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Pilule : dans un cabinet d'Asnières, grossesses non désirées, doutes et rupture de stock

Pilule de 3e et 4e générations, Diane 35… Les patientes inquiètes ont défilé chez les gynécologues ces dernières semaines. Francetv info a passé un après-midi dans un cabinet en banlieue parisienne.

Article rédigé par Salomé Legrand
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Deux patientes dans la salle d'attente d'un cabinet de gynécologie à Asnières (Hauts-de-Seine), le 5 avril 2013. (SALOME LEGRAND / FRANCETV INFO)

La vague de panique est passée. Dans le cabinet de gynécologie médicale des docteurs Knopf et Maugis, à Asnières, seule une poignée de patientes sont venues changer de contraception, vendredi 5 avril. On est loin des 75 appels quotidiens lors des tout premiers jours du scandale des pilules de 3e et 4e générations. Pour autant, l’inquiétude reste palpable. A part Axelle, 28 ans, qui est "complètement passée à côté" de cette actualité et s’empresse de s'en informer sur son iPhone, toutes ont un avis et, pour quelques-unes, encore des doutes.

"On a l’impression qu’on sert de cobayes"

Frange brune juste au-dessus de ses grands yeux marron discrètement maquillés, France, 24 ans, tripote un Elle de décembre 2012 en attendant de "poser la question". Elle prend sa pilule "automatiquement", "sans savoir quelle génération c’est, ni même son nom". Cette employée d’un service marketing n’est "pas vraiment inquiète", mais reconnaît qu’"on interprète vite un petit pincement à la poitrine comme un symptôme d’AVC à venir après avoir entendu tout ça".

Sandrine, 48 ans, sous Diane 35 depuis plus de dix ans, "ne comprend pas que les médecins n’aient pas appelé toutes les patientes concernées pour leur donner un rendez-vous en urgence". Boucles d’oreilles discrètes, manteau soigneusement plié sur les genoux, elle secoue son brushing blond cendré : "C'est comme le vaccin contre le cancer du col de l’utérus [qui divise la profession], toutes ces incertitudes, on a l'impression qu'on prend des trucs et qu’on sert de cobayes."

D'autant plus que cette mère de famille qui travaille dans la publicité s’interroge : "Mon pharmacien m’a donné Diane 35 pour six mois au lieu de trois, quelques semaines avant que le scandale n’éclate. Ça n’a peut-être aucun rapport, mais ça peut tout aussi bien être parce qu’il était au jus et qu’il voulait écouler ses stocks", souffle-t-elle. Elle repart avec un changement de prescription, une pilule minidosée.

"Les femmes ont réalisé que la pilule n’était pas un bonbon"

"Cahuzac oui ! Mais la pilule, on en fait trop", rigole, à moitié, le docteur Eve-Laure Maugis entre deux rendez-vous. Dans son chaleureux bureau, encombré d'une luxuriante plante verte, de cadres dorés et de bougies parfumées, la gynéco explique le long travail de pédagogie qu’elle a dû mener ces derniers mois. "Mes patientes n’ont que la moitié de l’information, elles ont juste entendu que c’était mauvais", raconte-t-elle. "C'est comme si vous leur disiez : 'un tsunami arrive, mais pas de panique, vous avez le temps de partir'. Avant le 'pas de panique', elles sont déjà dans leur voiture", illustre la spécialiste, yeux verts souriants, teint hâlé et chignon roux vaporeux.

"J’ai vu des choses incroyables", confirme la représentante d’un laboratoire pharmaceutique en visite, qui réclame l’anonymat. Elle, qui passe de cabinets de ville en centres d’orthogénie, où sont pratiquées les IVG, a notamment un cas en tête : celui d'une jeune femme qui, pensant que sa pilule ne la protégeait plus, a pris une pilule du lendemain en plus du comprimé quotidien, quitte à s’infliger une surdose d’hormones. "Au moins, les femmes se sont rendu compte que la pilule n’était pas un bonbon", reconnaît-elle.

Le docteur Maugis a choisi de changer 100% des pilules – "on ne va pas aller dans le sens inverse de la vague" – et posé une vingtaine de stérilets. Dont des "mini-stérilets en cuivre" pour les jeunes filles qui n’ont jamais été enceintes. Malgré le dispositif mis en place avec la secrétaire, qui conseillait à toutes les patientes de ne rien faire avant d’avoir vu le médecin ou de lui avoir parlé, nombre de ses patientes avaient arrêté la pilule de leur propre chef.

"Les 3e et 4e générations sont mieux supportées"

De l’autre côté de la salle d’attente, ses petites tables en teck, ses grandes photos de New York et San Francisco en noir et blanc et ses chaises en cuir marron, le docteur Alain Knopf a même reçu en consultation deux grossesses non désirées. Lui, allure bonhomme, épaisses lunettes cerclées de noir et chemise assortie, n’a changé de prescription que pour la moitié de ses patientes.

"Le vrai problème, c'est maintenant", confie-t-il. "Les pilules de 3e et 4e générations sont mieux supportées. Même s'il y a un plus grand risque médical, les filles sont mieux, elles ont une plus jolie peau", détaille le médecin. Cinq de ses patientes sont déjà revenues à leur pilule de 3e ou 4e génération. Prise de poids, douleurs aux seins, réapparition des boutons, les effets secondaires des pilules de 2e génération "ne sont pas bien supportés par les patientes", abonde Eve-Laure Maugis, qui constate le même mouvement d'aller-retour.

Six pharmacies et pas de pilule

L’autre souci débarque au beau milieu de l’après-midi avec Manuela, 44 ans, petite femme emmitouflée dans un grand manteau gris, l’air bien embêté. "La pilule de 2e génération est en rupture de stock dans tout Asnières et Gennevilliers", raconte-t-elle en expliquant avoir "fait six pharmacies". Impossible pour elle et sa fille d’obtenir Leeloo, la nouvelle pilule de 2e génération que leur a prescrite la gynéco.

Deux heures plus tard, après quelques rendez-vous, Eve-Laure Maugis retraverse la salle d’attente, une pile de dossiers colorés sous le bras et un petit mot griffonné par la secrétaire : "Pilule 2e génération manquante pour Madame X., que prescrire à la place ? Rappeler la pharmacie Y". Et impossible de savoir, pour l’instant, quand les laboratoires pourront réapprovisionner les officines.

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