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Coronavirus : on vous explique ce qu'est un "challenge infectieux" (et pourquoi le Conseil scientifique s'oppose à cette technique)

Inoculer le virus à des volontaires, une technique controversée qui pourrait être utilisée pour accélérer les essais de vaccins contre le Covid-19.

Article rédigé par franceinfo, Charlotte Causit
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Le Conseil scientifique s'est dit "défavorable au recours au challenge infectieux" comme "étape de développement clinique" du vaccin contre le SARS-CoV2. (CAROL SMILJAN / NURPHOTO)

Seriez-vous prêt à vous faire injecter le Sars CoV-2 pour quelques milliers d'euros ? C'est la proposition formulée par plusieurs géants pharmaceutiques pour accélérer la mise au point de leur potentiel vaccin. La course mondiale est lancée pour découvrir le premier vaccin efficace et sans danger contre le virus responsable de la pandémie de Covid-19, qui a fait plus de 660 000 morts à travers le globe, mercredi 29 juillet. Plus d'une centaine de candidats vaccins sont en cours de développement et les laboratoires pharmaceutiques tentent, tant bien que mal, de raccourcir leurs délais. Dans ce contexte, certains pourraient recourir au "challenge infectieux". Franceinfo vous explique en quoi consiste cette technique et pourquoi elle fait l'objet de nombreuses critiques, notamment de la part du Conseil scientifique français.

Un moyen de gagner du temps...

Le "challenge infectieux" consiste à injecter délibérément à des volontaires sains un virus, afin d'évaluer l'efficacité du vaccin en mesurant directement la réponse immunitaire desdits patients. Des scientifiques plaident pour cette procédure, qui permettrait de raccourcir de manière conséquente la troisième et ultime phase des essais cliniques.

Après avoir vérifié l'absence d'effets secondaires, le dosage optimal et le développement d'anticorps lors des deux premières phases, cette étape, qui consiste à vérifier l'efficacité du vaccin, est la plus longue. Elle peut durer plusieurs années. Pendant cette phase d'essais, les volontaires sont divisés en deux groupes : les premiers reçoivent le vaccin, les seconds un placebo. Après plusieurs mois, les deux groupes se soumettent à des tests et les résultats sont comparés. Si le vaccin est efficace, le premier groupe aura mieux été protégé. Pour que le résultat soit pertinent, il faut toutefois que le virus ait suffisamment circulé pour que les deux groupes y aient été confrontés.

"Les essais sur l'homme peuvent fournir des informations beaucoup plus rapidement que les essais d'efficacité classiques", défendent les 153 signataires d'une lettre ouverte (en anglais) adressée à Francis Collins, le directeur des Instituts américains de la santé (National Institutes of Health). "Au lieu de reprendre leur vie comme d'habitude et d'attendre d'attraper le virus, les volontaires sont délibérément exposés à l'agent pathogène dans des conditions contrôlées", exposent-ils. La plateforme 1DaySooner (un jour plus tôt) promeut l'initiative, qui pourrait selon elle "sauver des milliers, voire des millions de vies". "Si un vaccin pouvait éviter 75% de ces décès, alors si nous accélérons le développement du vaccin d'un jour, cela permet de sauver 3 750 vies", avance-t-elle, alors que le compteur présent sur la page d'accueil du site dénombre, mercredi en milieu d'après-midi, près de 33 000 volontaires issus de 140 pays.

... mais qui pose des problèmes ethiques

Les partisans de la technique rappellent que les "challenges infectieux" ont déjà été utilisés dans le passé pour élaborer les vaccins contre la grippe, la malaria, la typhoïde, la dengue ou même le choléra. Si elle a été utilisée dans l'histoire de la médecine, la pratique n'est cependant pas "sans faire songer, toutes proportions gardées, à l'utilisation, à des fins de progrès scientifiques et médicaux, de prisonnièr·es ou de condamné·es à mort", note Slate.  

