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La droite a-t-elle gagné la bataille de la rue ?

La mobilisation contre le mariage pour tous a conduit la droite dans la rue, sur le terrain traditionnel de la gauche. Analyse de la "manif de droite", nouvelle carte du jeu politique.

Article rédigé par Yann Thompson
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Avec slogans, pancartes et drapeaux, des manifestants opposés au mariage pour tous défilent à Paris, le 21 avril 2013. (MAXPPP)

"La gauche t'es foutue, c'est la droite qu'est dans la rue !" En 2003, une fausse "manif de droite" était organisée dans les rues de Paris, à coups de slogans parodiques glorifiant le CAC 40 et dénonçant les "allocs pour les dreadlocks". Dix ans plus tard, les cortèges de droite sont devenus une réalité, née de l'opposition au projet de loi sur le mariage pour tous. Dans un exercice auquel elle est peu habituée, la droite a réuni des centaines de milliers de manifestants, contre toute attente, au point de venir se frotter à la gauche sur son terrain de jeu favori. Cette situation peut-elle durer ? Francetv info analyse cette nouvelle donne.

Le pari gagné de la mobilisation

Le 28 octobre dernier, lorsque le candidat à la présidence de l'UMP Jean-François Copé suggère que les Français "se mobilisent dans la rue" contre la politique du gouvernement, rares sont ceux qui le soutiennent. "Ça donne une mauvaise image de l'UMP et présente le militant comme un gros beauf", lâche même un filloniste au Huffington Post, y voyant un acte contre-nature. Cela "relève d'une surenchère dangereuse, irresponsable et indigne d'un républicain", s'insurge le premier secrétaire du PS, Harlem Désir. Six mois plus tard, l'idée a pourtant fait son chemin et les masses de droite ont suivi.

Le 24 mars, emmenés par leur chef de file Frigide Barjot, 300 000 manifestants (1,4 million selon les organisateurs) demandent le retrait du projet de loi ouvrant le mariage aux personnes de même sexe. "Une grande armée qui se lève", selon les mots des organisateurs, et rappelle les rares précédents des grandes manifestations de droite, comme celle de 1984 pour la défense de l'école privée (entre 850 000 et deux millions de personnes) et celle de 1968 en soutien à Charles de Gaulle (entre 300 000 et un million de personnes). La Manif pour tous devient le troisième plus gros cortège parisien depuis 1984, selon Le Monde.

La difficile gestion des débordements

En quelques mois, la droite s'est (re)fait une culture de la manifestation, en rose et bleu, quitte à se faire violence sur le style. "Et de multiplier les conseils vestimentaires et les emprunts à la Techno Parade pour construire l'image ostensible d'une manifestation et de manifestants 'normaux', c'est-à-dire inscrits dans leur temps", note Le Monde. Elle s'est appuyée sur le soutien logistique de l'Eglise et sur des élus, certains allant jusqu'à défier physiquement les forces de l'ordre.

Comme la gauche à l'époque des "casseurs" des manifestations contre le CPE ou contre les retraites, la Manif pour tous est confrontée à des débordements qui lui nuisent et la placent dans une position inconfortable. Comme le rappelait à francetv info la chercheuse Florence Haegel, "la droite, c'est à la fois le légitimisme, les valeurs liées au respect de l'ordre, et l'idée de ne pas être dans la transgression". Propulsée dans le rôle de fauteur de troubles, elle s'essaie à un numéro d'équilibriste entre soutien aux manifestants, dénonciation d'intrus extérieurs au mouvement et contre-attaque présentant le gouvernement comme "responsable des tensions voire des violences".

Tandis que la gauche s'appuie traditionnellement sur des syndicats "ancrés dans la culture du mouvement ouvrier et de la revendication sociale", la droite se repose ici sur un mouvement "structurellement et socialement éclaté", ce qui rend le contrôle plus ardu, selon Stéphane Sirot, enseignant en histoire politique et sociale à l'université de Cergy-Pontoise, interrogé par francetv info. Derrière la Manif pour tous se cache en effet une kyrielle d'associations, parfois radicales.

A quoi bon manifester ?

Malgré leur mobilisation, les opposants au mariage pour tous n'empêcheront sans doute pas l'adoption du projet de loi. "On constate depuis le mouvement des retraites en 2003 un nouveau positionnement de l'Etat face aux mobilisations citoyennes massives, qui consiste à ne plus ouvrir de négociations", observe Stéphane Sirot. "Cette pratique du passage en force face à la rue transcende le pouvoir politique", qu'il soit de gauche ou de droite. François Hollande a décidé de ne pas céder, comme Nicolas Sarkozy hier.

Pour autant, "la Manif pour tous contribue à l'usure du pouvoir" et son influence va plus loin, selon Stéphane Sirot. "Alors que, depuis François Mitterrand, le PS s'est institutionnalisé et utilise très peu le levier de la manifestation, la gauche a de quoi s'inquiéter que la droite reprenne ce qui faisait ses singularités, estime l'enseignant. Si le mouvement s'ancrait dans une régularité, on pourrait assister à une réappropriation d'une pratique ancrée à gauche par la droite, notamment chez les jeunes." Reste à voir si le mouvement se poursuivra après le vote du mariage pour tous, comme le pense Valérie Pécresse.

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