Cet article date de plus d'un an.

Enquête | Vers une "privatisation" de l'accompagnement d'élèves porteurs de handicap en milieu scolaire ?

Publié Mis à jour
Enquête : vers une "privatisation" de l'accompagnement d'élèves porteurs de handicap en milieu scolaire ?
Enquête : vers une "privatisation" de l'accompagnement d'élèves porteurs de handicap en milieu scolaire ? Enquête : vers une "privatisation" de l'accompagnement d'élèves porteurs de handicap en milieu scolaire ?
Article rédigé par L'Oeil du 20 heures
France Télévisions

Le droit à l'éducation pour tous les enfants, quel que soit leur handicap, est un droit fondamental en France, réaffirmé en 2020 par le président de la République lui-même, lors de la conférence nationale du handicap :  “Nous ne devons jamais nous habituer à ce que des enfants en situation de handicap soient privés de la chance d’aller à l’école”.

Pourtant, depuis la rentrée, des centaines d’élèves porteurs de handicap sont descolarisés, comme a pu le constater l’Oeil du 20H. 

Nathanaël a 13 ans. Il est atteint d’un trouble autistique. Depuis 3 semaines, cet élève de 5è ne peut plus suivre ses cours au collège. C’est sa maman qui fait classe à la maison. "Ca me révolte parce que le collège ne peut pas l'accueillir, parce qu'il n’y a pas de moyens humains, parce que c’est pas vivable pour lui de rester sans accompagnement et qu’il a besoin de cet accompagnement-là", déplore t-elle. 

Ce soutien-là, c’est un AESH, un accompagnant d'élèves en situation de handicap. Une personne présente en classe, à temps plein, aux côtés de Nathanaël. L’AESH l’accompagne, l’aide, pour qu’il ne décroche pas et puisse suivre les cours comme n’importe quel autre élève. 

Le problème, c’est que son AESH est en arrêt maladie et non remplacé. "Je suis en colère parce que c’est pas mon rôle de devoir faire les devoirs à Nathanaël, c’est pas mon rôle de devoir garder mes enfants", ajoute sa maman. 

Le désarroi des parents d'élèves en situation de handicap

Nathanaël n’est pas le seul dans ce cas-là. En cette rentrée, la moitié des AESH manqueraient à l’appel, rien que dans le département du Val-de-Marne. Un collectif de parents dénonce "le silence du rectorat" et appelle les familles concernées à saisir la justice. 

Amandine Bugnicourt, porte-parole du collectif "Parents du 94", l'affirme : “Aujourd'hui, ces parents font face à des bâtons dans les roues de la part de l'administration, qui ne leur propose pas de solution. Ça crée des familles désociabilisées, qui n’ont pas de revenus. C’est triste et révoltant."

Je regrette que l’accueil des enfants en situation de handicap à l’école soit trop souvent bricolé

Claire Hédon, Défenseure des Droits

Saisie par de très nombreux parents (les réclamations représentaient en 2021 près de 20% des saisines dans le domaine de droits de l'enfant), la Défenseure des Droits, Claire Hédon, publiait en août dernier un rapport appelant à mieux adapter l’école aux besoins des élèves en situation de handicap : "Je regrette que l’accueil des enfants en situation de handicap à l’école soit trop souvent bricolé et que les modalités de leur scolarisation soient encore inadaptées. Cela contribue à aggraver des situations et à éloigner encore davantage les enfants de l’école, au lieu de les inclure." 

La direction académique du Val-de-Marne  reconnait une offre d’AESH "imparfaite" 

On ne pourra jamais être à 100% de notifications satisfaites. Je ne sais pas si on peut parler de faute mais force est de constater que dans certaines parties du département, on a des AESH qui vont trouver de l’emploi ailleurs et qui nous quittent. Qui nous quittent parfois du jour au lendemain. C'est compliqué.", admet Anne-Marie Bazzo, directrice académique du Val-de-Marne. 

Un métier précaire, souvent à temps partiel pour un salaire moyen de 800 € par mois. Sous le seuil de pauvreté. De quoi, sans doute, expliquer la pénurie d’accompagnants d'élèves en situation de handicap, contraignant certains parents à embaucher leur propre AESH.

"Ma fille a 7 ans et n’a pas d’AESH. Je voudrais savoir s’il y a des AESH privées en Isère ?". "Comment financez-vous les AESH privés ?" Sur les réseaux sociaux, les annonces de familles à la recherche d’une solution fleurissent.

On pallie aux manquements, on n'a pas le choix

Stéphanie Valentini, Cap Handi Cap

Les AESH dits "privés" : des accompagnants recrutés et payés par les parents eux-mêmes pour travailler dans des collèges et des lycées publics. Certaines associations qui viennent en aide aux familles concernées dans leurs recherches se disent assaillies de demandes. Stéphanie Valentini, présidente de l'association Cap Handi Cap le confirme : "La demande augmente de 50% tous les ans. Comme l'Education nationale ne peut plus fournir [d'AESH publics], les parents n’ont pas d’autre choix que de se tourner vers du privé et pour ceux qui ne peuvent pas financièrement, les gamins ne sont malheureusement pas accompagnés. On pallie aux manquements, on n'a pas le choix”.

Contactée, l’Education nationale admet permettre l’accès d’accompagnants privés dans les classes mais avec l'accord express du chef d'établissement . Elle rappelle aussi avoir recruté 4000 AESH supplémentaires cette année, en plus des 128 000 déjà en poste (lire réponse en annexe).   

L'ACCOMPAGNEMENT DES ELEVES EN SITUATION DE HANDICAP EN CHIFFRES : 

- 410.000 enfants en situation de handicap accueillis en milieu ordinaire en cette annéecontre 320.000 en 2017 (+19% en 5 ans), selon le ministère de l'Education nationale. 

- 67.000 élèves scolarisés en établissements hospitaliers ou établissements médico-sociaux en 2022, selon le ministère de l'Education nationale. 

- Au total, il y a 132.000 AESH, dont 4.000 supplémentaires à la rentrée 2022 (+35% en cinq ans), selon le ministère chargé des Personnes handicapées..

- Le statut des AESH, rémunérés par l’Education nationale, a été amélioré ces dernières années mais ils ont toujours des temps partiels avec des salaires autour de 800 euros par mois (pour un contrat de 24h par semaine en moyenne).  

- Seuls 6 à 7 % des enfants bénéficiant d'un AESH en classe en profitent également sur le temps périscolaire, essentiellement sur la pause méridienne, selon le ministère des Personnes handicapées. 

PARMI NOS SOURCES (liste non-exhaustive) : 

Les accompagnants des élèves en stuation de handicap : le dossier de l'Education nationale 

L'article D351-20-1 du Code de l'éducation

- Le rapport de la Défenseure des Droits sur l'accompagnement humain des élèves en situation de handicap (29/08/2022) 

- Le statut d'accompagnant "privé" dénoncé par le député LFI François Ruffin à l'Assemblée nationale (21/01/2022)

- Privatisation des accompagnants d'élèves en situation de handicap : la question écrite de Laurence Cohen, sénatrice CRCE, publiée dans le JO Sénat du 07/04/2022

- La réponse du Ministère de l'Education sur le recours aux accompagnants privés (13/10/2022) : 

 
 

Droit de suite :

Suite à la diffusion de notre enquête, le "collectif Parents du 94" a tenu à apporter à l'Oeil du 20H les précisions suivantes: (cf PDF 2 pages)

Droit de suite "Collectif parents du 94"

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.