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La France a-t-elle interdit les tests de détection des métaux lourds chez les jeunes enfants ? On a décortiqué cette accusation des anti-vaccins

Une femme se présentant comme mère d'une enfant autiste a porté cette accusation au cours d'une conférence sur les vaccins. Mais les spécialistes interrogés par franceinfo battent en brèche ses allégations.

Article rédigé par Benoît Zagdoun
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9 min
Un bébé se fait vacciner à Lyon, le 4 janvier 2018. (MARIE BIENAIM / BSIP / AFP)

"J'ai découvert quelque chose. Peut-être que vous n'êtes même pas au courant." Une femme, qui se présente comme mère d'une enfant autiste, prend la parole au cours d'une conférence sur les vaccins, le 10 février 2018. La rencontre est organisée à Nice par l'association Culture populaire, qui entend "promouvoir une information alternative à la propagande officielle", et donne à l'occasion la parole aux sulfureux Dieudonné et Alain Soral. Cette vidéo partagée fin mars sur une page Facebook anti-vaccins y a été vue plus de 170 000 fois. Un internaute nous l'a signalée dans le live de franceinfo, s'interrogeant sur la véracité des propos entendus.

La femme relate une "confidence" que lui aurait faite, "gêné", un "biologiste" d'un "laboratoire". "Je lui ai demandé pourquoi les porphyrines, la détection de métaux lourds en prise de sang, étaient interdites pour une petite fille en bas âge", raconte-t-elle. Le biologiste lui aurait répondu : "L'Afssaps [l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, devenue l'ANSM] l'a fait retirer en 1992 pour que des mamans comme vous ne puissent pas porter plainte." La femme conclut : "Cet examen n'est fait que pour les jeunes à partir de 16 ans, mais pour les petits, ça ne sera jamais dosé. (…) Si je veux faire un procès, je n'ai pas de chiffres français."

Résumons la thèse développée par cette mère : les vaccins contiendraient des métaux lourds qui provoqueraient l'autisme et les autorités françaises n'autoriseraient plus le test médical qui permettrait de le prouver. On vous explique pourquoi tout cela ne tient pas debout.

Les tests de "porphyrines" sont-ils vraiment interdits ?

"C'est vraiment n'importe quoi", s'insurge le professeur Alain Fischer, expert en immuno-hématologie à l'hôpital Necker-Enfants malades de Paris et ancien président de la concertation citoyenne sur les vaccins. "Il y a une confusion dans l'esprit de cette dame", confirme Laurent Gouya, professeur à la faculté de médecine de Paris et coordonnateur du Centre français des porphyries à l'hôpital Louis-Mourier de Colombes.

Que sont les porphyrines ? "Ce sont des molécules qui s'accumulent dans l'organisme en cas de maladies très particulières. Elles prennent la couleur rouge du porphyre, une roche, d'où leur nom. Elles se retrouvent dans le sang, l'urine ou les selles des malades, explique Laurent Gouya. Elles n'ont rien à voir avec les métaux lourds. Les porphyries sont des maladies génétiques, bien qu'il existe quelques exceptions : des maladies acquises en cas d'exposition à certains toxiques, comme le plomb." Ces maladies provoquent des crises soudaines de douleurs abdominales qui durent plusieurs jours ou des éruptions cutanées.

Pour ce qui est des métaux lourds, si on souhaite détecter leur présence en excès, "on fait une prise de sang, une analyse d'urine ou un prélèvement capillaire, et on dose directement dans l'échantillon, on n'a pas besoin de rechercher des porphyrines", confirme Alain Fischer.

"Les porphyries se détectent par de simples tests urinaires ou sanguins, poursuit Laurent Gouya. Nous en faisons d'ailleurs régulièrement."

Ces analyses sont réalisées dans plusieurs laboratoires français, dont le nôtre, sur simple prescription médicale, et ce, pour tout patient et à tout âge, y compris les enfants.

