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Royaume-Uni : "La mère porteuse de notre enfant est devenue un membre de la famille"

Article rédigé par Mathieu Dehlinger - Envoyé spécial au Royaume-Uni,
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Leyla et Richard Hutchings aux côtés de leur fils Zeki, né avec l'aide d'une mère porteuse, à leur domicile de Barnes (Royaume-Uni), le 30 septembre 2014. (MATHIEU DEHLINGER / FRANCETV INFO)

La GPA (gestation pour autrui) est autorisée depuis 1985 outre-Manche, à condition qu'elle ne soit pas commerciale. Francetv info s'est rendu en Angleterre, à la rencontre de familles et de mères porteuses.

Personne n'est autorisé à entrer, surtout pas sa femme. L'arrivée du bébé n'est prévue que pour janvier, mais déjà, Adrian s'affaire dans sa maison, près de Cambridge (Royaume-Uni), où il met la dernière touche à la chambre de son futur fils. Avec un mélange de fierté et d'impatience dans la voix, l'homme de 40 ans évoque cette "surprise" qu'il compte dévoiler à son épouse Elena en novembre, lors d'une baby shower, une grande fête organisée en vue de la naissance de l'enfant.

Après quinze années de mariage, l'arrivée de ce fils tant espéré signera la fin d'une longue attente pour le couple. "Il y a huit ans, j'ai été victime d'une grossesse extra-utérine, raconte Elena. On a perdu le bébé et mon système reproductif a été sérieusement endommagé. A cause de ces complications, porter un enfant ou même récupérer mes ovocytes serait très dangereux pour moi, mais nous savions que nous voulions fonder une famille."

Adrian et Elena Fineberg à leur domicile, dans le Cambridgeshire (Royaume-Uni), le 1er octobre 2014. (MATHIEU DEHLINGER / FRANCETV INFO)

La GPA autorisée depuis 1985

Pour y parvenir, Adrian et Elena ont fait appel à une mère porteuse, en devenant membres, à l'automne 2012, de l'association non-lucrative Surrogacy UK, l'une des deux principales organisations britanniques spécialisées dans la gestation pour autrui (GPA). Outre-Manche, la GPA est autorisée depuis une loi de 1985, à condition qu'elle soit "altruiste" : la gestatrice n'est pas censée être payée pour porter le bébé, mais peut recevoir une compensation pour les "dépenses raisonnables" liées à la grossesse, dont personne ne doit tirer profit.

Pendant plusieurs mois, Adrian et Elena ont régulièrement assisté à des rencontres organisées par Surrogacy UK, qui revendique parmi ses membres 270 couples et 180 mères porteuses. "Quand vous allez les voir, vous êtes un peu désespérés, c'est comme si c'était votre dernière chance", se souvient Adrian. "Mais ce n'est pas du tout un environnement triste, précise Elena. L'association nous a offert énormément de soutien, d'empathie, de joie."

Adrian et Elena Fineberg racontent la grossesse de leur mère porteuse dans un livre, destiné à leur futur enfant. (MATHIEU DEHLINGER / FRANCETV INFO)

Une mère porteuse devenue "une amie"

Finalement, en septembre 2013, ils reçoivent enfin "l'appel" : une mère porteuse, déjà maman de quatre enfants, souhaite les rencontrer. "Surrogacy UK nous a donné son contact un mercredi, et on lui a rendu visite le samedi, se souvient Adrian. C'était un peu surréaliste." "On a rapidement parlé de tout et de rien, raconte Elena. C'était facile, comme si je discutais avec l'une de mes amies. Il y a vraiment eu un déclic entre nous. Et maintenant que le bébé va arriver, nous allons débuter une nouvelle phase de notre aventure : on veut qu'elle participe à la vie de notre fils, elle sera en quelque sorte sa 'tatie'."

Pour les parents membres de Surrogacy UK, "l'appel" de l'organisation n'est pas un simple coup de fil. Tous évoquent un moment qui a chamboulé leur vie, le début d'une relation intense, parfois fusionnelle, avec leur mère porteuse. Privée de la possibilité d'avoir un enfant à la suite d'un cancer, Amanda se souvient encore avec précision du jour où le téléphone a sonné : c'était le 20 août 2013. "Pour nous, il fallait rencontrer la bonne personne, explique son mari Jason. Et on a tout de suite été à l'aise avec Annie, notre mère porteuse."

Jason Dicks et sa femme Amanda McKeane à leur domicile de Westley Waterless (Royaume-Uni), le 1er octobre 2014. (MATHIEU DEHLINGER / FRANCETV INFO)

"Je m'épanouis quand je suis enceinte"

Installée à un peu plus de 100 kilomètres de là, l'intéressée exhibe sans complexe son ventre arrondi, à quelques jours de l'accouchement. "Je suis très heureuse avec mes neveux et nièces et je ne voulais pas d'enfant, mais je voulais quand même vivre l'expérience de la grossesse", explique Annie, 36 ans. Sur les murs de sa maison s'affichent les échographies du précédent enfant qu'elle a porté, une fille, pour un autre couple. Aujourd'hui, elle se dit plus "épanouie" que jamais avec cette nouvelle GPA, réalisée avec la bénédiction de son compagnon.

Après une période de trois mois imposée par l'association, au cours de laquelle couples et mères porteuses sont censés faire plus ample connaissance, Amanda, Jason et Annie ont conclu un accord. Le document d'une vingtaine de pages n'a pas de valeur légale, mais il doit servir de guide aux futurs parents et à leur mère porteuse, en envisageant tous les scénarios possibles, même les plus dramatiques. Faut-il faire par exemple avorter si l'enfant à naître est atteint de trisomie 21 ?

