayer, elle a aussi été rémunérée entre 1 001 et 5 000 euros mensuels, soit entre 12 000 et 60 000 euros annuels, mais cette fois dans le cadre de ses fonctions de conseillère départementale jusqu'en 2021, selon sa déclaration de mai 2022. Enfin, Manon Aubry assure n'avoir aucune activité en parallèle de ses fonctions d'eurodéputée, dans le document fourni au Parlement en décembre 2023.

Des chiffres plus ou moins actuels

Outre le fait que ces rémunérations annexes sont légales et ont été déclarées, les chiffres utilisés par Manon Aubry ne sont pas toujours actuels. Les fourchettes mentionnées dans le visuel correspondent à des déclarations d'intérêts privés parfois anciennes pour certains eurodéputés. Transparency International a réactualisé sa plateforme dimanche, avec les dernières déclarations, datées de décembre 2023, qui affichent désormais des montants précis et non plus des fourchettes.

Désormais, Valérie Hayer ne déclare aucun revenu complémentaire. Un proche de l'eurodéputée Renaissance déplore auprès de franceinfo un visuel "d'une grossièreté sans nom". D'une part, car Valérie Hayer a touché des indemnités de conseillère départementale "au début de son mandat européen", mais plus actuellement. D'autre part, car cet argent touché par l'élue "est présenté comme si cela était honteux, lamentable, voire en dehors du cadre légal, ce qui n'est absolument pas" la réalité.

Raphaël Glucksmann perçoit lui 48 000 euros annuels, toujours pour des droits d'auteurs. François-Xavier Bellamy, pour sa part, déclare 36 328 euros annuels via la vente de ses livres. Contacté par franceinfo, son entourage ne souhaite pas réagir aux propos de l'eurodéputée insoumise et préfère s'en référer aux déclarations d'intérêts privés citées ci-dessus : "Il n'y a qu'une seule ligne concernant les revenus parallèles de François-Xavier Bellamy, qui correspondent à ses droits d'auteurs pour des livres publiés."

Des revenus "acceptables ou non"

Pour les trois têtes de listes rivales de l'insoumise, leurs déclarations d'intérêts confirment donc bien l'existence de rémunérations annexes, mais sans lien avec des lobbys, des entreprises ou des gouvernements. De son côté, Manon Aubry ne déclare aucune activité ou rémunération annexe. Contactée par franceinfo, l'eurodéputée de La France insoumise a fourni les explications suivantes après la publication de cet article. "Les montants indiqués sur le visuel étaient vrais à date, puisque ces chiffres n'ont été mis à jour que ce week-end", justifie-t-elle.

Sur la nature des rémunérations annexes, "charge à chacun de justifier si elles sont acceptables ou non", déclare celle qui admet que toutes "ne se valent pas". L'élue insoumise explique que le but de sa publication était "de faire lumière sur une pratique courante au Parlement européen". Elle invite à nouveau "les autres têtes de liste" à s'engager pour qu'aucun eurodéputé ne puisse "recevoir le moindre euro de lobbys, entreprises ou gouvernements étrangers".

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