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Enfant-roi, mythe du Père Noël, bébés qui comprennent tout… Que reste-t-il de Françoise Dolto ?

La psychanalyste des enfants la plus connue de France est morte il y a 30 ans tout juste. L'occasion de se pencher sur son héritage à propos de l’éducation des enfants.

Article rédigé par Noémie Bonnin
Radio France
Publié
Temps de lecture : 7 min
La psychanalyste Françoise Dolto. (DE ANDRADE-ANA / ONLY FRANCE)

Quel héritage gardons-nous aujourd'hui de Françoise Dolto ? La pédiatre très populaire continue régulièrement de faire parler d’elle, même 30 ans après sa mort, le 25 août 1988. Que penser aujourd’hui de ses théories ? Pour y voir plus clair, franceinfo a soumis à deux spécialistes actuels des affirmations attribuées – à tort ou à raison – à la psychanalyste.

Didier Pleux est psychologue, il a notamment écrit La Déraison pure : Dolto entre Freud et Pétain (Autrement) et Génération Dolto (Odile Jacob).

Daniel Olivier est psychanalyste, il a fondé et préside l'association Françoise Dolto, ici et maintenant.

Françoise Dolto, c’est la fin de l’autorité parentale

Didier Pleux : Je crois que oui. Elle ne le voulait pas, mais c’est la fin de l’autorité, dans le sens où pour elle, l’autorité, c’est une castration. Ce que je ne pense pas du tout : pour un tout petit, les règles du coucher, d’alimentation, de politesse etc, ce sont des bonnes règles. Ce ne sont pas, comme disait Dolto, des règles qui ne servent à rien.

Daniel Olivier : Je ne crois pas du tout. Je pense qu’elle fait des adultes ce qu’elle appelait des adultes tutélaires, c’est-à-dire des gens qui vont aider à faire grandir un enfant et donc de fait, ils doivent faire autorité mais pas être autoritaires, c’est peut-être la nuance qu’il y a à apporter à cette phrase.

Françoise Dolto, c’est "l’enfant roi"

Didier Pleux : Pas exactement, elle n’a jamais dit que l’enfant devait être au centre de la famille. Mais par contre, ses hypothèses de travail en éducation sont permissives. Donc c’est vrai que si on suit Dolto à la lettre, l’enfant risque à un moment donné de prendre le pouvoir, de devenir tout puissant. Elle défendait le fait que l’enfant puisse transgresser, c’est un signe de sa personnalité, il peut être grossier, il peut agresser, il peut désobéir. C’est ce qu’elle voulait. Mais c’était le contexte des années 50, où l’enfant était plutôt malmené.

Daniel Olivier : Il faut vraiment ne pas avoir lu Dolto pour penser une seconde qu’elle puisse faire de l’enfant un enfant roi. L’enfant roi, c’est tout, tout de suite, tout le temps. Dolto, c’est tout l’inverse. Les choses se conquièrent et pour y accéder, il faut accepter de lâcher un certain nombre de choses.

Pour Françoise Dolto, ce que dit un enfant est toujours vrai

Didier Pleux : Non, absolument pas. Un enfant peut parfois inventer des histoires. Si on croit que chez l’enfant, il y a un sens profond derrière n’importe quel acte, le parent va marcher sur des œufs, il va se dire mon enfant exprime encore quelque chose. Non, des fois il ne dit rien du tout, si ce n’est je veux jouir de la vie et je n’ai pas envie d’avoir d’autorité qui me frustre, tout simplement.

Daniel Olivier : Cela dit toujours quelque chose de lui. Après, que ce qu’il dit soit toujours vrai, bien évidemment que non. Mais même si c’est une parole apparemment fausse, il faut garder à l'esprit qu'il nous dit quelque chose de sa véracité à lui. Il faut entendre ce qu’il dit, mais aussi peut-être entendre ce qu’il ne dit pas.

Françoise Dolto est contre le Père Noël

Didier Pleux : J’ai vu des tas de parents de ma génération qui disaient qu’il fallait très vite annuler cette histoire de Père Noël, parce qu’à ce titre-là, il fallait dire tout le temps la vérité aux enfants. C’est le fameux mythe des secrets de famille. Encore une fois, en psychanalyse, il ne faut pas mentir, l’enfant doit tout savoir. Si l’arrière-grand-père a été pétainiste, il faut le dire à l’enfant, sinon il va avoir des boutons partout. Moi je ne crois pas du tout à cette transmission-là d’inconscient à inconscient, d’esprit à esprit. Mais Dolto y croit beaucoup.

Daniel Olivier : Absolument pas. Dire la vérité dans certaines circonstances, ça ne signifie pas tout dire. Un enfant doit savoir d’où il vient, mais il n’a pas à tout savoir de l’intimité de ses parents par exemple. Par ailleurs, que l’enfant soit construit dans des mythes, des croyances, comme le Père Noël, qu’il soit amené à en rêver, que ça construise son imaginaire, bien sûr qu’elle n’était pas contre. Le Père Noël est une invention merveilleuse.