Annie Dunkley pose avec les échographies du précédent bébé qu'elle a porté pour une famille britannique, à son domicile de Rugby (Royaume-Uni), le 29 septembre 2014. (MATHIEU DEHLINGER / FRANCETV INFO)

Une compensation, mais "pas de profit"

Le texte touche également à la question du dédommagement de la mère porteuse. "La compensation va en général de 10 000 à 23 000 euros", affirme Annie. Elle ne souhaite pas dévoiler le montant exact qu'elle va percevoir, mais dit se situer "dans la fourchette basse". La somme doit permettre de compenser la perte de salaire occasionnée par la grossesse et financer les frais annexes comme les achats de vêtements, les déplacements, l'éventuelle aide à domicile... "Je ne fais pas de profit, assure Annie, qui a, jusqu'au mois d'août, enchaîné les postes administratifs en intérim. Si vous devenez mère porteuse pour l'argent, je pense que vous le faites pour de mauvaises raisons, au lieu de le faire pour aider les autres."

Un discours altruiste également défendu par Rachael, une autre mère porteuse britannique. "J'ai commencé à y songer sérieusement il y a quelques années, confie-t-elle par courriel. Je voulais juste aider des gens à devenir parents et leur permettre de ressentir, comme moi, la joie d'avoir des enfants." Car de son côté, sa famille est déjà au grand complet. Actuellement sans emploi, la jeune femme de 27 ans est mère de trois enfants : Daisy, Jack et Max.

"On sera 100% transparents vis-à-vis de notre enfant"

Elle a donc choisi d'aider Richard et sa femme Leyla, victime d'une maladie génétique. "J'étais incroyablement nerveuse la première fois que je les ai rencontrés, se souvient Rachael. J'ai passé la matinée à nettoyer ma maison car ils venaient dîner chez nous. Et puis après avoir passé dix minutes à discuter avec eux dans la cuisine, j'ai su qu'on allait s'entendre." "Au début, c'était un peu bizarre, mais je me suis vite sentie détendue à ses côtés", abonde Leyla.

En mai, le couple a eu le bonheur d'accueillir Zeki dans sa maison de la banlieue cossue de Londres. "On sera 100% transparents à propos de ses origines, prévient Leyla. Rachael est devenue comme un membre de la famille pour nous." Devenue marraine du petit garçon, la mère porteuse lui a offert en cadeau un journal de sa grossesse, dans lequel elle a compilé ses pensées, accompagnées de photographies. Leyla porte autour de son cou un autre cadeau : un pendentif, avec l'inscription "N'abandonne jamais tes rêves."

La naissance de Zeki Hutchings, en mai 2014. De gauche à droite : Leyla, la mère du petit garçon ; Rachael, sa gestatrice, et son mari James ; Richard, le père de l'enfant. (RACHAEL DUNK)

"Ma plus grande crainte, c'était qu'elle change d'avis"

Mais pour que le bonheur soit complet, le couple a dû passer par le tribunal pour établir la filiation de Zeki, car au Royaume-Uni, la femme qui donne naissance à l'enfant est considérée comme sa mère légale. Les contrats de GPA n'ont pas de valeur pour la justice : après l'accouchement, les "parents d'intention" n'ont aucune obligation d'adopter le bébé et la gestatrice n'a aucune obligation de le leur confier, comme le rappellent ponctuellement les tabloïds britanniques à grand renfort d'histoires dramatiques. La loi impose d'ailleurs que la mère porteuse ne se prononce sur le futur de l'enfant qu'après un délai de six semaines à compter de la naissance.

De telles complications ne se sont jamais présentées dans le cas d'une GPA encadrée par Surrogacy UK, affirme l'association. Mais la question trotte tout de même dans la tête de certains parents. "Ma plus grande crainte, c'était que la mère porteuse change d'avis et qu'elle décide de garder le bébé", confie ainsi Richard. "Nous sommes tous les deux avocats, donc plutôt averses au risque", sourit sa femme, qui dit pourtant n'avoir pas été préoccupée par cette incertitude juridique. Dans leur cas, tout s'est déroulé sans problème.

Zeki Hutchings est né en mai 2014, grâce à une mère porteuse. (MATHIEU DEHLINGER / FRANCETV INFO)

"Une jolie cérémonie" devant un juge

Après la naissance, Richard, Leyla et Rachael ont reçu la visite de la Cafcass. Charge à cet organisme public, qui conseille les tribunaux familiaux, de veiller au bien-être de l'enfant et de contrôler que le dédommagement de la mère porteuse n'excède pas les "dépenses raisonnables". Avec 200 cas attendus cette année, selon la BBC et The Economist (en anglais), la gestation pour autrui est en développement au Royaume-Uni, mais le système n'est pas toujours rodé. "Nous étions le premier cas de GPA traitée par l'employée que nous avons rencontrée, donc elle ne savait pas vraiment quoi demander", note Richard. Pour éviter de tels moments de flottement, la Cafcass a publié un guide pratique à l'attention de ses représentants.

Après une dernière formalité – un court passage devant le juge –, Leyla et Richard sont devenus officiellement parents en août. "C'était une jolie cérémonie, on a même pris des photos, raconte la mère. Le magistrat était enthousiaste. D'habitude, les tribunaux familiaux ne voient que des gens qui se disputent, là c'était une journée de célébration." Désormais officiellement reconnue, la famille pourrait bien encore s'agrandir dans le futur. Si Leyla trouve qu'il est "encore un peu tôt pour y penser", Richard s'interroge : "Pourquoi pas ? Ce serait la cerise sur le gâteau." Indécise, Rachael ne ferme pas la porte à une nouvelle grossesse, mais pas pour un autre couple : si elle doit redevenir mère porteuse, ce sera pour Leyla et Richard. Et uniquement pour eux.

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