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Spectacle de Dieudonné : "Une intervention aussi rapide du Conseil d'Etat, c'est rarissime"

La justice a annulé l'arrêté d'interdiction du spectacle de l'humoriste à Nantes, mais le Conseil d'Etat, saisi par le ministre de l'Intérieur, s'est immédiatement emparé de l'affaire. Un spécialiste du droit public analyse la situation.

Article rédigé par Mathieu Dehlinger
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 2 min
L'humoriste Dieudonné au tribunal de Paris, le 13 décembre 2013. (JOEL SAGET / AFP)

Dieudonné a remporté sa première bataille judiciaire. En début d'après-midi, le tribunal administratif de Nantes (Loire-Atlantique) a suspendu l'arrêté préfectoral qui interdisait la représentation de son spectacle, Le Mur, dans la commune, jeudi 9 janvier 2014.

La décision a été immédiatement contestée par Manuel Valls : le Conseil d'Etat doit examiner, à 17 heures, la requête en référé du ministère de l'Intérieur.

Pour comprendre la situation, francetv info a interrogé Serge Slama, maître de conférences en droit public à l'université Evry-Val-d'Essonne et membre du Centre de recherches et d'études sur les droits fondamentaux (Credof).

Francetv info : Comment expliquer la décision du tribunal de Nantes ?

Serge Slama : La décision du juge des référés ne m'étonne pas. Il n'a pas été démontré qu'il n'y avait pas assez de forces de police pour maintenir l'ordre public. Le préfet lui-même avait affirmé qu'il mettrait en place des hommes, que le spectacle soit interdit ou non.

Le juge a aussi estimé que, même s'il y a des propos choquants dans le spectacle de Dieudonné, ce qu'il dit n'est pas en soi une atteinte à la dignité humaine. L'argument est intéressant : il dit que, de toute façon, ce spectacle a lieu depuis plusieurs semaines. Il y a déjà eu plusieurs représentations, et il n'y a jamais eu d'interdiction.

En revanche, le tribunal administratif rappelle que des procédures pénales sont possibles et que si Dieudonné tient des propos qui tombent sous le coup de la loi, il pourrait être poursuivi.

Le Conseil d'Etat doit examiner l'affaire dès aujourd'hui, à 17 heures...

C'est du jamais vu ou presque ! A ma connaissance, il n'y a qu'un seul précédent où le Conseil d'Etat est intervenu aussi rapidement : l'affaire Canal en 1962, qui concernait une condamnation à mort. Si ça se passe comme ça, c'est que le ministère de l'Intérieur avait pris attache auprès du Conseil d'Etat.

Que peut-il se passer à présent ?

Le Conseil d'Etat va envoyer un message très clair aux tribunaux administratifs sur ce qu'ils peuvent ou non décider. Juridiquement, il est possible qu'il se prononce avant la tenue du spectacle à Nantes [qui est programmé ce soir à 20 h 30].

J'ai tendance à penser que le Conseil d'Etat penche souvent plus du côté du pouvoir, surtout dans ce type de contexte politique très sensible. Et puis l'institution a toujours été, dans son histoire, sensible aux questions d'antisémitisme.

A mon avis, le Conseil va s'arranger pour que l'on interdise les spectacles, peut-être en posant des conditions, une sorte de mode d'emploi. Car il ne faut pas oublier que derrière, il y a la Cour européenne des droits de l'homme : le Conseil d'Etat ne peut pas se permettre de donner un quitus au gouvernement.

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