Les "challenges infectieux" sont délaissés depuis les années 1970 pour des raisons éthiques. Car infecter volontairement un individu ne correspond pas au principe fondamental de la médecine, qui est de soigner. Quel que soit le profil clinique du volontaire et la dangerosité du virus inoculé, la pratique présente des risques pour la santé. "Exposer des volontaires à ce virus présente pour eux des risques sévères, possiblement mortels", reconnaissent Nir Eyal, Marc Lipsitch et Peter Smith dans un article publié dans la revue scientifique The Journal of Infectious Diseases. Les trois médecins recommandent donc de réaliser ces "challenges" sur des "jeunes adultes en bonne santé, qui présentent un risque relativement faible de maladie grave". Pour eux, la prise de risque est pertinente, à condition qu'elle soit éclairée et volontaire.

Une technique risquée dans la lutte contre le Covid-19

Mais cette position est loin de faire l'unanimité. Pour d'autres scientifiques, les "challenges infectieux" sont bien trop dangereux pour être mis en place dans la lutte contre la pandémie de Covid-19. Les connaissances sur le SARS-CoV-2 et sur l'évolution de la maladie sont limitées, et les jeunes peuvent également être sujets à des formes graves, rappelle William Haseltine (lien en anglais), ancien professeur à l’école de médecine de Harvard et président du think tank Access Health International. "L'infection peut endommager de façon permanente le cœur, les poumons, le cerveau et les reins, chez les jeunes comme chez les personnes âgées. De plus, une fois qu'une personne est infectée, il n'existe aucun médicament connu qui ne guérisse complètement ou même améliore le Covid-19", souligne-t-il.

Quand bien même les jeunes ne présenteraient aucun risque d'aggravation de la maladie, la stratégie serait problématique, avance le Journal International de Médecine. Les critères de jeunesse et de bonne santé sont "une entrave à une bonne représentativité de la population, alors que le Covid-19 est principalement un danger chez les plus âgés (et chez des sujets atteints par certaines pathologies chroniques comme l'obésité) dont la réponse spécifique du système immunitaire pourrait être une clé importante pour l’élaboration d’un vaccin efficace", relève le journal médical. Un avis que partagent le Conseil scientifique français, le Comité scientifique Covid-19 et le Comité analyse recherche expertise (Care) dans leur avis du 9 juillet (PDF) sur la stratégie de vaccination. Il estime, que les résultats obtenus via ces "challenges infectieux" "ne seraient pas plus transposables, que ceux des modèles animaux, aux personnes vulnérables, principales cibles de la protection".

Le Conseil scientifique y est "défavorable"

"Le comité est défavorable au recours au 'challenge infectieux' de volontaires sains comme étape de développement clinique des vaccins anti-SARS-CoV-2", tranche le groupe de réflexion après avoir évoqué les "raisons à la fois scientifiques et éthiques" pour lesquelles le recours aux "challenges infectieux" apparaît "discutable". Une position qui tranche avec celle de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui a émis le 6 mai une note dans laquelle elle expose les "critères pour rendre acceptable un 'challenge infectieux'". L'OMS prône un encadrement strict des essais cliniques et de la sélection et prévention des volontaires, sans refuser la tenue de ces "challenges". Aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, le débat sur le sujet est ouvert et animé. "Et on suspecte les Chinois de s'y préparer", rapporte Le Monde.

La décision française est animée par la volonté des autorités sanitaires "de ne pas renouveler l’échec de la vaccination anti-grippale de 2009". Peu de Français s'étaient fait vacciner contre la grippe A, à tel point que la campagne de vaccination avait été qualifié d'"échec de santé publique" par une commission d'enquête de l'Assemblée nationale, relatait Le Monde à l'époque. "La réticence à la vaccination en France est un phénomène connu", note le Comité scientifique, qui recommande, dans le cadre de la lutte contre le Covid-19, la mise en place d'"un ensemble de propositions relatives à la communication et à la transparence, ainsi qu'une démarche participative associant des citoyens".

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