Dans le viseur des autorités, le lycée musulman Averroès de Lille pourrait bien perdre ses financements publics
En 1994, 19 jeunes filles refusent d’enlever leur voile et sont exclues de leur lycée public Faidherbe à Lille. Les juges estiment alors que la circulaire du mois de septembre 1994, sur le port de signes religieux "ostentatoires" à l'école, signée de François Bayrou, alors ministre de l'Education nationale, était conforme au droit.
L’idée d’un établissement confessionnel musulman émerge alors mais ce n’est qu’en septembre 2003 que le lycée Averroès ouvre à Lille, il ne compte alors que 11 élèves.
Cinq ans plus tard, l’Etat lui accorde le statut d’établissement sous contrat. Avec à la clé, une aide du ministère de l'Education nationale pour la rémunération des professeurs et un forfait dit d’externat, versé par la région des Hauts-de-France. Plus de 300 000 euros par an d’argent public, pour le fonctionnement du lycée (salaires du personnel non-enseignant et dépenses pédagogiques).
Un lycée aujourd’hui dans le viseur
Ce lundi 27 novembre 2023, se réunissait à Lille, à l’initiative du préfet du Nord, la commission consultative académique (inspecteurs d'académie, élus régionaux et départementaux, représentants de l'enseignement privé, parents d'élèves...) qui se penchait sur le sort de l'établissement et votait pour le maintien ou non du contrat d’association de l’établissement. Autrement dit : les financements publics indispensables à la survie du lycée.
Et, selon nos informations, c'est un vote favorable au retrait du contrat qui a eu lieu ce lundi. Au préfet désormais de se prononcer. Sa décision devrait intervenir dans les jours qui viennent.
Aux origines de ce bras de fer, notamment : un rapport confidentiel de 12 pages, rédigé par le préfet du Nord le 27 octobre dernier, dans lequel il expose les motifs qui justifient sa demande de révocation du contrat qui lie le lycée à l’Etat.
Il évoque je cite : “Une communauté éducative inquiétante”, “Plusieurs enseignants judiciairement mis en cause” et “des actes de prosélytisme.”
S’ils sont enseignants au lycée, ils ont été nommés par le rectorat, ce n'est donc pas moi l’employeur
Eric Dufour, directeur du lycée AverroèsA L'Oeil du 20H
Éric Dufour, directeur du groupe scolaire Averroès, dit ne pas avoir connaissance des procédures judiciaires en cours et ne pas être responsable des agissements des professeurs : "C’est très simple, s’ils sont enseignants au lycée, ils ont été nommés par le rectorat, ce n'est donc pas moi l’employeur. Je suis certes leur supérieur d’un point de vue administratif mais c’est le rectorat qui nomme et suspend ces personnes”.
Concernant le volet pédagogique, le document du préfet mentionne la présence d’un ouvrage : "Commentaire des Quarante hadiths de l'imam An-Nawawi" qui aurait été étudié, selon lui, par les élèves de seconde. Les deux auteurs - MustafaAl-Bugha et Muhyi Ad-Din Mistu - y édictent des préceptes religieux tels que "L’interdiction pour une femme malade de se faire ausculter par un homme lorsqu’une femme peut réaliser cet acte." (commentaire du 9è Hadith). L’ouvrage fait aussi référence à l’apostasie - ou abandon de l’islam : L’apostasie est prohibée sous peine de mort : "Le musulman qui ne fait pas la prière tout en reniant son caractère obligatoire cesse d'être musulman et est considéré comme apostat. Il s'ensuit qu'il doit être exécuté (...)" (commentaire du 14è Hadith). Un ouvrage, juge le rapport du Préfet "en complète contradiction avec les valeurs républicaines."
Selon le directeur du lycée Averroès, ce livre n’aurait jamais été placé entre les mains des élèves mais “suggéré” en cours d’éthique : “Il a été mentionné en référence bibliographique. Il a échappé à notre vigilance. C'est pour ça que j’ai supprimé le programme d’éthique. C'est pour vous dire."
Il n’y a pas à nous ramener sans arrêt à des États, à des mouvances qui n’ont pas lieu d’être ici
Eric Dufour, directeur du lycée AverroèsA L'Oeil du 20H
Sur la base d’un précédent rapport de la cour régionale des comptes, en date de juin 2023, le préfet évoque aussi un système de financement qu’il qualifie d’"illicite", en raison d’un présumé manque de transparence : “Une part non négligeable du financement de l’établissement provient d’espèces, donc d’argent non traçable et de financements d’associations, certaines elles-mêmes bénéficiaires - peut-on lire - de fonds d’origine étrangère”. “Des flux impliquant des structures associatives liées, ajoute le document, à la mouvance frériste”. Comprendre : l’organisation islamiste des Frères musulmans.
Interrogé, le directeur du lycée dément toute ingérence islamiste :"Il n’y a pas à nous ramener sans arrêt à des États, à des mouvances qui n’ont pas lieu d’être ici. Je suis le garant, le rempart contre la radicalisation, contre le séparatisme."
Le lycée Averroès tient à rappeler que les nombreuses inspections académiques n’ont jamais mis en lumière de manquements. Contacté, le ministère de l'Education nationale n’a quant à lui pas souhaité faire de commentaires.
PARMI NOS SOURCES
Les établissements d'enseignement scolaires privés
Le code de l’éducation fixe le statut de ces établissements, par des dispositions issues de deux lois :
- La loi du 31 décembre 1959, dite loi "Debré", du nom de l’auteur du projet de loi dont elle est issue, alors Premier ministre et ministre de l’éducation nationale ;
- La loi du 13 avril 2018, dite loi "Gatel", du nom de la sénatrice auteure de la proposition de loi dont elle est issue.
Association Averroès : le rapport de la Cour Régionale de Comptes des Hautes-de-France de juin 2023
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