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C'est quoi la "transplantation fécale", cette technique qui nous soignera peut-être tous demain ?

Article rédigé par Camille Caldini
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
En vert, la bactérie Clostridium difficile, vue au microscope électronique, le 15 février 2011. (SCIENCE PHOTO LIBRARY / GETTY IMAGES)

Depuis quelques années, des gastro-entérologues étudient très sérieusement la possibilité de soigner aussi bien des troubles digestifs que des symptômes neurologiques, en greffant des selles saines à des patients malades.

A priori, quand des traces de selles sont trouvées dans de la nourriture, c'est une mauvaise nouvelle. Une enquête de la BBC (en anglais) a par exemple révélé la présence de "bactéries fécales dans la glace" de trois grandes enseignes de café, en juin 2017. Quatre ans plus tôt, c’est Ikea qui distribuait des desserts rebaptisés "tartes au caca" par les mauvaises langues, après la découverte de bactéries similaires dans ses cafétérias.

Pourtant, depuis plusieurs années, des études ont montré l'efficacité quasi miraculeuse de la "greffe de caca", pour soigner certaines maladies. Franceinfo vous explique pourquoi, dans quelques années, vous vous soignerez sûrement en avalant des gélules fabriquées à base de selles lyophilisées.

Un "miracle", mais "plutôt effrayant"

Si le terme trivial de "greffe de caca" prête à sourire, les spécialistes appellent cela une "transplantation de microbiote fécal" (TMF). En réalité, si vous avez déjà consommé des probiotiques pour vous épargner les désagréments gastro-intestinaux d'un antibiotique, vous avez probablement déjà absorbé des bactéries venues d'un intestin. La TMF est plus radicale : il s'agit d'abord de laver l'intestin d'une personne malade avant de lui administrer les selles d'un donneur sain, par une sonde naso-gastrique ou une coloscopie.

Les premiers recours connus aux selles comme médicament remontent à la Chine du IVe siècle : pour traiter la diarrhée, déjà, un médecin met alors au point la recette d'une sorte de bouillon, à base de selles séchées ou fermentées. Mais il faut environ 1 700 ans pour que l'efficacité de la transplantation fécale soit rigoureusement démontrée. L'objectif est d'apporter directement dans le système digestif du patient des bactéries (et autres micro-organismes) saines, pour reconstituer sa "flore intestinale", comme disent encore les publicités pour les yaourts. "C'est plutôt effrayant", reconnaît Elizabeth Hohmann, spécialiste des maladies infectieuses au Massachusetts General Hospital, interrogée par la radio NPR. Surtout si la sonde nasale réveille le réflexe vomitif du patient, qui risque d'inhaler des matières fécales. Dégoûtant ? Peut-être, mais redoutablement efficace.

Le New England Journal of Medicine rapporte, en 2013, une étude clinique montrant que la transplantation fécale est efficace, dans plus de 90% des cas, pour soigner l'infection par la bactérie Clostridium difficile, qui provoque de graves diarrhées, des inflammations du système digestif et tue environ 14 000 Américains par an. Clostridium difficile, présente dans l’intestin comme des milliers d’autres, et en général inoffensive, a la particularité d’être très résistante aux antibiotiques, même les plus puissants, et de proliférer lorsque les autres bactéries sont affaiblies, par ces mêmes antibiotiques. Mais la TMF est "tellement efficace que les chercheurs arrêtent l'étude plus vite que prévu, parce qu'ils jugent immoral de refuser la transplantation au groupe de contrôle", traité aux antibiotiques classiques, raconte The Atlantic. En quelques jours, les malades ne souffrent plus d'aucun symptôme, "ce qui se rapproche le plus d'un miracle, en médecine"

Une autre étude, menée en 2015 sur près de 500 patients, confirme ces résultats encourageants. Et depuis, la recherche ne s'arrête plus : environ 150 essais cliniques sont actuellement menés dans le monde, sur les multiples usages de la transplantation fécale, selon le Groupe français de transplantation fécale (GFTF), qui souhaite harmoniser les pratiques et favoriser la recherche dans ce domaine.

Sans compter quelques expériences plus artisanales, comme celle de Josiah Zayner, biophysicien punk, qui s’est administré lui-même, dans une chambre d'hôtel, ce traitement concocté dans sa cuisine. Josiah Zayner souffrait de maux de ventre récurrents, qui l'obligeaient à se rendre aux toilettes "deux ou trois fois avant de commencer sa journée, et après chaque repas", raconte The Verge. Son autotraitement semble avoir fonctionné, mais il aurait pu tout autant le tuer, ou le rendre malade. Josiah Zayner a en effet choisi de ne pas analyser les selles de son donneur, s'exposant au risque de contracter diverses maladies, comme une hépatite ou un ulcère. "C'est le risque que je dois être capable de prendre, si je veux inspirer les gens pour qu'ils prennent en main leur santé", explique Josiah Zayner.

Conserver à -80 °C et consommer avant six mois

Ce n'est pas l'avis des autorités sanitaires. En France comme aux Etats-Unis, des règles strictes ont été édictées pour éviter les accidents. En 2014, l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a conféré à la TMF le statut de médicament, afin de circonscrire son utilisation pour soigner les infections liées au Clostridium difficile, de réserver aux pharmacies et hôpitaux le droit de préparer les produits à greffer et d'encadrer la recherche dans ce domaine. 

