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"Réparer" les journalistes

Depuis 20 ans, la Maison des Journalistes à Paris, cofondée par notre consoeur de franceinfo, Danièle Ohayon, accueille et "répare" des journalistes venus du monde entier. Un lieu d’accueil unique pour tous ces professionnels de l'information qui fuient guerres, menaces et régimes. 

Article rédigé par franceinfo - Eric Valmir
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Darline Cothière, directrice de la MDJ aujourd'hui, notre consoeur de franceinfo, Danièle Ohayon, cofondatrice de la MDJ il y a 20 ans, aux côtés d'Eric Valmir, sur la scène du studio 104 à Radio France, le 14 septembre 2022. (STEPHANIE LE BRUN / MDJ)

C’est dans le quinzième arrondissement de Paris que s’est montée il y a 20 ans la Maison des Journalistes, qui accueille depuis, des journalistes du monde entier. Ils sont hébergés et accompagnés lors de leur exil en France, suite à des menaces de mort pour avoir exercé leur métier et appliquer la liberté d’informer dans leur propre pays. Mercredi 14 septembre, franceinfo et la MDJ ont marqué ces deux décennies en leur donnant la parole devant un studio 104 bondé et ému par la force des récits.    

C’est souvent une décision prise en quelques minutes à l’instinct, une milice vient avec l’ordre de tuer, un bombardement vient de frapper l’immeuble voisin, la peine de prison sans jugement est proche. Le ou la journaliste dispose de peu de temps pour s’en aller, quitter sa maison, son quartier, s’enfuir comme un voleur, trouver les canaux d’exfiltration pour arriver à des milliers de kilomètres de chez soi dans un Paris pour ainsi dire inconnu.  

Des histoires qui se ressemblent toutes

Dans leur mécanique, les histoires se ressemblent toutes, le départ précipité, l’arrivée à Paris, les quais de Seine et les immeubles debout, trouver un toit et la Maison des Journalistes, ce refuge inouï, la MDJ (Maison des Journalistes) qui offre une chambre, un coin toilette, une grande salle à manger avec cuisine où chacun vient faire son repas, c’est la cuisine du monde que l’on renifle avec ses épices qui viennent de partout, et il y a les sourires, des soutiens psychologiques et financiers, des aides juridiques pour régulariser la situation, et puis des cours de français pour favoriser l’intégration.  

Beerat Gokkus, journaliste turc, et Sakher Edris, jorunaliste syrien indépendant, eux aussi accueillis à la MDJ pour reprendre vie et espoir.  (STEPHANIE LE BRUN / MDJ)

"La Maison des Journalistes, c’est plus qu’un toit, souligne Beraat, qui a fui le régime d’Erdogan, c’est aussi la possibilité d’écrire". La chambre est vitale pour survivre, ne pas dormir dans la rue, mais l’important pour le journaliste turc est d’écrire et de retrouver sa peau de journaliste. En Turquie, on lui dénie ce droit. Inconsciemment, il est un hors-la-loi puisque son pays lui donne ce statut. Alors quant à la Maison des Journalistes, il peut enfin se concentrer sur l’écriture de chroniques publiées sur le journal en ligne de la MDJ, il retrouve alors sa raison d’être.  

Pour beaucoup, s’enfuir n’est pas un succès

Arriver dans un pays où l’on n’est plus rien du tout – personne ne vous connaît, vous ne parlez pas la langue, vous n’avez pas les codes – les amis, la famille, la maison laissés derrière, c’est traumatisant, mais surtout dévalorisant.  

Pour Ghys (Congo Brazza) et Élise (Burundi) qui ont fait de la prison dans leur pays, simplement du fait d’écrits ou de reportages qui déplaisaient au régime, ils doivent retrouver leur dignité de journalistes. Non, ce ne sont pas des criminels, non ce ne sont pas des activistes militants. On leur renvoyait sans cesse cette image qui finissait par leur coller à la peau.  

