Expulsion des étudiants en résidence universitaire : "Il y a assez peu de recours ou de protection", dénonce la fondation l'Abbé Pierre

Face à une décision d'expulsion qui prend acte quasiment du jour au lendemain, un étudiant connaît rarement ses droits et se retrouve contraint parfois à renoncer à ses études, dénonce la fondation.
Article rédigé par franceinfo
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Douze résidences universitaires sont réquisitionnées, photos d'illustration. (BRUNO LEVESQUE / MAXPPP)

"Il y a assez peu de recours ou de protection" pour les étudiants expulsés des résidences universitaires gérées par les Crous, a dénoncé vendredi 8 septembre sur franceinfo Manuel Domergue, directeur des études à la fondation Abbé Pierre. L’association vient de publier une étude choc intitulée Silence, on expulse qui pointe les expulsions expéditives de certains étudiants logés dans des résidences Crous pour des motifs "pas très graves" au nom d’un "turn-over" imposé par le manque criant de logement.

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Les impayés de loyers, l’organisation de fêtes ou le logement d’une tierce personne peuvent être les motifs de ces expulsions. "Le tribunal administratif accorde quasiment tout le temps l'expulsion avec un délai allant de zéro jour, la plupart du temps, à quinze jours. C'est très expéditif", a-t-il expliqué. Certains étudiants sont donc contraints d’interrompre leurs études, n’ayant plus la possibilité de se loger.

franceinfo : Les étudiants ne bénéficient pas des mêmes garanties, des mêmes droits que les autres locataires ?

Manuel Domergue : Il n'y a quasiment aucune garantie similaire aux locataires. Quand on expulse un locataire habituel, il y a une procédure. Il faut que la police expulse la personne après une procédure en justice. Il y a des délais, certains peuvent les trouver trop longs. En tout cas, ils sont là pour protéger les locataires. Pour les étudiants, il n'y a rien du tout quasiment. Il faut passer par le tribunal administratif qui est un tribunal très particulier dans lequel la situation de l'étudiant n'est quasiment jamais vraiment étudiée. Le tribunal administratif accorde quasiment tout le temps l'expulsion avec un délai allant de zéro jour, la plupart du temps, à quinze jours. C'est très expéditif. Et ça, c'est quand la procédure est respectée.

"Il y a beaucoup de situations où les dirigeants de la résidence du Crous, mettent la pression au locataire, parfois appelle ses parents, coupe l’électricité, démagnétisent les badges ou changent les serrures, en dehors de toute règle de procédure."

Manuel Domergue, directeur des études à la fondation Abbé Pierre

à franceinfo

Les étudiants locataires ne connaissent pas tellement leurs droits, ils sont un peu intimidés. Souvent, il y a assez peu de recours ou de protection.

Ces expulsions concernent combien d'étudiants ?

C'est difficile à dire. Il y a très peu de chiffres. On a réussi à collecter 221 situations de procédure devant le tribunal administratif demandant l'expulsion des étudiants. C'est sans doute une toute petite partie de la réalité. C'est d'ailleurs dommage qu'on ne puisse pas connaître le nombre d'expulsions locatives dans les Crous. Ça veut dire que déjà, ce n’est pas un sujet qui est traité sérieusement à la fois par la justice et par les Crous.

Pourquoi sont-ils expulsés ?

Il y a un impératif un peu gestionnaire qui pèse sur les Crous.

"Ils doivent chaque année avoir un turn-over de 60% pour faire la place à d'autres étudiants."

Manuel Domergue

à franceinfo

Cette pénurie de logements étudiants fait qu’il faut rapidement faire tourner les étudiants. Dès que vous avez un impayé, forcément, vous êtes un peu mis dehors assez rapidement. La première raison, c'est les impayés de loyers. On sait qu'il y a une grande précarité parmi les étudiants. Vous n'êtes pas vraiment chez vous dans une cité universitaire. Si vous hébergez quelqu'un chez vous, par exemple, dans votre chambre universitaire, vous pouvez être expulsé. Ce n’est pas des choses très graves. Si vous organisez des soirées, s’il y a de la consommation de drogues, ça peut être aussi des motifs d'expulsion. Il y a aussi parfois des étudiants qui voient leur carrière universitaire un peu brisée pour des faits qui ne sont pas des faits graves. Héberger un ami, sa mère pour des raisons de nécessité. Évidemment, ce n'est pas autorisé, mais ce n’est quand même pas très grave. Perdre son logement étudiant souvent, ça veut dire se retrouver sans solution, retourner chez ses parents parfois qui habitent très loin, donc arrêter la fac ou prendre un emploi à temps plein pour se payer une chambre de bonne dans le parc locatif privé qui est beaucoup plus cher que les cités U.

C’est aussi le résultat d’une crise du logement criante ?

C'est le symptôme d'une grande pénurie de logements étudiants. On a de plus en plus d'étudiants. On est maintenant à 3 millions d'étudiants et cette massification n’a pas été suivie du tout d'une augmentation forte du nombre de logements étudiants. Il y a même une baisse de la production depuis quelques années. Il faut un plan massif de logements Crous pour les étudiants. On défend le logement Crous. C'est très important. C'est très adapté à la vie étudiante, ce n’est pas très cher, donc c'est très bien. Il faut aussi un plan massif de production de logements en général, parce que si on a autant besoin des logements en cité U, c'est parce qu'il manque des logements en général. Il faut relancer la production de logements et notamment de petits logements dans les zones tendues. C'est là que le segment est le plus tendu et c'est là que tous les étudiants supplémentaires, chaque année, arrivent dans les villes universitaires. Et puis, il faut faire bénéficier les locataires de cités U des mêmes protections que les autres locataires, en foyer de jeunes travailleurs, dans des logements standards, dans les HLM, parce que c'est important de protéger les étudiants.

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