Reste à trouver des donneurs. Moins de trente centre hospitaliers ont déjà pratiqué de telles greffes en France, selon Le Mondeet il n'existe pas (encore) de banque de selles dans l'Hexagone, contrairement aux Etats-Unis ou aux Pays-Bas.

Ce sont donc les hôpitaux qui gèrent les prélèvements et organisent d’éventuels appels aux dons. Chaque centre hospitalier peut conserver les prélèvements dans sa pharmacie. "La condition est de disposer d’un congélateur", explique le Dr Tatiana Galperine, du service des maladies infectieuses du CHRU de Lille, au Monde. Les selles se conservent à -80 °C, pour une durée légale fixée aujourd'hui à six mois. Les donneurs doivent en outre remplir des critères précis définis par l’ANSM : être majeur, ne pas suivre de traitement antibiotique ou de traitement au long cours, ne pas être atteint d'une maladie chronique, ne pas avoir voyagé "en zone intertropicale" dans les derniers mois,… Pour pallier le manque de donneurs, la société lyonnaise de biotechnologies MaaT Pharma se concentre sur une variante de la transplantation : l'auto-restauration des germes fécaux, qui consiste à prélever du microbiote fécal à un patient, avant le début d'un traitement qui pourrait l’endommager, et le lui transplanter à nouveau après. Mais cela ne fonctionne que pour les patients hospitalisés avec un microbiote sain et cela ne suffira probablement pas, tant le champ d’application de la TMF est grand et les potentiels patients nombreux.

De la malnutrition aux symptômes de l'autisme

L'hôpital Saint-Antoine, à Paris, teste l'efficacité de ces greffes sur la maladie de Crohn, une pathologie inflammatoire chronique du tube digestif. Le professeur Harry Sokol, gastro-entérologue chargé de l’étude, espère des résultats "pour la fin de l’année 2017", explique-t-il au Figaro, soulignant la "prudence" des autorités sanitaires, qui "voient encore planer sur elles le spectre de l’affaire du sang contaminé"Les gastro-entérologues s’accordent sur un point : la recherche dans ce domaine n’en est qu’à ses balbutiements et pourrait s’étendre bien au-delà des maladies de l’intestin : obésité, diabète, maladies neurologiques… Le quotidien L'Equipe se demande même si la transplantation fécale ne pourrait pas devenir "le dopage du futur", après l'expérience d'une microbiologiste, qui assure avoir vu ses performances sportives améliorées par une transplantation des selles d'un cycliste de haut niveau.

Une étude publiée en février 2016 dans la revue spécialisée Science a par exemple démontré qu'un microbiote sain transplanté chez un souriceau mal nourri pouvait limiter les effets à long terme de la malnutrition, comme les troubles de la croissance, en améliorant la digestion. En janvier, des chercheurs de l'université de l'Ohio ont quant à eux étudié les effets de la TMF sur les symptômes intestinaux et comportementaux d'un petit groupe d'enfants autistes. "Les médecins ont d'abord administré une transplantation fortement dosée, puis, dans les 7 à 8 semaines suivantes, les enfants ont bu des smoothies mélangés à une poudre faiblement dosée", détaille l'université (en anglais). "Les symptômes gastro-intestinaux ont diminué de 82 % entre le début et la fin du traitement (...) et les symptômes autistiques ont diminé de 22%", explique Medscape. En mai, une équipe de chercheurs chinois a publié le cas d'une patiente de 22 ans, atteinte de la maladie de Crohn et épileptique, soignée grâce à une transplantation fécale.

Les gastro-entérologues ne ­doivent plus hésiter à recevoir en consultation des patients avec des pathologies neurologiques.

Alexis Mosca, pédiatre à l'hôpital Robert-Debré

au "Monde"

"Il y a des désordres microbiotiques dans tout un tas de maladies que l'on pourrait pallier grâce à une meilleure compréhension du microbiote, et peut-être grâce à des transplantations", explique à Vice Philippe Seksik, gastro-entérologue à l'hôpital Saint-Antoine. Quant au mode d'administration, encore un peu barbare, des chercheurs s'activent pour le simplifier et le rendre moins dégoûtant. Des gélules de selles congelées ont été envisagées. "Quand j'ai commencé, j'avais en tête une petite capsule rouge et blanche, comme un autre médicament", explique Elizabeth Hohmann à NPR. Quelque chose de sobre et de peu traumatisant. Mais les capsules de selles, qui doivent résister aux sucs gastriques pour ne se désintégrer que dans les intestins, n'existent qu'en version transparente. Par conséquent, les gélules mises au point pour le moment sont simplement marron et rappellent leur origine.

Des tests plus récents, sur des échantillons lyophilisés plutôt que congelés, donnent d'excellents résultats, rapporte Allodocteurs. A l'avenir, les médecins n'auront donc plus à avoir à tout moment un donneur disponible, ni à manipuler autant de selles fraîches, "ce qui nous évite un cauchemar en termes de logistique", explique Herbert Dupont, de l'université de Houston, au Texas. De quoi éliminer les odeurs et l'aspect peu ragoûtant des autres techniques, et peut-être se débarrasser ainsi du facteur "beurk", qui vous a probablement fait grimacer au début de cet article.

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