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Les manifestants se multiplient dans les petites villes : "C'est la France des gens de peu" dit Jean Viard

On constate que les cortèges s'étoffent dans les villes de petite ou moyenne taille. Les taux de participation aux manifestations y est 5 à 10 fois plus important (autour de 200 personnes pour 1 000 habitants) que dans les grandes agglomérations.
Article rédigé par franceinfo - Jean Viard
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3min
Forte mobilisation contre la réforme des retraites, le 7 février dernier à Vierzon, dans le Cher. (REMI BRANCATO / RADIO FRANCE)

Pourquoi voit on désormais des cortèges plus étoffés qu'avant dans les petites villes et les villes moyennes ? C'est assez frappant avec les manifestations contre la réforme des retraites : Figeac, Morlaix, Tulle, Quimperlé, Tarbes, Vesoul, Aubenas, Montargis, Digne-les-Bains, Vierzon (ci-dessus) etc. Voici le regard, sur cette mobilisation régionale, du sociologue Jean Viard.

franceinfo : Jean Viard, comment expliquez-vous ce phénomène ?

Jean Viard : Dans les plus grosses villes françaises, lorsqu'il y a grève des transports, c'est plus difficile de venir manifester. Mais le fond du débat n'est pas là. Je pense que c'est "la France des gens de peu", comme disait l'anthropologue Pierre Sansot, la France des sous préfectures, la France des petites villes qui se sentent un peu abandonnées par la mondialisation, par la modernité. Cette France-là se sent particulièrement attaquée. Et ce n'est pas forcément injustifié parce qu'il y a beaucoup de métiers relativement modestes et de gens qui vont travailler plus tôt dans leur vie.

C'est la même France que celle des gilets jaunes, ce peuple qui a le sentiment d'être gouverné par des gens des villes peu concernés par le 80 km/h (sauf pour le weekend) ou par le départ à la retraite à 64 ans. Du coup, on a créé une rupture entre les milieux populaires du grand périurbain et des petites villes et les élites urbaines. 

Cette critique du jacobinisme n'est pas nouvelle. Voilà longtemps qu'on dit que les élites à Paris décident pour tout le monde. Pour autant, cette mobilisation plus marquée sur le territoire est-elle nouvelle ?

Oui parce que, si vous voulez, avant, on avait des grands systèmes d'appartenance. Il y avait des grands mouvements communistes dans les zones rurales, dans le Massif central notamment, ou des fiefs socialistes. Ces gens de peu, ils étaient nombreux parce qu'ils étaient forts, ils étaient l'histoire, ils portaient la révolution et le progrès social. Donc ils appartenaient à une communauté. Ils étaient dans une classe sociale qui menait un combat politique. Notre monde d'aujourd'hui n'est plus vraiment un monde de classes sociales. Ces gens s'y sentent extrêmement isolés en matière de territoire ou d'emploi, et aussi parce que le politique ne les intègre plus dans un grand mouvement historique. En manifestant, ils se sentent à nouveau à leur place, à marcher dans la foule, ils sont heureux dans les rues de leur ville, par milliers. 

Pendant longtemps, des cars partaient des villes moyennes pour aller faire grossir le cortège parisien. Désormais, est-ce un choix différent de manifester chez soi ?

Notez qu'il y avait déjà eu ce mouvement régional au moment du face à face entre Jacques Chirac et Jean-Marie Le Pen, au deuxième tour de la présidentielle. Les gens avaient tenu à se réunir près de chez eux. C'est en effet maintenant entré dans les comportements : on est dans une société de proximité. On se dit qu'aller en bus à Paris n'est peut-être pas très écolo, cela coûte cher et prend du temps. Et puis, est ce qu'on a tellement envie d'aller manifester avec les bobos des grandes villes ? Chez soi, on manifeste avec des gens qu'on connaît ou qu'on reconnaît. 

Le dernier livre de Jean Viard :

Un juste regard, aux Editions de l'Aube.

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