Education : face aux suppressions de postes et aux fermetures de classes, enseignants et parents d'élèves oscillent entre colère et dépit
"C'est une vraie saignée", dénoncent les organisations syndicales. Lors de la prochaine rentrée de septembre 2023, 1 165 postes d'enseignants seront supprimés dans l'enseignement public. Le ministère de l'Education nationale a justifié cette décision mi-décembre auprès des syndicats en pointant la baisse de la démographie scolaire.
De quoi provoquer la colère d'une large partie de la communauté éducative et des parents d'élèves, qui multiplient les actions devant les établissements et les rectorats depuis quelques semaines. Les conséquences de ces suppressions de postes, qui diffèrent selon les niveaux, sont nombreuses. Dans le premier degré, elles entraîneront directement des fermetures de classes, décidées à l'échelle départementale depuis le début de l'année. Au collège et au lycée, ce sont les enveloppes d'heures données à chaque établissement – les dotations horaires globales (DHG) – qui se retrouvent affectées.
Selon les chiffres révélés par le ministère fin 2022, et que franceinfo a pu consulter, les écoles publiques devraient perdre près de 64 000 élèves à la rentrée 2023, soit une baisse de 1,15% par rapport à la rentrée de septembre dernier. La diminution dans le secondaire sera toutefois bien moins significative que dans le primaire, avec seulement 840 élèves de moins à l'automne prochain.
C'est en partie face à ce constat, et pour coller au plus près des besoins, que le ministère a annoncé la suppression de postes dans de nombreuses académies. Au total, 667 postes de professeurs des écoles dans le premier degré et 498 postes d'enseignants dans le second degré seront concernés. L'académie de Paris est la plus touchée, avec 337 postes à temps plein supprimés (155 dans le primaire et 182 dans le secondaire), suivie par celle de Lille (310) et la Normandie (204).
Une saignée inédite "depuis au moins dix ans" dans le primaire
Dans les écoles, la mobilisation pour dénoncer ces suppressions de postes est d'une ampleur "inédite", déclare Guislaine David, cosecrétaire générale et porte-parole du Snuipp-FSU, syndicat majoritaire du premier degré. Car, contrairement au second degré, "nous n'avions pas connu un nombre aussi élevé de suppressions de postes depuis au moins dix ans", précise-t-elle. Aux côtés des enseignants, les parents d'élèves s'inquiètent surtout des fermetures des classes engendrées.
A ce titre, dans la Creuse, plusieurs écoles se sont mobilisées fin février pour contester la fermeture possible de 19 classes, dont deux écoles, selon le projet de carte scolaire présenté par le directeur académique des services de l'Education nationale du département. A Paris, les fédérations sont également en colère, et certains élus comme le maire adjoint David Belliard ont même pris part à la cohorte, mi-février. "Il faut que le gouvernement s'explique sur ses choix", avance Sylvaine Baehrel, présidente de la FCPE Paris. Une séance de négociations avec le rectorat doit avoir lieu lundi 6 mars pour discuter de ces suppressions, en présence des organisations syndicales, des associations de parents d'élèves et de la mairie de Paris.
Contacté par franceinfo, le ministère explique qu'au-delà de l'argument démographique, la répartition des moyens pour la rentrée 2023 a été calculée selon plusieurs critères, afin de procéder à un rééquilibrage entre des territoires historiquement "sur-dotés" et d'autres "sous-dotés" depuis plusieurs années. C'est pourquoi le nombre d'enseignants va augmenter dans le premier degré dans les académies de Versailles, Créteil, Nice, en Guyane ou encore à Montpellier. Tandis que l'académie de Paris, entre autres, perdra une centaine de postes en maternelle et primaire. Mais pour Sylvaine Baehrel, cette justification n'est pas entendable. "On nous culpabilise, mais au final, on ne donne toujours pas les moyens suffisants aux départements qui en ont le plus besoin", déplore-t-elle.
A Paris, "une réelle pénurie"
Sophie Vénétitay, secrétaire générale du Snes-FSU, le principal syndicat des professeurs du secondaire, estime également que l'argument de la baisse démographique "n'en est pas un". Le ministère "instrumentalise" ces chiffres pour justifier une baisse de moyens, selon elle. Au contraire, nombre d'enseignants et de parents d'élèves regrettent que le gouvernement n'ait pas profité de l'aubaine de cette baisse d'effectifs pour améliorer les conditions d'enseignement dans de nombreux établissements. "On aurait pu se saisir de cette opportunité pour développer une politique ambitieuse pour l'école publique", regrette Sylvaine Baehrel.
"Cette décision de supprimer des postes est synonyme de renoncement ; renoncement à avoir un service public qui permette d'avoir accès à un enseignement de qualité."
Sophie Vénétitay, secrétaire générale du Snes-FSUà franceinfo
La diminution des effectifs aurait notamment pu permettre de remettre à flot les équipes d'enseignants remplaçants. "A Paris, nous sommes confrontés à une réelle pénurie", affirme Léa de Boisseuil. La cosecrétaire académique du Snuipp-FSU de Paris estime que, selon les calculs du syndicat, "entre 80 et 90 classes par jour ne sont pas remplacées" dans la capitale.
Ces suppressions de postes sont également susceptibles d'entraîner la disparition de dispositifs particuliers, qui ne pourront plus être assurés correctement, tels que le dédoublement des classes ou les cours en effectifs réduits dans les collèges, selon Jean-François Caremel, secrétaire académique du Snes-FSU de Lille. "L'offre de formations dans les établissements sera appauvrie", abonde le responsable syndical, qui cite notamment l'exemple de lycées se retrouvant dans l'obligation de réduire le nombre de spécialités proposées aux élèves pour le baccalauréat. "Certaines sections de BTS pourraient également être menacées", ajoute-t-il.
Des classes toujours trop chargées
"Avec ces postes en moins", les effectifs dans les classes, déjà à flux tendu dans de nombreux établissements, vont surtout "inévitablement augmenter", assure Sophie Vénétitay. C'est déjà le cas dans le Nord, où les établissements sont amenés, "depuis trois ans", à gonfler les effectifs par classe pour compenser le manque de moyens, "y compris dans les collèges les plus défavorisés" qui bénéficiaient du dispositif de dédoublement, explique Jean-François Caremel. "Dans les lycées, on est déjà à 35 élèves par classe. Au-delà, ça devient inimaginable."
Dans la capitale, la moyenne d'élèves par classe en primaire est de 19,9, soit l'une des plus basses du territoire (la moyenne nationale est de 21,7). Mais "elle reste au-dessus de la moyenne européenne" (19 élèves par classe en moyenne à l'école élémentaire), rétorque Sylvaine Baehrel, qui déplore "qu'on n'ait pas saisi l'opportunité pour se rapprocher encore plus" de conditions optimales dans les classes.
Un regret également exprimé dans les territoires ruraux, où la suppression d'une classe peut rapidement avoir des conséquences néfastes dans les petits établissements. "On se retrouve déjà avec des classes à double ou triple niveaux, ce qui n'est pas bon pour les enfants", estime Guislaine David.
Pour le premier degré, les académies doivent rendre les versions finales de leur carte scolaire avant fin mars. Le rectorat de Lille précise à franceinfo que des ajustements seront possibles dès la rentrée concernant les fermetures de classes annoncées, "à la suite de recomptages des effectifs". Dans le secondaire, des demandes d'audience peuvent également être formulées afin de rediscuter des moyens alloués avec le rectorat.
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