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L'"Ayraultport", le caillou dans la chaussure du Premier ministre

Le projet d'aéroport à Notre-Dame-des-Landes, "bébé" de Jean-Marc Ayrault, fédère de nombreux opposants qui dénonce l'attitude du nouveau Premier ministre. FTVi revient sur ce dossier explosif.

Article rédigé par Vincent Daniel
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Des manifestants contre le projet d'aéroport à Notre-Dame-des-Landes, le 3 mai 2012, lors d'un rassemblement à Nantes (Loire-Atlantique). (JEAN-SEBASTIEN EVRARD / AFP)

C'est une grosse épine dans le pied du nouveau Premier ministre. Le projet d'aéroport à Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique), considéré comme le "bébé" de Jean-Marc Ayrault, fait l'objet d'une bataille acharnée depuis près de quarante ans. Ecologistes, agriculteurs et simples résidents s'opposent à celui qui était jusqu'au 15 mai député-maire de Nantes, et soutien inconditionnel du projet. Malgré un moratoire signé début mai, ils continuent de se méfier de Jean-Marc Ayrault. FTVi revient sur les enjeux de "l'Ayraultport", comme il est surnommé par ses détracteurs. 

• La "grosse casserole" d'Ayrault 

L'aéroport Notre-Dame-des-Landes ("NDDL") est imaginé dès 1963 pour accueillir le Concorde. Le projet est finalement réactivé au début des années 2000 par le gouvernement de Lionel Jospin. Cet "aéroport interrégional du grand Ouest", qui doit être construit d'ici à 2017 dans une zone de bocage à 30 km au nord de Nantes, doit remplacer à terme celui de Nantes-Atlantique, installé en périphérie immédiate de la ville et menacé de "saturation", d'après sa direction.

Ses partisans y voient un double avantage : sécuritaire (de plus en plus d'avions survolent l'agglomération nantaise) et économique (accueil des gros porteurs comme l'A380, créations d'emplois…). Le projet est porté par l'Etat, qui confie la concession du futur équipement au groupe Vinci. Mais c'est Jean-Marc Ayrault qui incarne cet aéroport. Il en est un des soutiens indéfectibles, y voyant une source de développement économique pour sa métropole et de sécurité pour ses administrés.

"NDDL" fédère contre lui des agriculteurs refusant d'être expropriés ou réclamant le calme, Europe Ecologie-Les Verts, le Parti de gauche et le MoDem, de nombreuses associations locales, la Confédération paysanne, ainsi que des militants anarchistes installés illégalement sur la future zone aéroportuaire. Depuis des années donc, les opposants au projet font tout pour empêcher sa réalisation : regroupement en associations, procès, manifestations, grève de la faim... Et tous reprochent à Jean-Marc Ayrault sa gestion du dossier et son refus du dialogue. Les mêmes qualificatifs, peu flatteurs, reviennent dans la bouche des opposants : sectaire, autoritaire, d'une raideur intraitable.

"Je n'ai jamais pu lui en parler : il se met en colère", raconte ainsi la conseillère générale (Parti de gauche, ex-PS) Françoise Verchère. Même son de cloche chez Isabelle Loirat, conseillère municipale MoDem de Nantes. Sur France Inter, elle estime que "NDDL" est une "grosse casserole" pour Jean-Marc Ayrault. L'élue raconte que lors d'un débat sur le futur aéroport organisé à la mairie de Nantes, le député-maire "a fait fermer les portes" pour empêcher ses détracteurs d'y participer. Elle ajoute : "Il est capable d'aller parfois très loin dans la négation de ses opposants et dans le manque de respect".

• Opération déminage avant la nomination à Matignon

Depuis janvier 2012, la lutte contre l'aéroport s'est intensifiée. La raison : la procédure d'expropriation des propriétaires et des exploitants situés sur la concession de 1 600 hectares et ayant refusé un accord amiable a démarré à ce moment-là. Mais à mesure que Jean-Marc Ayrault va se rapprocher de Matignon, le dossier de "NDDL" va doucement être déminé.

Le 11 avril, des agriculteurs entament une grève de la faim pour protester contre le projet. Soutenus par de nombreux militants, ils montent un camp dans le centre-ville de Nantes. Un mouvement qui fait tache dans la ville du favori pour le poste de Premier ministre. Le 3 mai, François Hollande amorce une sortie : "J'attendrai que les recours soient levés pour qu’il y ait des travaux. Je ferai en sorte de ne rien faire qui puisse blesser, que pendant le temps des recours, les agriculteurs puissent continuer d’exploiter leurs terrains", comme le rappelle Rue89.

Il faut donc trouver un compromis. Une "solution de sortie où personne ne perde la face", explique alors José Bové, député européen Europe Ecologie-Les Verts. Après vingt-huit jours de grève de la faim, un accord est signé mercredi 8 mai entre une délégation PS de Loire-Atlantique et les agriculteurs, une semaine avant la nomination de Jean-Marc Ayrault à Matignon. 

Chacune des parties s'est accordée pour "qu'il n'y ait pas d'expulsion avant la fin des recours déposés à la date du 4 mai devant le Conseil d'Etat, la Cour de cassation et le Conseil constitutionnel". En clair, agriculteurs et habitants ne seront pas expulsés tant que l'ensemble des recours en justice n'aura pas été examiné, ce qui pourrait leur faire gagner deux ans.

Mais la décision ne remet pas en cause la volonté des collectivités locales de voir aboutir le projet. Pour Sylvain Fresneau, président de l'Association de défense des exploitants concernés par l'aéroport, le but de l'opération est clair : "Enlever cette épine du pied de Jean-Marc Ayrault dans la course à Matignon."

Le projet n'est pas abandonné, la bataille continue 

Le 8 mai, Jean-Marc Ayrault se félicite "que la grève ait pris fin et que la voie de la raison et du dialogue l’ait emporté". Mais le futur Premier ministre s'empresse d'ajouter : "Cela ne veut pas dire que le projet est abandonné." Et les opposants à "NDDL" perçoivent la nomination de Jean-Marc Ayrault à Matignon comme un "mauvais signal". "Si un Premier ministre venant d'une autre région avait été nommé (...), il aurait peut-être dit : 'Ce dossier-là commence à sentir vraiment mauvais, on laisse tomber", imagine Isabelle Loirat. 

L'opposante centriste à Jean-Marc Ayrault estime que son principal argument va tomber à l'eau avec sa nomination à Matignon. "Il dit toujours : 'C'est pas moi, c'est l'Etat, c'est un projet porté par l'Etat.' Or, l'Etat aujourd'hui, c'est François Hollande et Jean-Marc Ayrault", dit-elle, ironique. Mais il est peu probable qu'il renonce, selon elle : "Il s'est entêté depuis tellement longtemps que ça va être difficile, pour lui, d'y renoncer." En octobre 2009, Jean-Marc Ayrault avait déclaré à Presse Océan : "Si l'Etat décidait d'abandonner, les conséquences seraient extrêmement graves. Ce ne serait pas simplement l'abandon d'un projet, mais de tout l'Ouest. Je ne peux pas l'imaginer."

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