Laurent Gouya, médecin spécialiste des porphyries

à franceinfo

Signalons par ailleurs qu'en 1992, l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (Afssaps) n'existait pas, contrairement à ce qu'affirme cette femme. Elle a été créée un an plus tard, sous le nom d'Agence du médicament, dans la foulée de l'affaire du sang contaminé, et a été rebaptisée Afssaps en 1999, avant de devenir l'ANSM en 2012.

Des métaux lourds sont-ils présents dans les vaccins ?

• Le thiomersal. Depuis 1920, cet agent chimique contenant du mercure, un métal lourd, est utilisé comme conservateur dans la composition de certains vaccins, car il permet d'éviter les contaminations bactériennes, explique l'Institut Pasteur. "Seul un vaccin contient encore du thiomersal en France, celui contre l'encéphalite japonaise, mais il est très spécifique et réservé notamment aux voyageurs", explique Judith Mueller, médecin épidémiologiste spécialiste de la stratégie vaccinale et professeure à l'Ecole des hautes études en santé publique (EHESP). Le thiomersal y est présent à des doses extrêmement faibles, et les autres vaccins n'en contiennent pas du tout.

Depuis une vingtaine d’années, de nombreuses études ont recherché une éventuelle toxicité liée au thiomersal dans les vaccins. Aucune de ces études n’a pu le démontrer.

l'Institut Pasteur

à franceinfo

Si "une exposition répétée au mercure, par les aliments ou les médicaments, doit faire l’objet d’une attention particulière en raison de son accumulation potentielle dans différents organes", selon l'ANSM, "il n’y a actuellement aucune preuve que les traces de thiomersal contenues dans ces vaccins puissent poser un problème de santé", indique l'Institut Pasteur. Ce que confirme l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Par précaution, l’Agence européenne du médicament et ses homologues américaine comme française ont néanmoins demandé aux industriels, à la fin des années 1990, de travailler à son retrait des vaccins, comme l'expose l'ANSM.

• Les sels d'aluminium. Un autre composé métallique est utilisé comme adjuvant dans certains vaccins, les sels d'aluminium, car "ils permettent une meilleure réaction du système immunitaire à l'antigène vaccinal", explique Judith Mueller. Parmi les onze vaccins obligatoires pour les enfants en France, tous en contiennent, sauf le ROR (rougeole-oreillons-rubéole).

Mais, comme le relève l'épidémiologiste, "l'aluminium n'est pas un métal lourd et il est naturellement présent dans l'environnement. Il n'est pas essentiel à la vie, mais il en fait partie. L'organisme est d'ailleurs conçu pour l'excréter naturellement via les reins." "Les enfants vaccinés n'ont pas plus d'aluminium dans l'organisme que les enfants non vaccinés", ajoute Alain Fischer. L'aluminium peut certes être toxique pour l'organisme dans des cas bien précis, et en cas d'exposition prolongée à de fortes doses."Chez les personnes souffrant d'insuffisances rénales, on a observé des dépôts d'aluminium dans le squelette, le foie et le cerveau où ils ont entraîné des troubles neurologiques. Mais les concentrations pour les personnes avec insuffisance rénale sont dix fois supérieures à ce qui est estimé pour une personne en bonne santé", précise Judith Mueller.

Les adjuvants aluminiques sont utilisés dans les vaccins depuis 1926. Ils ont été administrés dans le monde entier à des centaines de millions de patients. S'ils avaient posé un problème pour la santé, on le saurait.

Alain Fischer, professeur d'immunologie pédiatrique

à franceinfo

En outre, la dose de sels d'aluminium présente dans les vaccins est très inférieure à celles que nous absorbons au quotidien, notamment dans l'eau que nous buvons, confirme l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). "Si vous utilisez du papier aluminium ou des casseroles en aluminium pour cuisiner au quotidien, vous ingérez des particules d'aluminium. De même, si vous appliquez du déodorant contenant de l'aluminium sur votre peau tous les matins, surtout si vous avez les aisselles rasées ou épilées, vous absorbez des doses bien supérieures à celle contenue dans un vaccin", pointe Judith Mueller.

