Témoignage franceinfo À peine nommée, la nouvelle vice-présidente de la Ciivise accusée d'agression sexuelle

La jeune femme qui porte plainte contre Caroline Rey-Salmon a confié son témoignage en exclusivité à franceinfo. La nouvelle vice-présidente de la Ciivise conteste l'intégralité des accusations.
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Caroline Rey-Salmon, médecin légiste et pédiatre française, assiste à une conférence de presse pour présenter la feuille de route et les nouveaux responsables de la Ciivise, à Paris le 5 février 2024. (EMMANUEL DUNAND / AFP)

À peine lancée lundi 5 février par la ministre chargée de la Santé, Catherine Vautrin, la nouvelle commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) est dans la tourmente. Sa nouvelle vice-présidente, Caroline Rey-Salmon, est accusée par une femme âgée de 25 ans d'agression sexuelle. Louison [le prénom a été changé] a porté plainte mardi dans un commissariat près de chez elle, a appris franceinfo.

Selon le récit qu'elle a délivré en exclusivité à franceinfo, Louison a décidé de porter plainte contre Caroline Rey-Salmon, pédiatre légiste et experte judiciaire, après un examen gynécologique qu'elle a subi il y a près de quatre ans. Un examen pratiqué dans le cadre d'une enquête judiciaire car Louison confie avoir été victime d'inceste pendant plusieurs années dans son enfance. C'est à ce titre que la brigade de protection des mineurs (BPM) s'est tournée vers Caroline Rey-Salmon pour que cette dernière réalise une expertise gynécologique.

Un examen gynécologique en cause

Convoquée, la jeune fille appréhende ce rendez-vous mais se rend à l'hôpital de l'Hôtel-Dieu à Paris en juin 2020. "Je suis venue en étant très stressée", se souvient Louison. Elle en ressort avec cette conviction : "J'ai été victime d'une nouvelle agression sexuelle durant l'expertise", affirme aujourd'hui la plaignante. Selon Louison, Caroline Rey-Salmon l'ausculte. "Après l'examen elle m'a dit que je me trompais, que je n'avais pas pu subir de viol vaginal parce que mon hymen n'était pas déchiré", relate Louison.

C'est là que l'examen gynécologique dérape, d'après la jeune femme : "Elle a posé ses doigts sur mon sexe, elle m'a dit : ‘Fermez les yeux, imaginez que là c'est le pénis de l'agresseur qui est sur vous. Est-ce que vous ne pensez pas qu'il faisait plutôt ce geste-là ?' […] Elle a fait à plusieurs reprises le geste de va-et-vient sur mon sexe." Louison l'assure : "Moi je répétais ‘je ne sais plus, je ne sais plus'. Elle [Caroline Rey-Salmon] disait : ‘Si si, fermez les yeux, souvenez-vous, remettez-vous dans la scène.'" 

"J'ai l'impression encore une fois que la société se moque de moi"

Près de quatre ans plus tard cette scène traumatise encore Louison. Elle se souvient : "Là j'ai totalement dissocié et j'ai oublié la suite de l'examen. Je me suis sentie totalement partir, je n'étais plus là, je ne pouvais plus bouger, plus rien faire."

"J'étais complètement sidérée, c'était tellement violent que j'ai oublié la fin de l'examen. Je ne sais pas comment je suis rentrée chez moi."

Louison

à franceinfo

À l'époque, Louison n'a pas souhaité déposer plainte contre cette médecin pour ne pas se rajouter des démarches alors qu'elle se bat déjà pour faire reconnaître l'inceste qu'elle dénonce. Le dossier est en panne depuis trois ans. Louison assure d'ailleurs ne jamais avoir reçu le rapport d'expertise de Caroline Rey-Salmon. Alors pourquoi porte-t-elle plainte aujourd'hui ? Le déclic est intervenu en décembre, raconte Louison. Quand elle a découvert les noms de la nouvelle équipe dirigeante de la Ciivise.

"Sur les réseaux, j'ai vu son nom et son visage apparaître. Ça m'a choquée de la voir. Je me suis dit que je me trompais, je suis allée voir dans mes documents pour retrouver la convocation et j'ai vu que c'était bien elle qui m'avait expertisée", se rappelle-t-elle. "Je ne peux pas ne rien faire et ne rien dire". Louison ne peut accepter la nomination de Caroline Rey-Salmon à la tête de la Ciivise : "Être à la tête de la Ciivise dont le but est justement de lutter contre les violences sexuelles et de protéger les enfants, je n'ai pas du tout confiance. J'ai l'impression encore une fois que la société se moque de moi."

Caroline Rey-Salmon conteste les accusations

Contactée par franceinfo, Caroline Rey-Salmon réagit a minima : "Je conteste l'intégralité des accusations dont je fais l'objet mais ne souhaite faire pour le moment aucun commentaire." Par ailleurs, franceinfo a retrouvé des écrits de sa main, dans lesquels Caroline Rey-Salmon semble pourtant valider la méthode d'examen décrite par Louison. 

Dans la revue spécialisée Les Cahiers de la Justice, Caroline Rey-Salmon écrit en 2018 un article intitulé "Les violences sexuelles sur mineurs : diagnostic médical, constats et perspectives". La médecin y explique que "les enfants méconnaissent leur anatomie génitale [...] et n'ont pas les mots pour décrire ce qu'ils ont subi." Elle poursuit : "C'est tout l'intérêt de faire avec l'enfant sur la table d'examen une sorte de reconstitution des gestes de l'agresseur et de recueillir ses sensations pour être au plus près du déroulement des faits." Franceinfo a interrogé d'autres pédiatres légistes et des psychiatres experts auprès des tribunaux, et aucun ne valide une telle pratique.

En soutien à Louison, une pétition a été lancée par le Mouvement de lutte contre toutes les formes de violence faites aux enfants (Mouv'Enfants).  L'association reconnaît que "la présomption d’innocence doit être préservée". Mais elle demande au président de la Ciivise et à Catherine Vautrin, la ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités, "la mise en retrait sans délais de la Docteure Caroline Rey-Salmon". "Comment garantir que la Commission Indépendante sur l’Inceste et les violences sexuelles faites aux enfants soit un espace sécurisé pour les victimes de violences sexuelles dans leur enfance, si la vice-présidente est inquiétée pour de tels faits ?", s'interrogent les auteurs de la pétition. "Louison, nous vous croyons, nous vous soutenons !", ajoute Mouv'Enfants.

Le président de la Commission lui apporte son soutien

Sébastien Boueilh, président de la Ciivise, ne souhaite pas commenter la plainte déposée contre sa nouvelle vice-présidente. Invité, mardi soir, dans l'émission Quotidien sur TMC, Sébastien Boueilh a déclaré apporter "son soutien" à Caroline Rey-Salmon. "Si la victime a porté plainte tant mieux, je pense que Caroline le fera aussi et la justice tranchera", a ajouté Sébastien Boueilh.

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