Société : "Nous, on a construit l'idée que la liberté, c'était la laïcité, les jeunes considèrent que la liberté, c'est de faire ce qu'on veut", souligne Jean Viard

Celui qui était proviseur au lycée Maurice Ravel à Paris a démissionné. Décision prise en fin de semaine dernière. L'homme avait été menacé de mort, après une altercation le mois dernier avec une élève. Que se passe-t-il aujourd'hui dans nos écoles et lycées publics ? Une question de société décryptée par Jean Viard.
Article rédigé par Augustin Arrivé
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
L'entrée du lycée Maurice Ravel à Paris, dans le 20e arrondissement, le 27 mars 2024. (LP / OLIVIER LEJEUNE / MAXPPP)

Après la démission d'un proviseur de lycée à Paris, menacé de mort après une altercation avec une élève le mois dernier, l'Etat a décidé de porter plainte pour dénonciation calomnieuse. L'élève disait avoir été violentée. Le responsable d'établissement, lui, selon son récit, avait demandé à cette élève d'enlever son voile. L'analyse du sociologue Jean Viard.

franceinfo : Il y a une crise d'autorité à l'école aujourd'hui ?

Jean Viard : Je ne dirais pas les choses comme ça. Je dirais qu'il y a une nouvelle religion qui se développe en France – à peu près 10 à 20% des Français – l'islam, et dans l'islam, il y a un courant extrêmement rigoriste porté par les salafistes et les fréristes, qui effectivement peut vouloir mener le combat contre les valeurs des Lumières, contre l'égalité hommes femmes, etc. Il y a tous ces enjeux-là.

Les catholiques, eux, ont leurs écoles – les catholiques pratiquants – où ils peuvent avoir les signes religieux qu'ils veulent. On l'a bien vu avec l'affaire du collège Stanislas. Et donc il y a aussi ce sentiment, chez certains musulmans, qu'ils ne sont pas traités de la même manière. Donc il faut dire les choses. Après, il y a donc cette attaque contre la laïcité, qui est absolument incontestable. En même temps, il n'y a que 26% des dames musulmanes dans ce pays qui portent le voile. En gros, une femme sur quatre. Le voile n'est pas porté par toutes les femmes.

Il y a cette question de l'école privée et il y a une autre question, c'est la question de la mondialisation des cultures. C’est-à-dire que le monde numérique est un monde dominé par le monde anglo-saxon, dans lequel ils ont l'idée qu'au fond, tu vas partout comme tu veux. Si je schématise les choses comme ça, tu rentres à l'école, en jean, sans pantalon, en minijupe, avec un voile sur la tête. Et c'est la culture dominante dans la culture médiatique de la nouvelle génération.

Et donc, comment cette jeunesse mondialisée réagit ? Elle réagit en défendant systématiquement le plus faible. Parce que c'est ça, ce qui est en même temps une belle valeur. Donc la question de cette culture mondialisée : prenez l'abaya, ce vêtement traditionnel féminin, 71% des Français étaient pour l'interdiction, mais seulement 41% des jeunes. Et ce n'étaient pas les musulmans qui étaient contre. Ça signifie que les jeunes aujourd'hui, ils considèrent que la liberté c'est de faire ce qu'on veut. Alors que nous, on a construit l'idée que la liberté, c'était la laïcité, c’est-à-dire la séparation du religieux et de l'espace public.

Et pour l'instant, on a tendance, si je peux me permettre, les uns à répéter qu'il faut défendre la laïcité, je suis d'accord avec eux. Mais je pense qu'il faut aussi se dire comment, dans cette culture mondialisée où l'idée de liberté, c'est cette idée-là, comment on construit le récit du lien entre ces deux idées. C’est-à-dire qu'on écoute les jeunes, parce qu'ils sont sur des valeurs positives de liberté, c'est quand même mieux que si c'était sur des valeurs de contrainte. Sauf que leur idée de la liberté n'est pas liée à la laïcité, elle est liée effectivement à cette culture très anglo-saxonne.

Je pense qu'il y a là un vrai débat, sur comment est-ce qu'on met en partage cette idée fondamentale de la laïcité, c’est-à-dire la séparation du religieux et de l'espace public, et puis cette idée de la liberté anglo-saxonne, et que c'est aussi respectable, et qu'il ne faut pas mélanger ça avec le salafisme, avec la montée minoritaire d'un islam très rigoriste, là, il y a un combat idéologique. Il faut réarmer l'école pour recommencer la lutte, pour imposer la laïcité comme on l'a fait après 1905. Ça, c'est une bataille. Et la deuxième question, comment on articule au fond ce discours de liberté anglo-saxon avec nos valeurs de laïcité.

Vous nous parlez de contestation de la laïcité parce que c'est, semble-t-il, ce qui nous préoccupe dans le cas de ce lycée Maurice Ravel. Mais cette aspiration à davantage de liberté, elle a toujours un lien avec la religion, et la contestation de la laïcité, où ça peut se cristalliser ?

Elle n'a pas un lien avec la religion. Vous voyez, moi je suis d'une génération où ma sœur a été renvoyée parce qu'elle avait mis un pantalon. Après, on a renvoyé les jeunes filles parce qu'elles mettaient des minijupes. Et c'est en permanence le corps de la femme qui est en débat, y compris bien sûr dans cet islam rigoriste, qui fait que les garçons peuvent arriver, habillés comme ils veulent, et les filles non. Donc, l'égalité des genres n'est évidemment pas garantie, ce qui est évidemment inacceptable dans notre société.

Mais on est obligé, non pas du tout, de céder sur les valeurs, je tiens à le répéter, mais on est obligé de se dire : comment est-ce qu'on articule cette idée de la liberté, "Tu viens comme tu veux", ou cette idée de la liberté, que la laïcité favorise des séparations. Je pense qu'il faut se poser ces questions. Il faut rappeler que l'école privée, elle, a le droit aux signes religieux, et que donc il y a un sentiment chez certains musulmans, qu’il y a deux poids deux mesures puisqu’il n'y a pas ou très peu d'écoles musulmanes. Et donc, est-ce que notre objectif c'est que chaque religion construise son système scolaire ? Il y a quand même aussi cette question derrière.

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