Cet article date de plus de dix ans.

Harcèlement scolaire : le SOS muet de Jonathan

Un livre choc et une conférence internationale... Le harcèlement scolaire revient cette semaine dans l'actualité. Jonathan Destin est un jeune homme de 18 ans qui a écrit sa souffrance étant adolescent, le harcèlement dont il a été victime de la part de camarades de classe. De la détresse qui l'a amené , alors qu'il avait 16 ans, à s'immoler par le feu. 
Article rédigé par Emmanuel Davidenkoff
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 15 min
  (©)

Le livre choc est signé Jonathan Destin.
Il est intitulé Condamné à me tuer et vient de sortir chez XO. La conférence
internationale
a lieu à Nice mercredi, sous l'impulsion de Catherine Blaya,
Présidente de l'Observatoire International de la Violence à l'École.

Commençons avec le livre : le titre est terrible...

Le témoignage l'est tout autant, c'est
celui d'un jeune homme de 18 ans qui tente, lentement, de se reconstruire,
physiquement et psychologiquement, après avoir tenté de mourir en s'immolant.
Il a été recueilli par Marie-Thérèse Cuny et ce qui est intéressant, c'est
qu'elle a aussi interrogé les entourages.

C'est intéressant car l'histoire de
Jonathan est celle d'un mutisme, celui dont il fait preuve, dès l'âge de 10
ans, quand il commence à se faire harceler. " J'ai toujours eu peur des
autres et de la vie " dit-il " J'ai peur aussi qu'on me juge ".
Alors jour après jour, semaine après semaine, année après année, Jonathan
encaisse en silence. Il va à l'école avec une boule dans le ventre et ça ne
rate pas : sur le trajet ou dans l'enceinte des établissements, Jonathan
Destin devient le souffre-douleur des autres. On moque son nom " c'est ton
destin ". Les insultes fusent " t'es con ", t'es gros ",
" t'as pas de marques, t'es pauvre ". Et ça fait mouche car Jonathan
apprend lentement, il a eu des troubles dyslexiques, il a de l'embonpoint, et
effectivement il vient d'un milieu modeste. Les séances de piscine tournent à
la torture – " évidemment, dit-il, mes bourrelets, ils se voyaient bien
dans l'eau ".  

Et il ne se confie à personne.

A ses parents non. Sa mère voit bien que
quelque chose ne va pas, mais elle pense que c'est lié à ses mauvais résultats
scolaires. Mon fils ne disait rien, c'était un " mur " dit-elle.  Ce n'est pas dit dans le livre mais le cas est
extrêmement courant : les parents sont souvent les derniers à comprendre.
Les sœurs de Jonathan ne verront pas plus le drame qui se noue, ni le père, qui
témoigne aussi dans le livre – je sais que nous avons une relation distante,
explique-t-il en substance, mais parler dans ce livre, c'est ma façon de lui
dire que je tiens à lui.

Et les enseignants ?

Ils n'ont pas le beau rôle dans
l'histoire entre ce professeur principal qui dit à un Jonathan en larmes, qui
vient de se faire battre, " Retourne jouer, ce n'est pas grave, ils ne
font que s'amuser avec toi ", et tous ces enseignants qui, aux dires de
Jonathan, ne s'intéressent pas à son cas. Un professeur de français tentera
bien de l'aider, en s'occupant de lui individuellement, et d'ailleurs cette
année là les résultats de Jonathan remontent, mais un professeur, ça ne suffit
pas. Au fil des ans, Jonathan se mure dans son silence et dans sa honte,
commence à songer au suicide. Jusqu'à l'incident de trop, un racket mené
pistolet sur la tempe. Suit le récit, poignant, de la tentative de suicide en
elle-même, et du sauvetage presque miraculeux de Jonathan par une riveraine du
canal dans lequel il tombe après s'être immolé.

Son histoire avait déjà été racontée par la presse, pourquoi y
revenir avec un livre ?

Jonathan s'en explique et il parle
autant aux ados dépressifs qu'aux enfants et ados victimes de
harcèlement : " Si on envie  de
mourir, comme j'ai fait, il faut parler dit-il. Ce livre, il est pour que les
parents fassent plus attention aux enfants. Il est aussi pour que les profs
identifient mieux ceux qui se font " traiter " ".

Un message important, car Jonathan n'est pas le seul à s'être tu
alors qu'il était harcelé.

Non. Et c'est ce que rappelleront les
participants de cette conférence internationale qui se tient donc mercredi à
l'Espé de Nice. Avec un zoom particulier sur le cyberharcèlement. " Les données montrent que le phénomène est loin d'être anecdotique et
que plus de 6 jeunes sur 10 (43,5 %) se déclarent victimes selon la chercheuse
Catherine Blaya. D'autre part, plus d'un tiers (32,6%) disent avoir été auteurs
de violences au moyen d'un outil électronique de communication ". elle
précise, je cite toujours, que " Les résultats indiquent une forte
proximité entre victimes et agresseurs, le plus souvent du même établissement
scolaire et de la même classe. Ceci nous amène à conclure sur la nécessité
d'une prise en compte du phénomène en milieu scolaire. "

Avec, toujours, cette difficulté de distinguer le harcèlement de
conflits plus banals...

Oui. 10 % des
collégiens rencontrent des problèmes avec le harcèlement et 6 % de collégiens
subissent un harcèlement qu'on peut qualifier de sévère à très sévère selon
l'Education nationale, qui définit le
harcèlement en milieu scolaire en fonction de trois
indices :

La violence ** : c'est un rapport de force et de domination entre un ou plusieurs
élèves et une ou plusieurs victimes.
La
répétitivité ** : il
s'agit d'agressions qui se répètent régulièrement durant une longue
période.L'isolement
de la victime
**** : la
victime est souvent isolée, plus petite, faible physiquement, et dans
l'incapacité de se défendre.

Un site internet a
d'ailleurs été ouvert agircontreleharcelementalecole.gouv.fr – l'adresse est
sur franceinfo.fr -  il rappelle que le
harcèlement se fonde sur le rejet de la différence et sur la stigmatisation de
certaines caractéristiques, telles que :

L'apparence physique (poids, taille, couleur ou type
de cheveux)Le sexe, l'identité de genre (garçon jugé trop
efféminé, fille jugée trop masculine, sexisme), orientation sexuelle ou
supposéeUn handicap (physique, psychique ou mental)Un trouble de la communication qui affecte la parole
(bégaiement/bredouillement)L'appartenance à un groupe social ou culturel
particulierDes centres d'intérêts différents

Et donc message à tous : parlez !

Oui,
que l'on soit victime, témoin, parent, enseignant, membre de la famille... Le
témoignage de Jonathan le rappelle de manière bouleversante : la spirale
du silence, de la peur et de la honte est délétère ; elle peut même tuer.
Je rappelle son titre Condamné à me tuer, c'est chez XO.

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