Pour Françoise Dolto, le bébé comprend tout ce que nous lui disons

Didier Pleux : C’est ce qui séduit dans la pensée de Dolto. Quand on voit les pédiatres qui touchent un enfant et qui lui parlent pour lui dire que sa maman va revenir et que l’enfant se tourne, on se dit qu’il comprend. Mais non, il ne comprend pas. Il entend la voix, il entend une musique et l’enfant répond à ça. Mais de croire qu’un enfant a la même maturité cérébrale qu’un adulte et qu’il comprend tout ce qui se passe au niveau de la communication et du langage, là aussi c’est une sorte d’aberration.

Daniel Olivier : C’est un point tout à fait essentiel de l’œuvre de Dolto. Il faut nuancer le terme de "comprendre". C’est-à-dire que le bébé va faire immanquablement quelque chose de tout ce qui lui est dit. Avec cette parole qui s’adresse à lui, il va identifier à quel point il est pris comme un sujet à part entière. Après, qu’il en comprenne le texte de façon précise, certainement pas.

Françoise Dolto, c’est tout expliquer par la psychanalyse

Didier Pleux : Derrière un comportement, il y a parfois un sens, effectivement. J’ai vu des tas d’adolescents qui travaillaient mal parce que leur frère avait fait Polytechnique et qu’ils se sentaient dévalorisés, donc il y avait bien un sens. Ce qui ne va pas, avec Dolto, c’est ce que j’appelle la psychanalisation de l’éducation. C’est-à-dire que tout est langage, tout a un sens. Quelques fois, un enfant s’habille d’une telle façon non pas parce qu’il exprime sa crise d’adolescence, mais parce qu’il préfère le rouge au bleu. C’est là que ça ne va pas.

Daniel Olivier : Résumer Françoise Dolto à cet exemple serait une injure et un peu caricatural. Elle essayait de décoder le sens que peuvent avoir les choses, de décoder ce qui peut se jouer devant nous et qu’on ne comprend pas toujours. On peut penser qu’il y a toujours une explication, après, est-ce que c’est nécessaire de toujours la conquérir ou l’épingler, je n’en suis pas sûr du tout.

Françoise Dolto, c’était bien dans les années 70, aujourd’hui c’est dépassé

Didier Pleux : Je suis tout à fait d’accord avec ça. Moi j’aurais souhaité que mes parents lisent Dolto quand j’étais petit, mais c’est vrai que maintenant, c’est anachronique, c’est hors contexte. Les enfants, au milieu du 20e siècle, étaient souvent des enfants pas écoutés, voire malmenés, voire abusés. Mais maintenant, pour les enfants du début du 21e siècle, on a un contexte socio-économique avec beaucoup de consommation, beaucoup de plaisirs, un contexte psychologique avec beaucoup d’attachement, de respect de l’enfant. On a été un peu trop fort là-dedans. Les enfants de maintenant ont davantage besoin d’autorité, de contraintes, de frustration.

Daniel Olivier : Il y a un avant et un après Françoise Dolto. Dans les écoles, dans les maternités, dans les crèches, je pense que les adultes ne s’adressent plus aux enfants de la même façon depuis le travail de Françoise Dolto. Si on lit Dolto (comme La difficulté de vivre par exemple), vous verrez qu’elle est d’une extraordinaire actualité, notamment sur les affres et les limites que représente l’école aujourd’hui, dans sa façon de ne pas accueillir les sujets. Je pense que sa pensée est d’une actualité tout à fait effervescente.

Françoise Dolto a été pétainiste

Didier Pleux : Oui, bien sûr. Je me suis fait critiquer parce que j’ai abordé ça. Ce n’est pas moi qui ai découvert ça, c’est Annick Ohayon, une universitaire, qui a simplement regardé dans les archives. Selon elle, Dolto a été embauchée de 1941 à 1944, sous l’autorité d’Alexis Carrel, qui est un eugéniste. C’est une partie de sa vie qui est complètement censurée dans notre culture. Dolto a aussi été trotskiste en 1946 et très 68 en 1968. Je crois que c’est quelqu’un qui a une intelligence d’opportunité. Mais ça ne blesse pas toute la réputation qu’elle a, c’est une femme qui a fait beaucoup de choses sur la défense de l’enfant, mais il faut faire attention.

Daniel Olivier : Là on sent des paroles trimballées par des détracteurs. Je me suis toujours demandé s’ils avaient déjà lu Dolto ou s’ils étaient de mauvaise foi, je suis arrivé à la conclusion qu’ils devaient être un peu les deux. Ça ne fait pas partie de son histoire, cette remarque historique est complètement invalide. Elle ne nous intéresse pas du tout. S’intéresser au travail de Dolto, ce n’est pas du tout répondre à ce type de question, ni faire bouillir la marmite de conflits complètement insipides et inféconds.

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