Élise est persuadée d’avoir échappé à la mort. Prévenue qu’on venait l’enlever pour la tuer, elle a juste eu le temps de prendre ses deux enfants, de tout laisser et de se cacher dans les faubourgs de Bujumbura. Elle organise sa fuite, confie ses enfants à des amis, et arrive à Paris. Elle y apprendra que son collègue et ami, Jean Bigirimana, a été arrêté par les services de renseignement burundais, et on ne l’a plus jamais revu. C’était il y a six ans.  

La Maison des Journalistes s'est battue depuis 20 ans pour aider de nombreux journalistes étrangers, menacés dans leur pays, empêchés de travailler, de reprendre vie et espoir. La MDJ a besoin de vos dons pour assurer cet espoir et leur liberté.  (STEPHANIE LE BRUN / MDJ)

"Réparer" cette condition de journaliste, viscéralement attachée à l’individu : Najiba qui vient de Kaboul ne se voit pas faire autre chose dans sa vie. Le 15 août 2021, la journaliste afghane, qui travaille à l’AFP de Kaboul, quitte le bureau et tombe sur les Talibans qui ont pris le contrôle de la rue. Elle n’hésitera pas. Elle se glissera dans le flux grossissant des Afghans qui fuient vers l’aéroport. En cinq minutes, elle a réuni les affaires qui résument l’essence de sa vie, elle les a jetées dans une valise et a refermé à clé la porte de son grand appartement à Kaboul. Être femme et journaliste sous les Talibans, c’était la répression assurée, voire plus.  

Les mois qui suivent en Afghanistan lui donneront raison, les femmes voient leurs espaces se réduire, et faire du journalisme est dangereux pour elles. Najiba est arrivée prostrée à Paris. Pendant un mois, elle restera recluse dans ses pensées, et puis elle réapprendra à marcher, à souffler, et à se laisser gagner par cette béatitude de la liberté. À Paris, elle est une femme, elle est libre, mais que le français est une langue difficile à apprendre ! Sans cette pratique, elle ne peut prétendre à un emploi dans une rédaction. Mais savoir que les chambres de la MDJ portent toutes le nom d’un média, est un réconfort.

Retravailler n’est pas si évident

La presse française s’intéresse à ces exilés de l'information. Elle est solidaire, mais ça ne donne pas du boulot pour autant. Il faut les autorisations, Anna n’a pas encore le document qui lui permettrait de postuler à un emploi rémunéré. Mais aidée par Reporters sans Frontières dans ses démarches auprès de la préfecture, et s’acharnant à maîtriser le français, elle veut garder l’espoir.

Anna a fui Moscou en mars dernier. Le parlement russe, par son vote du 4 mars, lui a interdit toute pratique journalistique, et puis il y a les menaces qu’elle évoque à demi-mot sur lesquelles il ne sert à rien de s’appesantir.  

Une journaliste russe, Anna Shpakova, et une journaliste ukrainienne, Nadia Ivanova, se sont retrouvées sur la scène du studio 104. (STEPHANIE LE BRUN / MDJ)

Sur la scène du 104, elle veut surtout souligner qu’elle parle à côté d’une ukrainienne, Nadia – une autre journaliste venue témoigner – et que retrouver ainsi sur une place publique, une russe et une ukrainienne, l’une à côté de l’autre, partager les mêmes valeurs dans un monde qui oppose leurs deux peuples, c’est réjouissant.  

La salle applaudit. Nadia prend la parole, elle tremble un peu. Sa radio de Kiev a cessé d’émettre, elle a quitté son appartement, les bombardements en pleine nuit, elle est arrivée à Paris, il a fallu réapprendre à respirer, ne plus sursauter au bruit d’une sirène, et ne plus avoir peur des avions dans le ciel.  

Pour ses 20 ans, la MDJ lance un appel aux dons, elle ne vit que de ça.    

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