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Pollution de l'air : pourquoi la France est une mauvaise élève

Paris risque une lourde amende de Bruxelles en raison des particules fines. Pourtant, la qualité de l'air n'est pas au menu de la Conférence environnementale qui s'ouvre vendredi. 

Article rédigé par Thomas Baïetto
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Les gaz d'échappement du diesel, le carburant le plus utilisé en France, sont montrés du doigt par les associations environnementales. (FRED TANNEAU / AFP)

La qualité de l'air n'est pas au programme de la Conférence environnementale qui s'ouvre vendredi 20 septembre, à Paris. Pourtant, la pollution atmosphérique pourrait coûter à la France, l'an prochain, une amende de 11 millions d'euros et 240 000 euros de pénalités par jour jusqu'à ce que la qualité de l'air s'améliore. La Commission européenne poursuit l'Hexagone pour non-respect des valeurs-limites de particules fines PM10 (au diamètre inférieur à 10 micromètres) dans 15 zones. Soit 12 millions de personnes, selon le ministère de l'Ecologie, qui voient ainsi leur santé menacée.

De fait, en 2012, une dizaine de villes françaises ont en moyenne dépassé les normes européennes près du trafic routier, selon les données compilées par les différentes associations régionales de mesures en France dans le cadre du projet européen Citeair. Lorsque l'indice est supérieur à 1 (en rouge), les normes européennes sont dépassées pour un ou plusieurs polluants. Lorsqu'il est inférieur ou égale à 1 (en vert), elles sont respectées en moyenne.

Marseille est même au-delà de la limite pour les mesures effectuées loin des routes.

La qualité de l'air s'est certes améliorée ces dernières décennies et la France est loin d'être le seul pays de l'Union européenne (UE) concerné, puisque 16 de nos voisins font l'objet de poursuites similaires. Mais les émissions de polluants se sont stabilisées à des niveaux encore insuffisants, et la France fait partie des mauvais élèves de l'UE. Elle ne respecte pas non plus les valeurs-limites sur les émissions de dioxyde (NO2) et d'oxyde d'azote (NOx), raisons pour lesquelles un nouveau contentieux se profile.

"L'air, c'est compliqué"

Comment en est-on arrivé là ? Pour Thibaut Vonthron, porte-parole de l'association Respire, il s'agit d'abord d'un problème de prise de conscience. "La pollution de l'eau va donner une couleur et un goût qui se remarquent et poussent à agir. La pollution de l'air, cela ne se voit pas, si bien qu'on a du mal à faire le lien entre nos actions et l'impact que cela a sur notre santé", compare-t-il pour francetv info. Résultat, l'opinion publique s'y intéresse peu et ses élus avec elle.

Ces derniers sont d'autant moins enclins à s'attaquer au sujet qu'il est difficile à régler : il demande du temps, des financements, et ne dépend pas uniquement de leurs actions. "L'air, c'est compliqué parce qu'on ne le maîtrise qu'en partie. Sa qualité peut être aussi perturbée par des masses d'air qui viennent de l'Europe entière", observe Fabienne Keller, sénatrice UMP du Bas-Rhin et auteure de plusieurs rapports sur la question, contactée par francetv info. Elle souligne l'absence de ressources propres et l'éclatement des acteurs concernés.

"La source du problème, c'est le diesel"

La France paye également son amour du diesel. Carburant des pêcheurs, des agriculteurs, des routiers et des constructeurs automobiles français comme Peugeot, il bénéficie d'une fiscalité moindre par rapport à l'essence depuis les années 60. L'écart est aujourd'hui de 17 centimes le litre en faveur du premier, contre 11 centimes en moyenne dans l'Union européenne.

Conséquence, il représente, d'après les chiffres de l'Union française des industries pétrolières, 80,1% des carburants consommés en France en 2012. Or, selon les mesures 2011 du Centre interprofessionnel technique d'études de la pollution atmosphérique (PDF, page 83), les véhicules diesel sont la troisième source d'émissions de particules PM10 et PM2,5 en France. Ils rejettent 12,9% des PM10 et 8,6% des PM2,5, contre 1% et 0,9% pour les véhicules essence.

Pour le député vert et vice-président de l'Assemblée nationale Denis Baupin, la fiscalité du diesel est "la source du problème" de l'air en France. "C'est comme financer les fabricants de tabac tout en payant la Sécurité sociale, c'est aussi stupide que cela", explique-t-il à francetv info. L'écologiste regrette d'ailleurs que le plan d'urgence pour la qualité de l'air annoncé en février par l'ancienne ministre de l'Ecologie Delphine Batho n'aborde pas ce sujet. "A cause de cette peur de traiter la question du diesel, on fait davantage de la gesticulation en direction de Bruxelles que réellement prendre des mesures de santé publique", déplore-t-il.

Diesel récent vs diesel ancien

Politiquement, la majorité est profondément divisée sur la question. Malgré l'adoption en avril par les députés socialistes et écologistes d'une résolution appelant à la fin d'une niche fiscale "absurde à plus d'un titre", le gouvernement refuse une augmentation de la fiscalité du diesel, pour ne pas pénaliser le pouvoir d'achat. Le ministre de l'Ecologie, Philippe Martin, l'a annoncé mercredi 11 septembre, avant de démentir face à la colère d'Europe Ecologie - Les Verts. Entre-temps, l'un de ses collègues, Alain Vidalies, avait confirmé l'information à LCP. François Hollande devrait l'officialiser lors de la Conférence environnementale.

Toute convergence essence-diesel, qui aurait pour conséquence une hausse des prix du gazole, se heurte en outre à l'opposition des associations d'automobilistes et des constructeurs. "C'est au moment où le diesel est le plus propre qu'on veut l'imposer davantage", regrette Pierre Chasseray, délégué général de l'association 40 millions d'automobilistes. Chez PSA Peugeot-Citroën, on met en avant le filtre à particules, de série depuis 2011, et l'arrivée fin 2013 d'un nouveau système pour diminuer les émissions de NOx.

Mais il faudra attendre quelques années et le renouvellement du parc automobile pour que ces nouveaux filtres produisent leurs effets. "Avec le parc actuel, toute action sur le diesel produit des bénéfices importants sur la qualité de l'air", estime Arthur de Pas, ingénieur chargé de la communication à Airparif, l'association qui mesure la qualité de l'air en Ile-de-France. "Ce n'est pas à l'automobiliste de payer les erreurs éventuelles des politiques ces dernières années", réplique Pierre Chasseray.

"Nous devons baisser de 80% le trafic routier"

Même si elle voyait le jour, cette mesure ne suffirait pas à elle seule à éviter l'amende. "Pour respecter les normes européennes près du périphérique par exemple, nous devons baisser de 80% le trafic routier en région parisienne", calcule Arthur de Pas.

Sur la question, la France est au point mort. Initiées par le gouvernement précédent, les Zones d'actions prioritaires pour l'air (Zapa), des zones d'exclusion pour les véhicules les plus anciens, jugées socialement injustes, ont été abandonnées par Delphine Batho. "La ville a toujours donné une place prépondérante à la voiture. Cette remise en cause est difficile et douloureuse", observe Claude Bascompte, spécialiste de l'air aux Amis de la Terre.

Des progrès ont été réalisés ces dernières années, mais respecter les règles européennes demande une volonté politique supplémentaire. A l'Institut de veille sanitaire, Sylvia Medina suit ces questions depuis les années 90. "Il y a un intérêt de plus en plus fort pour réduire les émissions polluantes, reconnaît-elle. Mais le point d'interrogation, c'est jusqu'où va-t-on ? Est-ce suffisant ?"

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