Derrière cette thèse des sels d'aluminiums dangereux pour la santé, il y a les travaux très controversés du professeur Romain Gherardi, neurologue à l'hôpital Henri-Mondor de Créteil, comme le rappellent Le JDD et Libération. Ce médecin estime que les particules d'aluminium pourraient, chez les personnes génétiquement prédisposées, être à l'origine d'une série de symptômes, tels qu'une fatigue extrême, des douleurs chroniques ou des troubles cognitifs, constitutifs d'une maladie jusqu'alors inconnue : la myofasciite à macrophages. Mais, à l'instar de nombre de ses confrères, le professeur Alain Fischer critique "des allégations non démontrées", conclusions de "travaux qui ne tiennent pas la route".

Un vaccin est-il à l'origine de l'autisme ?

D'où vient cette thèse ? "Tout est parti d'une étude de 1998 publiée dans la revue The Lancet et depuis retirée, ce qui est un fait très rare", explique Jocelyn Raude, enseignant chercheur en psychologie sociale à l'Ecole des hautes études en santé publique (EHESP). Le médecin Andrew Wakefield y concluait à un lien entre le vaccin ROR et l'autisme.

Cette étude a suscité l'inquiétude chez les Britanniques et provoqué une chute de la couverture vaccinale, que le Royaume-Uni a mis quinze ans à rattraper. Mais il s'agissait d'une fraude caractérisée : Andrew Wakefield avait manipulé les données et, selon l'enquête du British Medical Journal, il avait l'intention de créer une entreprise et de commercialiser des tests de dépistage destinés aux parents d'enfants autistes pour qu'ils obtiennent réparation en justice. En 2010, le praticien a été radié par l'ordre des médecins britannique et interdit d'exercer dans son pays. Il a émigré aux Etats-Unis où, devenu proche des ultraconservateurs, il continue sa bataille contre les vaccins.

En mars, une vaste étude menée au Danemark est parvenue à la même conclusion que de multiples études précédentes : le vaccin ROR n'augmente pas le risque d'autisme. L'étude a pris en compte les données de l'ensemble des plus de 650 000 enfants danois nés de 1999 à 2010 et suivis jusqu'en 2013. Les chercheurs ont comparé le nombre d'enfants diagnostiqués autistes parmi les vaccinés et les non-vaccinés. Ils n'ont trouvé aucune différence. Les auteurs soulignent que leurs travaux renforcent notamment une précédente étude de 2002 portant sur 537 000 enfants danois. Ils citent dix autres études menées sur des enfants qui n'ont trouvé aucun lien. "Sur le plan épidémiologique, la messe est dite", conclut le chercheur Jocelyn Raude.

En 2016, une étude sur des souris a tenté de démontrer un lien entre l'autisme et l'aluminium cette fois-ci contenu dans le vaccin contre le papillomavirus, mais celle-ci a été dépubliée, sa méthode et ses conclusions ayant été jugées fausses. Plusieurs études épidémiologiques ont également conclu à l'absence de lien entre la présence de thiomersal dans les vaccins et l'apparition de troubles neurologiques, comme l'autisme, rappelle l'ANSM. "Accuser les vaccins n'a pas de sens", tranche Judith Mueller.

Il n'y a aucun lien entre vaccination et autisme. Des dizaines d'études le confirment.

Alain Fischer, professeur d'immunologie pédiatrique

à franceinfo

"Ce qu'on appelle autisme, c'est un spectre très large de troubles dont les origines et les facteurs de risque sont encore mal connus", ajoute Judith Mueller. Les troubles du spectre autistique sont des "maladies d'origine multifactorielle, avec cependant une forte composante génétique", appuie l'Inserm. Mais "on n'a pas identifié le gène responsable de la transmission", souligne Judith Mueller. Certains facteurs sont tout de même connus. Plus les parents sont âgés – en particulier le père –, plus le risque est grand. Les garçons sont aussi plus touchés que les filles, de même que les prématurés. Vous avez aussi plus de risque d'avoir un enfant autiste si vous l'êtes vous-même ou si des membres de votre famille le sont. Une neuro-inflammation, un virus ou la prise de toxiques (alcool…) durant la grossesse peuvent aussi jouer.

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